Le jeudi 21 décembre 2006


Dieu en running shoes
Pierre Foglia, La Presse

Mon ami Laurent, qui travaille dans le sport à la télé, m'a invité l'autre jour à aller parler de sport à Au-dessus de la mêlée, j'ai d'abord dit oui. On m'aurait posé une seule question: si vous en aviez le pouvoir, que changeriez-vous dans le sport? J'ai d'abord dit oui parce que c'était Laurent, puis je dis non parce que c'est la télé, mes vieilles bibites, j'ai le droit, bon.

Reste que c'était un beau flash. Si j'étais Dieu en running shoes, qu'est-ce que je changerais dans le merveilleux monde du sport? Ne vous attendez pas à ce que je descende au niveau des cuisines, à ce que j'échange Samsonov ou Souray. Si j'étais Dieu, je ne me mêlerais même pas de retirer la balle molle féminine du programme olympique. C'est pas de mes affaires. Je suis Dieu, je regarde en bas, qu'est-ce qui ne va pas? (Je veux dire à part Jean Pagé.)

Le concept ne va pas. Le concept qui sous-tend toutes les grandes orientations du sport depuis un demi-siècle, un concept qui tient tout entier dans la formule: SORTIR LE SPORT DU SPORT. Concept inventé par qui? Par la télé. Sortir le sport du sport pour en faire quoi? De plus en plus de fric, bien entendu. Pour en faire un show qui n'est plus sportif. Sortir la performance du sport pour y mettre quoi à la place? Une cérémonie perpétuelle. Sortir le sport du sport pour aller marauder une clientèle qui n'aurait rien à foutre du 400 haies si on n'allait pas la chercher avec des flonflons.

Si j'étais Dieu en running shoes, j'arracherais le sport des griffes de la télé pour le redonner... au sport. Autrement dit pour redonner le 400 haies aux gens qui aiment ça, point. Le 400 haies, c'est tout ce qu'on veut sauf une obligation. Le 400 haies, c'est comme la musique ponctuelle de Stockhausen, ou le dadaïsme: quand t'aimes ça, t'adores ça. Quand t'aimes pas, t'es pas plus nono pour autant.

Si j'étais Dieu en running shoes, je retournerais le sport au sport et tout de suite après j'en chasserais les moralistes. Le premier qui me dirait que le sport c'est la santé, ou que ça empêche les jeunes de cités de foutre le feu aux écoles, je lui dirais: et ta soeur ducon, elle a déjà fait du vélo pas de selle?

Si j'étais Dieu en running shoes, je m'arrangerais pour que le sport soit ce qu'il est, pas plus, pas moins. Une esthétique, une culture, et aussi une morale, mais pas celle du mythe bénéfique, la morale de l'équipe, la morale de la passe, LA PASSE comme mode de vie, la morale de l'effort, enfin la morale "du contraire de l'utilitaire", qui n'est pas l'inutile, mais la gratuité ou serait-ce l'abstraction?

Enfin si j'étais Dieu en running shoes, j'enverrais une petite auréole à tous les bénévoles, à tous les sportifs du dimanche en leur disant: et maintenant que vous avez votre petite auréole, arrêtez d'écrire aux journaux pour vous plaindre que vous étiez 1700 à ce triathlon au parc Jean-Drapeau, mais qu'on n'en a pas dit un mot dans La Presse. Mettez-vous bien dans la tête qu'on n'en parlera pas non plus la prochaine fois. Si vous faites du sport pour qu'on parle de vous dans le journal, faut pas faire du vélo, essayez le plongeon du haut du pont Jacques-Cartier.

Le flop sportif de l'année au Québec? Les Outgames, bien sûr. La dernière petite écoeuranterie concerne la facture que viennent de recevoir une dizaine d'officiels de la Fédération d'athlétisme.

LA MÉDAILLE DE MERDE

Sanctionnée par la fédération, la compétition d'athlétisme des Outgames a été jugée par des vrais officiels. Comme il n'y en avait pas assez à Montréal, il a fallu en faire venir une dizaine de l'extérieur. Ils ont été logés à l'hôtel. À charge, en principe, des Outgames. À l'enregistrement, comme souvent dans les hôtels, on a demandé aux officiels un numéro de carte de crédit en garantie. L'hôtel a attendu jusqu'à ces dernières semaines, mais n'ayant reçu aucun paiement des Outgames, clic-clic la Visa et la MasterCard des officiels! Cinq nuits à 140$, autour de 900$ avec les taxes. J'oubliais: ces officiels étaient bénévoles, évidemment.

Joyeux Nouel, les boys.

EN TOUTE SUBJECTIVITÉ

Comme toujours quand on parle des cinq meilleurs athlètes du Québec ou du Canada ou de l'univers, cela déclenche des discussions du type "ligue du vieux poêle". C'est bien pourquoi, l'autre jour, si vous aviez lu avec attention, je ne parlais pas des cinq meilleurs, je parlais, en toute subjectivité, de mon Hall of Fame personnel, Guy Lafleur, Gaétan Boucher, Pierre Harvey, Myriam Bédard, Caroline Brunet... Et Bruny Surin? m'interpellez-vous, outrés. Et Guillaume Leblanc? Guillaume serait dans mes 10, si j'en avais nommé 10, mais je n'en ai nommé que cinq. Quant à Surin je l'aime bien, mais jamais un sprinter, dans n'importe quoi, n'entrera dans mon Hall of Fame personnel. J'insiste, personnel. Je peux bien recevoir qui je veux chez nous, quand même.

LE DESTIN

Je vous laisse choisir l'athlète de l'année 2006, je me contente ici d'inventer une nouvelle catégorie: la performance sportive mondiale la plus bénéfique de l'année. Celle qui a fait le plus de bien à plus de gens. Lance Armstrong et son chrono de trois heures au marathon de New York. Au lieu de la performance canon attendue, voilà Superman qui rend l'âme en passant le fil à la 400e place: je n'ai jamais autant souffert.

Trois heures, le chrono mythique de monsieur Tout-le-Monde. À l'entraînement six jours par semaine, deux ans plus tard, pour ses 40 ans, monsieur Tout-le-Monde va tenter l'exploit de sa vie, un marathon en moins de trois heures. Sont des milliers sur ce programme-là. Vous n'imaginez pas le bien que cela peut faire à un humain ordinaire de se dire: hé hé je ne suis pas si loin de Lance Armstrong.

C'est flyé pareil. Ce type pas fin du tout, cette totale tête de vache, n'arrête pas de faire le bien sans le faire exprès. Alors que moi, c'est le contraire, je suis hyper fin, en fait je suis le plus gentil de tous les chroniqueurs de tous les pays du monde, mais j'arrête pas de faire chier en toute innocence. C'est le destin, je crois.