Le jeudi 28 décembre 2006


24 décembre
Pierre Foglia, La Presse

Ce ne sera pas une chronique sur le réchauffement de la planète, n'empêche que le 24 décembre, en me levant, j'ai joué au basketball. Mais avant j'ai changé le filet qui pendouillait misérablement. Mes filets ne durent pas longtemps, les oiseaux me les effilochent au printemps en picossant les fils pour faire leur nid. Comme c'est un filet trois couleurs (rouge-blanc-bleu), les nids des mésanges aussi, sont trois couleurs, et ce pour le plus grand ébahissement des ornithologues, vous savez comme ils sont candides.

Bref, je n'aime pas mon nouveau filet. Trop grand. Le ballon passe dedans sans le fouetter, on dirait une vache qui accouche d'une grenouille, un petit floutche de rien sans toucher les bords.

Où l'as-tu acheté, fiancée?
Chez Canadian Tire.

J't'avais dit chez Zellers, je t'avais dit resserré au milieu, faut que le filet s'étrangle un peu, autrement ça ne fait pas floutche et si ça ne fait pas floutche, c'est pas la peine de jouer au basketball. Si c'est juste pour mettre une balle dans un trou, je vais aller jouer au golf comme tout le monde, calvaire.

Excuse-moi, Nima.

Depuis quelques jours, je ne sais pas pourquoi, elle m'appelle comme ça : Nima. C'est un prénom iranien, y paraît.

Anyway, je n'ai pas joué longtemps. Vous vous rappelez peut-être qu'il pleuvait. La journée du 24 a commencé sous la pluie, il avait plu la veille et toute la nuit. Depuis plusieurs jours à la télé et à la radio, les pleureuses de météo appelaient la neige de tous leurs voeux. Qu'est-ce qu'elles peuvent me tomber sur les nerfs, de la neige pour quoi faire ? Du ski ? Vous faites du ski, vous, matante ? Ah ben.

Ce n'est pas une chronique sur le réchauffement de la planète, qui ne se mesure pas comme ça. D'ailleurs, il me souvient d'une veille de Noël, cela doit bien faire 30 ans, on allait réveillonner chez mon ami Bob à Saint-Sulpice, il pleuvait si fort que les essuie-glaces ne fournissaient pas, il y avait même eu du tonnerre.

C'tu toi, fiancée, qui étais dans l'auto avec les enfants?
Non. Moi, c'était une autre fois. Il faisait moins 40, on n'a pas pu repartir le lendemain, l'auto était gelée.

Anyway, depuis que Bob est mort, plus personne ne m'invite à réveillonner, fait que le 24 décembre, je me loue des films. Des merdes forcément. À la campagne, on trouve tout ce qu'on veut maintenant, toutes les sortes de pains, tous les fromages, les alcools fins, le New York Times, et l'autre jour au IGA Extra de Cowansville, j'ai même trouvé des bocconcini di bufala que je ne trouve plus chez les Italiens du marché Jean-Talon. De tout, je vous dis, sauf de la culture, à moins que ce soit celle du blé d'Inde. J'ai l'air de rouspéter comme ça, mais pas tant que ça, je m'en fous un peu, sauf pour les fautes dans les titres des films nouveaux inscrits à la craie sur le tableau, au club vidéo.

Danse ça s'écrit avec un " s ", mademoiselle.
Vous êtes sûr? elle me dit. Je l'ai toujours vu avec un " c ".
En anglais, mademoiselle. En français, c'est avec un " s ".
Gentille, la fille. Dites-moi, sur votre tableau là, je vois Bon Cop, Bad Cop, vous l'avez?
Elle commence par lever les bras : pensez, ça vient d'arriver, c'est la folie de l'heure, sont toujours sortis. Mais attendez, elle me dit, peut-être dans les retours... Oui ! Un miracle comme il n'en arrive que la veille de Noël.
Êtes-vous content? qu'elle me demande.
Vous n'imaginez pas, mademoiselle.

Vers midi, la pluie a cessé, un soleil d'hiver a baigné de lumière pâle ce paysage qui m'habite depuis si longtemps et pourtant différent chaque fois que je le retraverse en vélo. Du vélo oui, un 24 décembre, même si ce n'est pas une chronique sur le réchauffement de la planète, je suis allé pédaler un petit 40 km.

Les ruisseaux gargouillaient comme au printemps, même dépouillement qu'au printemps, les mêmes silhouettes étriquées des bouleaux et les mêmes champs boueux qui font penser aux tourbières que l'on trouve dans les paysages gris des auteurs russes.

Le vent debout qui m'avait vidé de toutes mes énergies est tombé, ce con, juste au moment où je lui ai tourné le dos pour le retour. Dans combien de chroniques cette année ai-je revisité ce parcours, combien de pauses à l'Oeuf, à Mystic ? Combien de crèmes brûlées sur la galerie, le gros chat gris sur les genoux ? Celle-ci bien sûr, volée à l'hiver, a été la meilleure. Mon cadeau de Noël, cadeau du ciel.
Pis ? Bon Cop, Bad Cop ?
Holà, j'ai pas envie, mon vieux.
Allez, un peu de courage !
Vous ne croyez pas si bien dire.
Je vous sens pompé là.
Pompé, dites-vous ! Pas pompé contre le film. Pas pompé contre son succès. Pompé par l'ampleur, par la dictature du succès, par son étanchéité. Par son béton qui ne laisse pas passer la moindre petite lumière... J'ai entendu des gens que j'aime bien, à la radio, à la télé, dire qu'ils avaient aimé Bon Cop, Bad Cop. Et je sais très bien que ce n'est pas vrai. Putasserie. Complaisance. Autosuggestion. Paternalisme parfois. M'en fous. Ce qui est sûr, c'est que vous parliez de courage et que ce n'en est pas... Je suis pompé par l'aplatissement de la critique. Les grands succès mobilisent de vastes audiences, il devient d'autant plus important de dissiper le malentendu entre culture et divertissement, d'affirmer un autre espace, d'appeler une merde une merde, une oeuvre une oeuvre.

Bref, je suis pompé une fois de plus contre les intellectuels qui se taisent.