Le mardi 27 juin 2006


Le cul béni des Italiens
Pierre Foglia, La Presse, Mondial 2006

Kaiserslauter

Non, je ne sais pas s'il y avait une faute. Oui, j'étais au stade. Justement, je n'ai pas vu, comme vous, 12 fois la reprise à la télé. J'ai vu Fabio Grosso à terre, et l'arbitre montrait déjà le point de penalty.

Lucas Neill se tenait la tête de désespoir, j'ai compris que c'était par lui que les Australiens allaient perdre ce match que tout le monde voulait les voir gagner. Neill, le grand numéro 2 australien, auteur d'un match colossal, cela ne pouvait pas plus mal tomber.

Alors cette faute, réelle ou imaginaire? Pourquoi ne pas faire confiance à l'arbitre espagnol, impeccable jusque-là? Pourquoi ne pas saluer son courage? Il lui eut été si facile de fermer les yeux et d'envoyer les deux équipes en prolongation, ce n'est sûrement pas la foule, dont le coeur battait largement pour les Australiens, qui le lui aurait reproché.

Les Italiens ne méritaient pas de gagner? C'est souvent comme ça avec les Italiens, ils gagnent des matches qu'ils semblent ne pas mériter. On dit souvent qu'ils ont le cul béni. On exagère. On n'aime pas leur manière. On leur reproche de ne pas courir, de ne pas s'engager, bref, on leur reproche de ne pas jouer comme des Anglais ou des Allemands. Mais bon sang, ils ne sont pas Anglais, ils sont Italiens. Les Anglais ont inventé le foot. Les Italiens, eux, croient qu'ils ont inventé la façon d'y jouer. Et en quoi consiste cette façon? Essentiellement faire courir le ballon. Alors que les Anglais courent après le ballon.

On l'a bien vu, hier, dans ce match contre les Australiens, qui sont presque des Anglais (plus de la moitié des Australiens sur le terrain jouent en Angleterre). On l'a vu surtout en première demie. Il y a des gens qui ne sont pas capables de supporter ce style-là, ce demi-ton-là. Il y a des gens qui n'aiment que les grandes orgues. Mais la musique de chambre aussi, c'est de l'art.

Quand les Italiens déplacent le ballon avec cette lenteur-là, on a l'impression qu'ils déplacent un pion, il y a 10 joueurs d'échecs sur le terrain ou si vous préférez, 10 quarts-arrières, tous fabriquent le jeu, tous reculent avec le ballon pour mieux envisager le jeu dans son ensemble. Et tout à coup, un couloir se libère, un trou dans la muraille devant, zing le grand Toni est déjà dedans, ou Gattuso ou Gilardino, on roulait à 10 à l'heure, on est passé à 100 à l'heure en une demi-seconde.

Bien sûr qu'ils étaient sympathiques, les Australiens, et qu'on aurait souhaité qu'ils aillent plus loin. Mais avant de dire qu'ils méritaient de gagner, il faut se souvenir qu'ils auraient facilement pu être menés 3-1 au repos, que les occasions de compter ont surtout été italiennes.

Après la pause, on a vu le plus mauvais côté des Italiens. Leur côté tricheur, provocateur, baveux et on dirait chez nous leur côté «faiseux». Petits gestes pour mettre l'adversaire hors de lui, avancer le ballon sur les coups francs... dès lors qu'ils se sont retrouvés à 10 après le carton rouge à Materazzi, les Italiens ont entrepis de foutre le bordel. C'est un autre de leurs trucs, foutre la pagaïe, foutre le feu, et, dans la confusion, se sauver avec le match.

Ce penalty à la 95e minute, alors qu'il ne restait plus une seconde au temps régulier, est-il le résultat de cette stratégie? Fabio Grosso a-t-il simulé sa chute? En a-t-il mis un peu? Beaucoup? L'arbitre a-t-il été dupe?

On n'a pas fini d'en débattre du côté de Melbourne.

Moi, franchement, je m'en fous. J'ai bien aimé ce match. J'ai bien aimé le culot des Australiens sans complexe, mais pas sans talent. J'ai bien bien aimé Lucas Neill à la défense. En face, au même poste de défenseur central, Fabio Cannavaro a fait un grand numéro, et on a vu aussi pourquoi Gianluigi Buffon est considéré comme le meilleur gardien au monde.

Et voilà les Italiens en orbite, pour un autre tour, sûrement deux. Je les vois en demi-finale contre l'Allemagne. Ou l'Argentine.

LA FOIRE - À Kaiserslautern, comme partout sur la planète soccer, j'imagine, on parlait encore beaucoup, hier, du match de la veille entre le Portugal et la Hollande, les plus vieux journalistes ne se souvenaient pas d'un telle foire. La tendance lourde était que tout cela était la faute de l'arbitre russe, fermant les yeux sur des fautes grossières, puis distribuant des cartons jaunes pour rien, à côté de ses souliers du début à la fin. La presse hollandaise, elle, flagelle ce matin son équipe et son entraîneur, qui n'a pas eu la décence de s'excuser. Jamais on n'a vu des Hollandais se conduire aussi incivilement sur un terrain, ont écrit nos confrères bataves, sans oser ajouter, mais on sait qu'ils le pensaient: et si au moins c'était contre les Allemands!

Bon O.K., les vilains Hollandais. Mais entre vous et moi, les Portugais n'ont pas été les derniers à foutre le feu.

UN MONSIEUR TRÈS GENTIL - J'ai rencontré un monsieur de Saint-Placide grand boss de quelque chose ici au stade de Kaiserslautern, mais je n'ai pas compris boss de quoi au juste. Le signal télé? Le signal radio? Les antennes? Les prises électriques? Le filage? Il m'a dit qu'il y avait pour 400 kilomètres de câble dans le stade. Une grosse job, en tout cas. Il est habillé comme un banquier, dirige une équipe de 30 techniciens. Le jour des matches, 300 personnes dépendent de son travail. Il est arrivé ici début mai, ce soir, c'est fini- c'était le dernier match à Kaiserslautern- ce soir, il ramasse ses petits et il rentre à Saint-Placide. Jusqu'au prochain contrat, les Jeux asiatiques en décembre à Doha, au Qatar. Il a commencé au Grand Prix de Montréal, les Jeux d'Atlanta, plusieurs Coupes du monde de foot, un Championnat du monde de cricket, n'importe quoi, il s'en fout, il n'aime pas tellement le sport. Il est là pour faire sa job.

Et c'est quoi déjà votre job?
Il me l'explique pour la sixième fois. En tout cas, il s'appelle Marc Parent, il est très gentil, il m'a invité au party de sa gang ce soir, mais je n'irai pas, un coup qu'un peu paqueté je lui dise: c'est quoi votre job déjà?

EN CE TEMPS-LÀ - Comme je le rapportais dans ma première chronique allemande, j'y étais, moi, madame, à la première Coupe du monde en Allemagne, en 1974. En ce temps-là donc...

En ce temps-là, il y avait deux Allemagne, en préliminaires celle de l'Est avait battu celle de Beckenbauer, mais l'Ouest avait gagné la grande finale contre la Hollande de Cruijff.

Je n'avais rien vu de tout cela bien entendu, passant mon temps dans les trains, essayant d'attraper celui pour Munich après un match à Hambourg, arrivant trop tard à Munich et repartant aussitôt pour Francfort. Mes chroniques se terminaient par Les échos du chef de gare, échos qui depuis ont été colligés et traduits en allemand à la demande de la Deutsche Bahn (les chemins de fer allemands), qui considère qu'il s'agit là d'un très grand essai ferroviaire.

C'est sous ma plume, dans La Presse du 18 juin 1974, que les Allemands ont appris que la gare de Gelsenkirchen avait été construite en 1224, soit plus de 600 ans avant l'invention des trains, preuve du génie industrieux de l'Allemagne... et un peu de celui du chroniqueur.

Mais le foot, direz-vous? J'en parlais aussi. Des trucs exclusifs que la presse mondiale découvrait avec frustration le lendemain (ah non, on s'est encore fait fourrer par La Presse de Montréal), je me souviens de ce scoop en particulier: au contrôle antidopage après le match Argentine-Zaïre, un joueur argentin qui ne parvenait pas à uriner a fini par dire au médecin: Je n'arriverai pas à faire pipi si vous ne me chantez pas une petite chanson. Le médecin de s'exécuter: la belle dé Cadix a des yeux dé vélours, tchi-ka-chik-a-ya-yaille...