Le mercredi 28 juin 2006


De zéros à héros
Pierre Foglia, La Presse, Mondial 2006

Mannaheim

Ce sera France-Brésil, samedi, à Francfort. Les Brésiliens doivent être contents, ça fait huit ans qu'ils attendent leur revanche de la finale de 1998. Ils feraient bien de se méfier.

Ils vont tomber sur une France qui ne sera pas, certes, celle de 1998, mais qui n'est pas non plus celle de 2002. Une France qui a chassé ce qu'il lui restait de morosité et de doute en battant sèchement les Espagnols 3-1, hier soir, à Hanovre.

Les jeunes Espagnols avaient dit qu'ils feraient courir les Français, qu'ils les épuiseraient, ils leur avaient promis une grosse soirée de travail, c'est le contraire qui s'est produit. Les papys du Mondial- les Français ont la moyenne d'âge la plus élevée- leur ont fait la leçon. Les Espagnols n'ont eu qu'une seule vraie chance de battre Barthez: ce penalty assez généreux que leur a accordé l'arbitre italien à la 22e minute. Villa battait Barthez à sa droite, à ras le poteau, 1-0 l'Espagne, on ne donnait pas cher de la France à ce moment-là.

Depuis le début de ce Mondial, et même bien avant, on ne donnait pas cher de la France. Rarement une équipe a autant été moquée et critiquée, son entraîneur traité d'intello qui n'entend pas grand-chose au foot, Zidane lui-même qualifié d'«ex-joueur» et accusé de semer la zizanie. Même les anciens de 1998, aujourd'hui à la retraite, se sont mis à tirer dans le dos de leur ancienne équipe.

C'est ainsi que vient la confiance! Je plaisante à peine. Ou l'équipe crève de tous ses maux, ou elle survit. Tous les entraîneurs vous le diront: les survivants sont autrement plus dangereux que les conquérants. Ou elle crève ou elle lèche ses plaies dans le secret, lave ses humiliations, refait sa confiance petit à petit. C'est la rébellion qui soude alors l'équipe, la soudure se fait presque toujours sur le dos des médias, l'équipe bascule en mode revanche. La joie de Zidane et Barthez quittant le terrain en se tenant par le cou, hier soir, était carnassière, leurs sourires disaient: on vous a fermé la gueule ou pas? Vous en voulez encore?

Je reviens au match. Je vous avais laissé sur ce penalty sur une faute plus maladroite que vicieuse de Thuram. Voilà les Espagnols qui mènent 1-0 et qui font tourner le ballon en laissant entendre que c'est ce qu'ils vont faire pendant les 70 minutes qui restent. Les voilà aussi qui se mettent à jouer haut pour prendre Henry au piège du hors-jeu, petit jeu dangereux, 10 fois ça ne passe pas, la 11e c'est bon, Henry déborde sur l'aile, centre sur Ribéry et Vieira, qui ratent tous les deux. Les Espagnols ont eu chaud. Ils sont de plus en plus débordés et, juste avant la pause, Vieira, encore lui, lance Ribéry dans le trou. Ribéry s'avance seul, efface le gardien espagnol et pousse le ballon dans un filet vide.

L'issue ne faisait plus guère de doute. À la reprise, les Espagnols se sont éteints petit à petit, chevaux légers que repoussait sans problème la défense très sûre des Bleus. Alors qu'il ne restait que sept minutes à jouer, sur un coup franc, Zidane trouve la tête de Vieira, toujours lui, le ballon est dévié par Sergio Ramos dans son propre but, pas de regret, c'est là qu'il allait de toute façon.

Alors que l'on jouait les arrêts de jeu, Zidane (peut-être hors-jeu) filera seul dans la surface de réparation pour prendre à contrepied son ancien gardien au Real Madrid, qui n'a pas vraiment apprécié.

Voilà la France en quart de finale contre le Brésil. Ce n'est pas gagné d'avance pour les Brésiliens, surtout s'ils cafouillent à la défense comme ils l'ont fait contre les Ghanéens, hier.

DÉTESTATIONS - Ça me revient doucement, je veux dire la grammaire particulière du foot, son vocabulaire. Rien de bien sorcier. Un sport d'équipe comme les autres. Tout est dans le collectif et dans la vitesse d'exécution. Ça me revient, disais-je, mais pas assez vite au goût de quelques-uns. Un lecteur outré (M. Madrid de Montréal) menace de se désabonner si La Presse ne me rapatrie pas à l'instant. M. Madrid se scandalise de ce que j'ai traité les Équatoriens de médiocres.

Bon, alors, disons qu'ils sont passables quand ils jouent en altitude à Quito, et nuls au niveau de la mer. Vous devez détester les joueurs sud-américains, dit encore M. Madrid.

Je déteste les joueurs argentins comme tout le monde, mais ce n'est pas parce qu'ils sont nuls, c'est parce que ce sont de formidables têtes de vache. Vous avez vu le show de Maradona dans les estrades? Je l'aimais mieux sur la coke que sur le Ritalin.

Le sport, c'est fait aussi pour ça. Pour détester autant qu'on aime. Le foot s'y prête magnifiquement. Dans la catégorie athlètes trous-de-cul, occupant presque toutes les premières positions, il y a les joueurs de baseball. Mais tout de suite après, il y a les joueurs de soccer. Pour les Argentins, je plaisantais à demi, les Ukrainiens, c'est plus sérieux, ce Blokhine qui leur sert d'entraîneur, par exemple, qui est aussi député de l'extrême droite dans son pays et déclare qu'il y a décidément trop de Noirs dans le football. Reste que le joueur qui m'a le plus pompé depuis le début, c'est un Noir, Adebayor, le joueur étoile du Togo (et d'Arsenal). Son mépris pour ses propres coéquipiers était palpable lors du match contre la France, cette façon avant et après le match de coller aux joueurs français, comme pour dire: c'est eux, ma gang, pas les petits nègres de l'aut'bord.

S'il y en a que j'aime? Plein. Andrea Pirlo chez les Italiens. Lilian Thuram chez les Français. Zidane? Je suis un peu tanné, Zidane. Avait-il vraiment besoin de commercialiser, aussi, l'exclusivité de ses déclarations? Canal + lui verse un million d'euros pour ses précieuses paroles. Y crevait de faim, quoi?

LE MONDE EST PETIT - Six jeunes hommes à la table voisine. Parlent des fois en anglais, des fois en italien. Me semble que je connais cet accent italien rugueux... Vous êtes Canadiens? De Montréal? La réponse est oui aux deux questions. De LaSalle. Des amis d'enfance. Ça faisait une demi-heure que je les écoutais parler du match Italie-Australie. Ça m'a rappelé le slogan des Jeux de Turin- passion lives here- qui ne s'est jamais vérifié à Turin, mais qui prenait tout son sens ici, dans cette petite pizzeria du centre de Mannheim, hier midi.

Sont nés dans le soccer, tu leur dis 4-4-2, ils ne pensent pas une seconde que tu leur donnes le code régional pour Chibougamau. Discours nourri de passion et, disons-le, d'amour. Ces jeunes gens aiment leur équipe italienne d'amour. Pas des groupies ordinaires, s'agenouillent plus volontiers devant un Pirlo, le discret milieu de terrain du Milan AC, ou devant un Cannavaro, le petit général à la défense, que devant un Totti. Mais leur préféré, c'est Del Piero, qu'ils ont croisé à Hanovre.

Devine avec qui il était? Avec Steve Nash, le garde des Suns de Phoenix, de la NBA. Ils sont amis. Ils vont bien ensemble, je trouve. Vous allez parler de nous dans La Presse?

Il y avait Zino, Gianluca, Adam, Nicola, un autre dont j'ai mal noté le nom, et Tony Mancuso, qui tient le bar restaurant AJ's, rue Jolicoeur à Ville-Émard. Sont arrivés à Amsterdam, sont allés voir un match, sont repartis à Prague, sont revenus voir un match, sont allés à Copenhague, un autre match, à Berlin celui-là, ils s'en vont finir leur voyage à Nice. Dans les 6000 euros chacun. C'est pas donné, la passion.

Quelle ville avez-vous préférée?
Prague. C'est à Prague que les filles sont les plus belles. Mais c'est à Amsterdam qu'elles sont les moins chères, précise Nicola.
Et qui gagne la Coupe, les boys?
M'ont regardé comme si j'étais débile. Je suis sûr qu'il y en a un qui l'a dit quand ils se sont retrouvés entre eux: y'était un peu débile, le vieux, non?

LEÇON D'URBANISME - Mannheim est une grande ville laide parce que neuve, parce que rasée pendant la guerre et reconstruite à neuf. On dirait une ville américaine avec un centre-ville en damier, des avenues toutes droites qui coupent d'autres avenues toutes droites. Reste que Mannheim a la chance d'être baignée par le Rhin et par le Neckar, un canal faisant communiquer les deux cours d'eau en plein centre-ville. Je dis la chance parce que le long des berges du Rhin, comme de celles du Neckar, des parcs ont été aménagés, une forêt plutôt qu'un parc, une forêt en pleine ville, des grands arbres, des sous-bois... Je suis allé y jogger une heure sans rien voir d'autre que le fleuve, des arbres, des sentiers, d'autre joggeurs, et un garenne qui m'a filé entre les jambes.

Pis? Pis voilà une ville laide qui s'est arrangée pour ne pas être conne en plus d'être laide. On la félicite.

EN CE TEMPS-LÀ - Vous devez commencer à le savoir, j'ai couvert la Coupe du monde de soccer de 1974 en Allemagne et je trouve amusant d'y faire écho ici, manière de boucler la boucle. Le Canada n'était pas à la Coupe du monde de 1974, mais un arbitre canadien avait officié le match Pologne-Yougoslavie. Il s'appelait Werner Winsemann, et je l'avais fait prévenir qu'un journaliste de Montréal souhaitait faire une entrevue avec lui. Je l'avais attendu presque une heure à la porte du vestiaire des officiels, il avait fini par sortir, voici l'intégrale de cette entrevue.

Il sort, il me dit: je ne peux pas vous parler du match et j'ai très peu de temps à vous consacrer. Alors, moi, sans hésiter: Je peux m'en aller tout de suite si vous voulez. J'ai viré de bord et je suis parti.

Rien à voir, dans la même page où je repique ce souvenir, un grand texte d'Yvon Pedneault sur un repêchage spécial de la LNH, pour deux nouvelles équipes, les Capitals de Washington et les Scouts de... ah ah. De Kansas City. Dans la page suivante, mon ami Bob encensait son chum Marv Levy, et ma toujours consoeur Liliane Lacroix, à l'époque aux sports, était fort mal reçue à une conférence de presse de gymnastique, le texte ne précise pas pourquoi. Ça jouait rough à l'époque. Nous aussi, on est des survivants, hein, Liliane?