Le jeudi 6 juillet 2006


Les Bleus contre les bleus
Pierre Foglia, La Presse, Mondial 2006

Dusseldorf

Ce sera la France contre l'Italie dimanche à Berlin. Les Bleus contre les Azzurris, les Bleus contre les Bleus quoi. Mais non, ne vous inquiétez pas, on ne les confondra pas. Les premiers Bleus sont Noirs. Les seconds sont Blancs.

La France s'est laborieusement, mais justement qualifiée hier à Munich en battant le Portugal 1-0, l'unique but compté par Zidane sur penalty. Laborieusement, j'exagère. Ce ne fut pas si ardu. Ce fut seulement un match ordinaire. On est loin de France-Brésil et de France-Espagne. On est même loin du match Italie-Allemagne de la veille. Ce France-Portugal a été bien décevant pour une demi-finale de Coupe du monde. Cela avait pourtant bien commencé, il n'y avait pas une minute qu'on jouait que Gallas lançait Malouda en profondeur sur la gauche, Malouda se débarrassait de Miguel et... et Dieu que c'est passé proche.

Après on a eu droit à un festival Ronaldo, moi je dis que c'est du cirque, pas du foot. Du show qui ne donne rien et qui finit en eau de boudin. J'aime pas du tout ce type. Être arbitre je le sors au bout de cinq minutes. Regarde, Chose, tu choisis: le foot ou le plongeon, si c'est le plongeon, je connais un gars à Montréal, Alexandre Despatie il s'appelle, il va t'aider.

Encore après, à la 33e minute, il y a eu le but qui a éteint le match. Ricardo Carvalho a fauché Thierry Henry dans la surface de réparation, l'arbitre n'a pas hésité une seconde. Peno, comme on disait quand on était petit.

Fauché! Vous dites toujours ça pour les penalties. Il a été fauché. Vous avez la faux exubérante, je trouve. Le défenseur central portugais, alors qu'il était à terre, a légèrement crocheté Henry. OK, c'est délibéré. OK, c'est dans les 16 mètres. OK, c'est le règlement. OK, penalty. Mais faire basculer le match pour un si petit coup de patte? N'est-ce pas un peu définitif? Me semble qu'il devrait exister une sanction intermédiaire pour les fautes pas si graves dans les 18 mètres. Un coup franc de la ligne, par exemple. Me semble que ça existait dans mon temps. J'invente?

Anyway, Zidane a trompé Ricardo à sa droite. Et les Français se sont mis à jouer à cinq défenseurs, quatre milieux de terrain et Henry en pointe. Quand Domenech a vu que Ribéry ne l'écoutait pas, qu'il continuait de courir partout, il l'a sorti pour Govou.

Les Portugais, eux, ont continué à jouer comme des cons, à jouer brouillon, des petits ponts, des petites talonnades, des petits machins, des simagrées au milieu du terrain, mais dès qu'ils approchaient de Barthez, ils se plantaient sur le mur des Français.

Sauf dans les cinq dernières minutes. Alors qu'on écoulait les temps morts, les Portugais se sont donné deux ou trois belles occasions d'égaliser, en particulier une frappe de Fernando Meira aux 15 mètres qu'il a envoyée très haut pour les petits oiseaux.

Voilà la France en finale. C'est mérité. Mais c'était pas beau. Si c'est cette France-là contre l'Italie qui a battu les Allemands, y'a pas photo, la France se fait planter. Si c'est la France du Brésil, ou de l'Espagne, elle gagne. Et si c'est la France de la Corée contre l'Italie des États-Unis, holà, qu'est-ce qu'on va se faire chier!

LA FÊTE EST FINIE

Dans le train de nuit qui me ramenait à Dusseldorf, Michael et sa femme pleuraient encore, puis s'arrêtaient pour rire d'eux-mêmes. « On a pleuré la défaite plus tôt, ce qu'on pleure maintenant c'est notre retour à la normale! »

Ils n'étaient pas au stade mais dans un beergarden, « un beau match, les Italiens méritaient la victoire », reconnaissent-ils sportivement. « Et voilà, c'est fini. »

Ce n'est pas fini, cela reste votre Coupe du monde jusqu'à dimanche...

Notre Coupe du monde, croyez-vous? Peut-être celle du Kaiser (surnom de Franz Beckenbauer, président de cette Coupe, qu'il a déjà gagnée comme joueur et comme entraîneur) et de ses invités et de ses sponsors. Comment penser que c'est notre Coupe quand elle est commanditée, au pays de la bière, par une bière américaine (la Bud), et au pays de Mercedes, Audi, Volkswagen, commanditée par des autos coréennes (Hyundai). Notre Coupe du monde, c'était notre équipe. Notre équipe éliminée...

En allant déjeuner ce matin, j'ai bien senti que ce n'était plus la même Coupe du monde. La fièvre est tombée, et la fête avec elle. L'Allemagne s'est réveillée avec une petite gueule de bois et elle est retournée à ses préoccupations sociales, comme cette grande réforme de l'assurance maladie que présentait hier à la presse Mme Angela Merkel. On ne verra plus la chancelière sauter au cou de Franz Beckenbauer comme elle l'a fait après la victoire de l'Allemagne sur l'Argentine. Retour aux choses sérieuses, c'est au cou de l'allemand moyen qu'elle va sauter désormais, mais ce sera pour l'étrangler, comme s'amusaient les caricaturistes ce matin, pour illustrer la hausse des tarifs qu'impliquera cette réforme de l'assurance maladie.

Parmi les autres soucis de Mme Merkel, un multiculturalisme à la canadienne- comprenez à plat ventre devant les immigrés- qui fait des vagues et joue contre l'intégration de ces immigrés. Ça vous rappelle quelque chose?

LOIN DES CLICHÉS-

Ai-je dit que ce Mondial était remarquablement organisé? Je le répète. Toujours pas de hooligans en vue, et vous vous rappelez ces grands titres il y a un mois « Coupe du monde de football ou coupe de la honte? » pour dire que l'Allemagne était devenue un grand « stade du sexe »? Plus personne n'en parle. On ne fait pas la queue à la porte des bordels, on la fait en dedans, comme il se doit.

Peu ou pas de débordements, dans une ville ouvrière comme Dortmund, on aurait pu s'attendre à de la casse après la défaite de mardi soir. Rien. Pas de bousculade à la gare non plus malgré l'immense foule qui s'y pressait encore à une heure du matin. Une police discrète qui se tient en réserve en des endroits où elle ne provoque pas. Pour la presse, on ne peut demander mieux, tout est parfait, pas un détail qui cloche, pas un poil qui dépasse, j'entends les photographes qui chialent mais y chialent tout le temps.

Et l'essentiel, des centaines de milliers de spectateurs découvrent une Allemagne moins industrielle qu'ils l'imaginaient et des Allemands très loin des clichés habituels. Vous savez, une certaine rectitude, une tendance à babouner, une lourdeur... et ces autres préjugés attachés au passé.

Soyons aussi sobres qu'ils le sont: les Allemands sont des hôtes irréprochables.

SCHIZOPHRÉNIE

On se souvient des deux penalties bloqués par le gardien allemand Jens Lehmann lors de la séance de tirs au but, deux arrêts qui avaient éliminé l'Argentine. Avant le match, les Allemands avaient colligé les habitudes des Argentins, celui-ci tirait ses penalties le plus souvent à gauche, celui-là à droite. Entre chaque tir, Lehmann consultait une liste dissimulée dans ses chaussettes qui lui indiquait de quel côté plonger.

Contre les Italiens, on est passé à deux minutes près d'une autre séance de tirs au but. Que serait-il arrivé? ai-je demandé à un confrère italien de la Gazzetta...

Les stratèges italiens avaient recommandé à leurs joueurs de tirer comme ils « le sentaient ». D'oublier ces histoires de liste. Leur calcul: les Allemands s'attendaient à ce que les Italiens- au courant de la liste- tirent au contraire de leur habitudes. Donc, ne rien changer!

Mais comment ça des « habitudes » dans un exercice qui consiste précisément à surprendre? Il faut comprendre l'extraordinaire peur de rater qui saisit le joueur qui s'apprête à tirer dans une séance de tirs au but dans une demi-finale de la Coupe du monde. Peur de causer l'élimination de son pays, peur d'être l'auteur du ratage dont on parlera encore 20 ans après. Peur, en particulier, de tirer haut et que le ballon frappe la barre transversale ou file au-dessus. D'où, vous le noterez dans ces séances, des tirs bas pour la plupart. D'où, aussi, la prudence du tireur, qui aura tendance à opter pour le tir (et le côté) qui lui réussit le mieux.

Contre l'Italie, on est passé à deux minutes près d'une formidable « mind game ». Beaucoup de gens détestent cet exercice « injuste », disent-ils. Moi j'aime ces petites morts où c'est celui qui tire qui risque de mourir.

EN CE TEMPS-LÀ

Juin 74, Coupe du monde en Allemagne, extrait de ma chronique datée de Hanovre sur le sujet du jour: des joueurs Argentins se sont plaints de l'interdiction qui leur a été faite d'avoir des relations sexuelles pour toute la durée de la Coupe. Juillet 2006, titre de la revue française Sport: « Sexe, Mondial et divergences... des sélectionneurs voudraient interdire à leurs joueurs d'avoir des relations sexuelles, la veille d'un match. Juillet 2032, extrait du compte-rendu de l'envoyé de La Presse à la Coupe du monde à Carcassonne: l'entraîneur des Brésiliens se demande s'il est bien raisonnable que ses joueurs aient des relations sexuelles entre les deux périodes.»

Juin 74, rien à voir, mais extrait de la même chronique: appelée à désigner la révélation de cette Coupe du monde, la grande majorité de mes confrères de la presse internationale ont désigné le gardien de l'équipe d'Haïti, Henri Francillon. Un chat sauvage pour les uns. Une panthère noire pour les autres. Pour moi, un lampadaire qui a éclairé cette Coupe du monde de tous les feux de sa grande classe.

CRAMPONS

Adi et Rudi s'aimaient comme des frères qu'ils étaient. De leur vrai nom Adolf et Rudolf Dassler. Et puis un jour, nul ne sait pourquoi, Adi et Rudi se mirent à se détester comme des frères qu'ils étaient. Rudi quitte alors la fabrique de chaussures familiale pour aller en ouvrir une autre, qui deviendra Puma. Adi, c'est Adidas. Les frères sont morts (et enterrés dans le même cimetière, mais pas dans la même tombe), la guerre entre les deux marques continue. Au grand plaisir de Nike, qui vend pour 11 milliards de runnings par année, alors qu'Adidas vend pour 7 milliards et Puma pour 2,5 milliards. À cette Coupe du monde, Puma chausse notamment les joueurs de l'Italie et de la Suisse. Nike ceux du Brésil et des États-Unis. Adidas la France, l'Argentine, l'Espagne, tandis que les Anglais sont allés se chausser chez Umbro, une marque anglaise qui chausse aussi les Suédois (N. B.: avec l'aide et les chiffres du Courrier international No 813).

PRIÈRES

Paraît que le pape a regardé le match Italie-Allemagne. Paraît qu'il priait pour la victoire de son pays, l'Allemagne. De deux choses l'une. Ou le bon Dieu ne s'intéresse pas à la Coupe du monde. Ou il ne s'intéresse pas au pape.