Le lundi 10 juillet 2006


C'est l'Allemagne qui a gagné
Pierre Foglia, La Presse

Berlin

Cela prenait un certain culot pour tenir la finale de cette Coupe du monde à l'Olympiastadion - même rénové, même avec son allée Jesse-Owens - où Hitler présenta les jeux olympiques de 1936. Loin d'être le plus beau stade de soccer d'Allemagne, l'Olympiastadion rappelle les grandes pompes des monuments fascistes. À bien y penser ce n'était peut-être pas du culot, mais tout le contraire, l'humilité de dire au monde, voilà, c'est de là que nous venons, nous le savons, nous l'assumons.

L'Olympiastadion comme gros point final à ces quatre semaines durant lesquelles l'Allemagne a marché à visage découvert, osant entonner son hymne national et arborer ses couleurs pour la première fois depuis 60 ans, vibrant à un nationalisme léger... mais même léger, il n'est pas un Allemand à qui ce mot-là, nationalisme, n'écorche pas encore un peu la bouche.

La dame de la pension où je loge, enceinte jusqu'aux yeux, les joues barrées de deux traits noir et rouge me disait hier : j'ai l'impression que c'est l'Allemagne de ma génération, les 30-40 ans, qui a enfin pris le pouvoir durant cette Coupe du monde, mais si on a pu le faire c'est grâce à nos parents qui parfois, jusqu'à l'exaspération pour nous qui sommes nés après l'Histoire, ont cultivé la mémoire de ce qui s'était passé. Vous vous êtes promené dans Berlin ? Ce sont ces lieux de mémoire que vous voyez partout qui nous permettent d'avancer. Mais nous n'avions encore jamais fait un pas aussi grand que pendant cette Coupe de monde de foot. Notre sentiment aujourd'hui, bien plus fort que le regret de ne pas avoir gagné la coupe, est qu'on s'autorise enfin à être un pays normal.

Quatre semaines plus tard on est loin des titres du début de la Coupe comme [Berlin capitale du foot et des prostituées]. Berlin s'est endormie hier soir rassérénée, capitale d'un pays soulagé. L'Italie a gagné sur le terrain, mais c'est l'Allemagne qui sort finalement grand vainqueur de cette Coupe qu'elle a superbement organisée.

Rendez-vous dans quatre ans en Afrique (du Sud), les parenthèses sont pour dire que c'est tout un continent qui sera concerné, même si on a prudemment confié l'organisation de la coupe au plus occidentalisé des pays africains. Autre rendez-vous lourd de symbole. L'Afrique qui a tant donné et donne tant encore au sport, et reçu si peu en retour. Le continent où jamais n'a été présenté un événement sportif planétaire, sauf le match Ali-Foreman en 74. L'Afrique qui a été si souvent si souvent en finale de la Coupe du monde, encore hier, avec les Black et le Beur des Bleus. Et d'où pensez-vous que vient le sang noir qui coule dans le soccer brésilien ?

L'Afrique qui a offert au monde ses coureurs aux pieds nus, ses esclaves dont l'un est devenu Pelé, l'Afrique décolonisée et aussitôt recolonisée autrement, l'Afrique accueillera la coupe du Monde de foot de 2010. Une bien petite justice, mais tout de même un début de justice.