Le mercredi 12 juillet 2006


Un héros moderne
Pierre Foglia, La Presse

Bourg-en-Bresse

C'était le sujet de conversation à toutes les terrasses de la Place du Corbeau, lundi en fin d'après-midi, quand je suis arrivé à Strasbourg. En fait, c'était et c'est toujours le sujet de conversation de toute la France.

Qu'est-ce que Materazzi a bien pu dire à Zidane?
J'ai entendu toutes les versions: putain de ta mère, putain de ta soeur, terroriste... Des milliers d'Algériens, en ce moment, en France, tiennent de leur belle-soeur qui connaît le propriétaire du café du village d'où vient Zidane en Kabylie, café où va boire le grand-oncle de Zidane, que Materazzi a dit: enculé de tes morts.

Je suis prêt à prendre des paris sur ce que je vous avance ci-après.

1- On ne saura jamais ce que Materazzi a dit à Zidane.
2- Dans quelques jours, Zidane va s'excuser publiquement de s'être emporté, de ne pas s'être rendu à la remise des médailles, et il refusera de révéler ce que Materazzi lui a dit, prétextant que ce serait exciter les passions pour rien.
3- Materazzi a probablement agi sur le conseil d'anciens coéquipiers de Zidane du temps où il jouait à la Juve. Buffon? Anyway. Quelqu'un a donné à Materazzi le mode d'emploi pour faire sauter une coche à Zidane. Dis-y ça!

Ça quoi? Je jurerais une vacherie plus qu'une insulte raciste. Un coup bas. Un truc dont Zidane lui-même n'est peut-être pas très fier (raison de plus pour ne pas en parler!).

Mais allez, ne vous inquiétez pas. Vous allez retrouver votre Zizou dans toute son intégrité. Au moment où on se parle, les meilleurs spécialistes en « damage control » des plus grandes agences de relations publiques de France mettent la main à la toute dernière version des regrets de Zidane, et peaufinent sa réhabilitation. Vous allez retrouver votre héros plus grand qu'avant.

J'ai curieusement reçu plusieurs courriels qui font un lien entre Zidane et Maurice Richard. Pour l'amour du ciel et du sport, où êtes-vous allés chercher cette déraison?

Sur le plan sportif, Maurice s'était fait suspendre pour les deux derniers matches de la saison et toutes les séries éliminatoires, d'où l'émeute. Zidane s'est fait virer à la 110e minute d'un match sur lequel il ne pesait absolument pas. Barthez et lui ont été, de loin, les moins bons des Français de cette finale.

Quant à la texture des personnages, rien à voir. Maurice n'a jamais été au centre de sa légende. Maurice ne savait pas qu'il était le héros d'un peuple. Et surtout, Maurice n'était pas un produit.

Zidane, comme tous les héros modernes, est un produit. Le produit de tous ses sponsors, Danone, Orange (cellulaires), Adidas, Audi, les vêtements Zannier.

Prenons la simplicité- la plus authentique qualité de Zidane, selon ces thuriféraires. Je ne vous dis pas qu'elle est fabriquée, je vous dis qu'elle est cultivée, mise en marché. Zidane a été un formidable joueur de foot. Le reste, c'est de la mise en marché.

Maurice Richard est passé complètement à côté de son personnage. Alors que Zidane joue le sien avec conviction. L'autre jour, dans L'Express, un grand papier sur Zidane sous ce titre: « Zidane, icône malgré lui ». Mon cul, malgré lui.

ET L'OBJECTIVITÉ, BORDEL?-Pas fâché que ce soit fini. Pourtant, j'ai adoré l'Allemagne. De Berlin à Strasbourg, le train a traversé des paysages magnifiques sillonnés de petites routes à pédaler qui m'ont donné envie d'y retourner. Heureux que ce soit fini, pourtant encore, ce sont mes premières belles retrouvailles avec le foot depuis... oh mon dieu, bien longtemps.

Mais dieu que les fans sont décevants. Je connais des amateurs de hockey enthousiastes, chauvins, fanatiques, qui sont pourtant capables d'un minimum d'objectivité quand vient le temps de juger ce qui se passe sur la glace. Je ne connais pas d'amateurs de soccer capables de parler avec objectivité de ce qui se passe sur le terrain.

Un exemple. Qui fera hurler, mais j'en appelle à nos analystes de soccer pour qu'ils confirment le fait: sur le premier but, celui des Français, le penalty réussi par Zidane à la suite d'une soi-disant faute de Materazzi sur Malouda: il n'y a pas de penalty. Malouda plonge. C'est clair sur toutes les reprises. Malouda plonge.

La faute d'arbitrage ne me dérange pas. Ce qui me dérange, c'est que pas un seul journal français ne relève le fait. Excusez, si, il y a aujourd'hui trois petites lignes dans Le Monde: " L'arbitre aurait dû refuser le premier penalty pour un plongeon de Malouda ". L'Équipe, elle, s'est contentée d'avoir un doute. En plus, je suis sûr que c'était prémédité. Les Français n'ont pas la réputation de plonger, donc quand ils tombent, ça doit être vrai. Et tomber devant ce grand bûcheron de Materazzi, c'était le coup parfait.

Dans la plupart des courriels que je reçois, il est fait état de la nette domination des Français. Or, la première demie était, tout au contraire, nettement à l'avantage des Italiens. C'est un fait objectif, que tous les journaux français admettent, mais pas les amateurs. Où étiez-vous au moment de la tête de Toni sur la barre alors que Barthez était battu? La deuxième mi-temps est Française... et Buffonienne. Un Buffon magistral à chaque fois que les Français ont menacé. Et Buffon, jusqu'à preuve du contraire, fait partie de l'équipe italienne, il est payé pour arrêter des ballons. Pas seulement contre la France. Les Italiens ont gagné la Coupe du monde grâce à trois joueurs: Buffon, Pirlo et Cannavaro.

Oui, et cette fois vous avez raison, l'arbitre aurait dû accorder un penalty aux Français pour la faute de Zambrotta sur le même Malouda vers la 55e minute. Mais le but de la tête de Toni, refusé pour hors-jeu était bon, y'avait pas de hors-jeu.

Je ne vous émets pas là des opinions. Je ne gueule pas contre l'arbitrage. Je vous parle pas de ce que j'ai vu dans le stade où j'étais incroyablement mal placé. Je vous parle de pièces de jeu que j'ai revues dix fois au ralenti.

M'excuser de ce que j'ai dit des communautés culturelles? Vous allez attendre longtemps. Quand tous les connards qui se réclament de leur nationalité portugaise, italienne, française, marocaine, tunisienne, algérienne, argentine, équatorienne, pour prétendre à une soi-disante science du foot que ne pourraient partager les Nord-américains parce qu'ils sont... Nord-américains, quand tous ceux-là se seront excusés de leur colonialisme, je vais peut-être penser à m'excuser d'avoir déploré que les communautés culturelles soient si peu culturées.

Je vais finir " ma " Coupe là-dessus. J'ai dit que j'avais la plus mauvaise place du stade, c'est pas vrai, c'est mon collègue Guillaume Dumas du Soleil qui l'avait. J'étais juste à côté de lui, je voyais au moins les trois-quarts du terrain. Lui, juste la moitié. On était dans la dernière rangée, presque sur le toit, la vue bouchée par un studio de télévision. En fait, on a suivi le match sur l'écran géant du stade. Sauf que l'écran géant est tombé en panne pendant de longues minutes...

Quand je suis arrivé à l'hôtel à Strasbourg, le même hôtel qu'il y a une semaine quand je suis venu couvrir le départ du Tour de France, le même jeune homme à la réception me lance, très impressionné:
Comme ça vous avez vu la finale?
Oui.
Vous étiez dans le stade, à Berlin?
Oui jeune homme, j'étais là.
Ses yeux brillaient, mon vieux.