Le vendredi 30 juin 2006


Le grand ménage?
Pierre Foglia, La Presse, Tour de France

Strasbourg

Je sais. J'avais annoncé ma retraite en même temps que Lance Armstrong, souvenez-vous, c'était mon titre au départ du Tour, il y a un an: « Son dernier, moi aussi »!

T'aurais dû m'en parler avant de l'annoncer à la terre entière, m'a gentiment reproché mon boss... Allez, il ne m'a pas tordu le bras bien fort pour que j'y retourne, mais je tenais quand même à préciser que c'est de sa faute si j'ai l'air, ce matin, de Charles Aznavour dans sa 23e tournée d'adieu.

Me revoici donc sur le Tour, échappé de la Coupe du monde de foot à laquelle je retournerai dès lundi pour les demi-finales et jusqu'à Berlin pour la finale. Le foot qui, pour l'instant, occupe cent mille fois plus les Français que le vélo. Les Bleus semblent partis pour la gloire et la France n'en a que pour Zizou retrouvé.

Et même. Même sans le foot pour faire de l'ombre au vélo, je sens la France un peu lasse de son Tour qui ne lui apporte que des scandales et jamais aucun Zidane.

Strasbourg elle-même, si délicieusement provinciale, je veux dire bien disposée aux kermesses et aux flonflons, Strasbourg a peu vibré à la présentation des coureurs, hier, en fin d'après-midi. Je ne sais quel innocent a eu l'idée de faire arriver les coureurs en bateau devant le palais Rohan, mais à l'heure où le peloton est une nouvelle fois secoué par un énorme scandale de dope, l'image de ces coureurs descendant au fil de l'eau, a aussitôt évoqué le naufrage d'un sport qui n'en finit plus d'aller de tempête en tempête.

Il y a l'affaire Armstrong qui empoisonne le fond de l'air depuis un an.

Mais il y a surtout l'opération Puerto, la plus grande opération contre le dopage à n'avoir jamais été lancée dans le sport.

Le 23 mai, à Madrid, Manolo Saiz est arrêté dans un bar alors qu'il vient d'acheter pour 60 000 euros (quelque 84 000 $ CAN) de produits dopants. Manolo Saiz est directeur technique de l'équipe Liberty Seguros, président dictatorial de l'Association des groupes sportifs professionnels, grand manitou du cyclisme espagnol, proche de l'UCI, un des personnage les plus influents du cyclisme international.

Enclenchée en janvier dans un pays reconnu pour sa grande complaisance envers le dopage, l'opération a permis la mise à jour d'un vaste réseau, impliquant près de 200 athlètes, dont 58 coureurs cyclistes dont les noms sont gardés secrets en attendant la conclusion de l'enquête. Mais bien sûr, il y a eu des fuites. Deux coureurs de Phonak aussitôt écartés. Jan Ullrich qui proteste de son innocence. Mancebo. Basso...

Deux cents poches de sang sont saisies, ce qui confirme la grande popularité dans le peloton de l'autotransfusion, indétectable. Sont également saisis de l'EPO- indétectable aussi quand " bien " utilisée- des anabolisants, des hormones synthétiques. Au coeur de ce scandale deux hommes, le médecin sportif Eufemiano Fuentes (ex-médecin de la Kelme) et le directeur d'un labo d'analyses, José Luis Merino. Ils avaient pour clients des coureurs, des directeurs techniques d'équipes pros comme Manolo Saiz, de la Liberty Seguros, et comme celui de la Communitad Valenciana.

La Valenciana, invitée spéciale du Tour a été récusée immédiatement. Pour l'autre, qui relève du Pro Tour, il appartenait à l'Union cycliste internationale de prendre des sanctions. Mais l'UCI, comme d'habitude (comme dans l'affaire Armstrong), tergiverse, attend des preuves- ça fait 20 ans que l'UCI attend des preuves de ce que tout le monde sait- l'UCI, disais-je, ferme une fois de plus les yeux.

Le sponsor principal de Liberty Seguros se désiste. Qu'à cela ne tienne, le leader de l'équipe, le Kasakh Alexandre Vinokourov, ami du président de la république du Kasakhstan, grand amateur de vélo paraît-il, trouve rapidement un commanditaire de remplacement sous forme d'un conglomérat pétrolier kasakh, du nom d'Astana.

Nouveau rebondissement il y a trois jours, des révélations (dans le journal espagnol El Pais) impliquent 15 coureurs de l'ex-équipe Seguros. La direction du Tour n'hésite plus et récuse l'équipe de Vinokourov. Lequel s'en remet aussitôt au Tribunal arbitral du sport (TAS) qui a entendu la cause hier matin. La décision du tribunal était prévisible, faute de preuves- les révélations d'un journal n'en sont pas- le TAS a permis à l'équipe Astana de prendre le départ.

Ce qui éteint la mèche pour l'instant, mais n'empêchera pas la bombe de sauter. Demain? Dans trois jours? La division de la Guardia Civil qui a mené l'opération Puerto a complété son rapport, environ 500 pages, et l'a remis au ministre d'État au sport espagnol, Jaime Lissavetsky. Le ministre a rencontré le procureur public de cette affaire. Aujourd'hui, Lissavetsky rencontre son homologue Français Jean-François Lamour, on sent une hâte de vider l'abcès avant le départ de la Grande Boucle.

Les 58 noms connus aujourd'hui?

Des arrestations, des descentes de police, peut-être une grève des coureurs, ce Tour semble promis à un grand bordel comme en 1998 avec l'affaire Festina. Sauf qu'on devine cette fois, du côté de la direction du Tour, la volonté de faire le ménage.

Et s'il était presque trop tard. Et si c'était en 1998 qu'il fallait le faire. Et si c'était le journal Le Monde qui avait eu raison le 25 juillet 1998 lorsqu'il avait titré: Il faut arrêter le Tour.