Le jeudi 13 juillet 2006


Enfin du beau vélo!
Pierre Foglia, La Presse, Tour de France

Béziers

Des fois je me mets à la place du non-initié. Comme hier. Il reste 10 kilomètres pour arriver à Pau. Deux coureurs en tête qui ne peuvent plus être rejoints. Un Français, Cyril Dessel. Un Espagnol, Juan Miguel Mercado.

Comme ils ont près de 10 minutes d'avance sur le peloton, Cyril Dessel va prendre le maillot jaune. Et comme il a passé en tête les deux cols de la journée, il va prendre, aussi, le maillot à pois du meilleur grimpeur. On voit alors l'Espagnol s'approcher de Dessel, lui adresser quelques mots, et Dessel fait non de la tête.

Je reviens à mon non-initié, dubitatif: Avez-vous une idée, monsieur le chroniqueur, de ce que l'Espagnol a dit au Français?

Plus qu'une idée, monsieur. Une certitude. L'Espagnol a dit au Français: Qu'est-ce que tu penses que Mazeratti a dit à Zidane? Mais non, c'est pas vrai! Le coureur espagnol a dit à Dessel: Tu vas avoir le maillot jaune, tu vas avoir le maillot à pois, t'as tout ce qu'il te faut. Tu me laisses la victoire d'étape?

Hein! Il a essayé de l'acheter?

Non. Ça se fait aussi, mais alors la question est beaucoup plus courte: combien? Pas hier. Dans une échappée à deux, quand un des coureurs hérite du maillot jaune grâce à cette échappée- donc en partie grâce au travail de l'autre coureur- le coureur en jaune laisse parfois, laisse souvent en fait, la victoire de l'étape à l'autre. La demande de l'Espagnol était parfaitement légitime. De son côté, le Français n'a manqué à aucune règle, même d'honneur, en refusant.

Il a expliqué qu'il avait refusé parce que gagner une étape dans le Tour de France, cela marque une carrière et la sienne est plus marquée de petites déceptions que de grands bonheurs. En 2004, il est laissé de côté par l'équipe Phonak juste avant le départ du Tour. L'an dernier, il est victime d'une crise d'appendicite juste avant le départ. Cette victoire, il la voulait. Peut-être aussi que son sponsor (AG2R, une multinationale de l'assurance) ne lui a pas laissé le choix. C'est beaucoup de visibilité, une victoire d'étape dans le Tour de France.

De toute façon, il n'a pas gagné.
L'Espagnol l'a baisé au sprint, finalement.

Une belle course. Cette première étape pyrénéenne a donné plus qu'elle ne promettait. Oh! rien de bien spécial à signaler du côté des favoris, mais du beau vélo. Une course vivante, ouverte. Il était clair pour tout le monde, au départ hier matin, que les T-Mobile ne défendraient pas le maillot jaune de Honchar. Trop de travail. Trop encombrant.

Il y avait donc un maillot jaune à prendre. Et c'est ce Cyril Dessel qui est allé le chercher, à la pédale. Partis 14, ils n'étaient plus que cinq en haut du Soudet: Dessel; l'Espagnol Mercado, de l'équipe française Agritubel; le Basque d'Euskaltel, Inigo Landaluze; il y avait aussi Rinero, de Saunier Duval. Je crois qu'au début de la saison, ce Rinero fut le compagnon de chambre de Charles Dionne. Il y avait là encore Christian Moreni, l'Italien de Cofidis; Vasseur aussi.

Après les raidillons de Marie-Blanque, ils n'étaient plus que trois, Dessel, Mercado et Landaluze qui tentait de recoller et n'y parvint jamais.

Il restait une douzaine de kilomètres quand Mercado a demandé à Dessel de lui laisser la victoire.

Devant le refus de Dessel, Mercado s'est installé sur le porte-bagages du Français, n'assurant plus aucun relais. C'est Dessel qui est allé au charbon pour les 10 derniers kilomètres. Un solo qui lui a coûté la victoire. Aux 250 mètres, Mercado a débordé le Français visiblement dans le rouge, on l'eût été à moins.

Du beau vélo. C'est vrai que l'atmosphère a changé. C'est vrai que la course est plus ouverte, plus débridée. C'est vrai qu'on respire mieux. Cela a à voir, bien sûr, avec la purge au départ du Tour, mais pas parce qu'on est au début d'un temps nouveau comme le répètent les mêmes joyeux totons depuis 10 ans. L'atmosphère est différente dans le peloton, tout simplement parce que le peloton n'a plus de patron. Lance Armstrong n'eût pas permis que les échappés d'hier prennent 10 minutes (et il aurait eu raison, ce Dessel est un très bon coureur, bien meilleur que les chouchous habituels des Français).

Si Basso et Ullrich n'avaient pas été renvoyés dans leur foyer, ils auraient eu leur première passe d'armes dans le col du Soudet et dans celui de Marie-Blanque. Alors qu'hier les T-Mobile ont assuré un bon train dans les deux cols cités mais sans rien casser, et tous les autres prétendants- Landis, Hincapie, Savoldelli, Cadel Evans- tranquilles derrière eux. Sauf Leipheimer, qui peinait à suivre même s'il a fini dans le peloton. Sauf Iban Mayo, qui a sombré dans le premier raidillon.

Les T-Mobile, hier, étaient en démonstration. C'était comme une revue d'effectifs. Il y avait là Rogers, Klöden, Kessler, Sinkewitz, Guerini, une impressionnante revue d'effectifs. Franchement, si le Tour échappe encore cette fois au T-Mobile, l'an prochain, je leur propose mes services comme coach.

INSUPPORTABLE- Gagnant de deux Tours de France au début des années 80, Laurent Fignon a sûrement été un des coureurs professionnels les plus insupportables que j'ai eu à côtoyer. Le voilà analyste à France 2, deux heures tous les jours, un Fignon égal à lui-même, suffisant, professoral, chaque cliché, chaque évidence prenant la forme d'une leçon de cyclisme. Quand je courais...
Quand tu courais, c'était il y a plus de 20 ans, ce n'est plus la même course du tout.
Fignon a pris la place de Jalabert qui s'était terriblement emmerdé l'an dernier en studio et qui a demandé à retourner sur la moto, d'où il commente la course en direct. Tout le contraire de Fignon. Commentaires pertinents, documentés, connaissance des coureurs, du milieu... et, bien sûr, Fignon en prend ombrage et ne cesse de contredire Jalabert.

In-sup-por-table.

THE PHONE HOUSE- Cette enseigne rue principale de la petite ville où je me suis arrêté hier midi, pour acheter des trucs: The Phone House. J'entre et je dis au jeune homme: Pourquoi pas la maison du téléphone?
Il me répond gentiment: Parce que ce serait trop banal.

Parenthèse: je ne suis pas de ceux qui reviennent de France en disant oh là là! les Français qu'est-ce qu'ils emploient comme anglicismes. Les Français insèrent des mots anglais dans une structure grammaticale qui reste hyper française. D'un point de vue structural, les Français corrompent moins la langue que nous le faisons au Québec, et c'est sans parler des féminisations à la con.

Ce qui m'agace en France, c'est cette extrême séduction qu'exerce la langue anglaise sur les jeunes Français. Je sens que s'ils avaient le choix, ils choisiraient de vivre en anglais. Comme si on avait le choix. Comme si la langue n'était pas la chair et le sang. Comme si la langue ne servait plus qu'à se téléphoner de phone house en phone house.

DEMAIN- Tarbes-Val d'Aran Pla-de-Beret, 207 kilomètres. La grande étape pyrénéenne avec le Tourmalet, l'Aspin, Peyresourde, le Portillon et finalement Pla-de-Beret qui se trouve en Espagne (à 40 kilomètres de la frontière). Ce sera une fausse arrivée en altitude, trois kilomètres de faux-plat légèrement descendant après le sommet et une dernière ascension pas trop difficile.

Une bagarre au sommet? Ce serait étonnant. Plutôt une étape comme hier, une échappée au long cours, et des leaders qui se neutralisent derrière. Peu probable que Dessel reste en jaune, mais pas complètement impossible. À prévoir: un grand numéro de Rasmussen, le Danois fou.