Le samedi 15 juillet 2006


Pas de souci
Pierre Foglia, La Presse, Tour de France

Carcassonne

Pas de souci! La formule du jour en France. Vous dites n'importe quoi, neuf fois sur 10 on vous répondra: pas de souci, monsieur.

Une de ces fixations de langage qui n'arrivent pas par hasard. Il n'est sûrement pas innocent que les Français répètent à tout bout de champ « pas de souci » alors que, justement, ils en ont tant, de soucis. Rien qu'à voir la tête que faisait M. Chirac dans son adresse à la nation, en ce 14 juillet, on voyait bien que ce n'étaient pas les soucis qui manquaient. Mais revenons au vélo. Quand on a demandé à John Lelangue, le Français qui est directeur technique de la Phonak (l'équipe du maillot jaune Flyod Landis), quand on lui a demandé si cela ne l'inquiétait pas un peu de savoir Popovych en échappée, quatre minutes devant, il a répondu: pas de souci. Exactement comme les Français, qui en ont plein.

Mais si, un souci. C'est bête d'avoir laissé partir Popovych, le seul leader qui reste à la Discovery. Toute une étape de montagne, la veille, pour lui prendre six minutes, et là, lui en donner cinq, comme ça, sur le plat, pour rien. À moins qu'on me cache des choses, pas fort tactiquement.

Curieuse échappée. Outre Popovych, il y avait l'Espagnol Oscar Freire, déjà deux victoires d'étape dans ce Tour, Freire qui allait en plus donner à son équipe, la Rabobank, l'excuse de ne pas travailler en tête du peloton. Résultat, les Phonak étaient seuls à mener la chasse, à suer comme des cochons en tête du peloton sur les petites routes chauffées à blanc de l'arrière-pays de l'Arriège.

Deux autres coureurs dans l'échappée, « normaux » ceux-là, le sprinter de la Lampre, Alessandro Ballan, et un de ces sympathiques jeunes Français dont je vous parlais hier, Christophe Le Mével.

Petit train va loin: ils ont pris quatre minutes et demie au peloton, ils les ont gardées jusqu'à la fin.

Dans le final, Le Mével s'est fait sortir des roues à la première accélération de Popovych. C'est la seule logique qui a été respectée dans cette course. Comment Oscar Freire, deux fois champion du monde, coureur aguerri qui connaît tous les trucs, de loin le meilleur sprinter des trois, a-t-il pu laisser échapper cette victoire? Comment ne pas penser à une entente? Mais alors qui aurait acheté quoi? Popovych a attaqué quatre fois. Chaque fois, Ballan revenait, ramenant Freire sur son porte-bagage. La quatrième attaque de Popovych a été la bonne. Ballan n'en pouvait plus et Freire, encore une fois, n'a pas levé le petit doigt, laissant filer l'Ukrainien vers sa première grande victoire chez les pros.

Voilà Popovych dixième, à quatre minutes de Landis.
Pas de souci?
Et si l'Ukrainien, boosté par sa victoire, faisait un grand numéro dans les Alpes?
Mais il n'y pas eu que de bonnes nouvelles, hier, pour la Discovery. Abandon après quelques kilomètres de Paolo Savoldelli. La veille, après la course, en redescendant de Pla-de-Beret à vélo- comme bien des coureurs le font pour éviter les bouchons-, Paolo a heurté un spectateur et s'est blessé au front. Accident providentiel, Savoldelli cherchait justement comment sortir de ce Tour. On peut même se demander s'il a jamais voulu y entrer. Abandon aussi de Benjamin Noval, également de la Discovery, pas tellement plus motivé que Savoldelli. Si j'étais Michael Barry, le Canadien de la Discovery qui aurait pu, qui aurait dû faire le Tour, j'aurais aujourd'hui plus que des regrets, je serais carrément en crisse.

LE VOYAGE À CARCASSONNE- Le Tour était à Carcassonne, hier. J'ai rêvé de Carcassonne bien avant d'y aller. La musique du mot. J'ai toujours pensé que ce qui sonnait dans Carcassonne était l'heure de la sieste. Encore aujourd'hui, quand je veux dire province endormie, je dis Carcassonne. Le mot évoque aussi mes premiers contacts avec le surréalisme par le Groupe de Carcassonne et un poète dont j'oublie le nom. Bref, il y a quelques années, avec ma fiancée, la même fiancée, on atterrit à Toulouse, les boîtes des vélos dans l'auto et envoye à Carcassonne, le voyage devait commencer là. Mais voilà que, dans l'auto, je suis malade. Une de ces violentes migraines qui me prennent une ou deux fois par année, 12 heures à vomir. Pas question de faire un kilomètre de plus. On arrête dans un motel, si rare en France, à 10 kilomètres de Carcassonne, dans une petite ville sans aucun intérêt qui s'appelle... Montréal. Je vous jure. D'ailleurs, le Tour y passait hier. Douze heures après, me revoilà sur pied. Et puis, Bébé, qu'as-tu fait tandis que j'agonisais?
Je suis allée à Carcassonne.
Chanceuse. Pis? C'est beau?
Ouais.
As-tu vu les remparts?
Non.
As-tu vu la basilique?
Non.
Es-tu allée au musée des beaux-arts?
Arrête donc. Tu sais bien que je ne vais pas dans les musées. Toi non plus, d'ailleurs. Tu sais parfaitement où je suis allée.
Attends, laisse-moi deviner, t'es allée au Castorama!
Yessss.
T'as vu des belles affaires?
Yessss.
Et de me déballer ses trésors. Des poignées de portes et autres ferrures imitation Moyen-Âge qui sont ajourd'hui fixées sur la porte de la cave. Si bien que, chaque fois que je vais à la cave, je pense à Carcassonne. Où je suis enfin allé hier, pour vrai.
Pis? me demandez-vous. C'est beau?
Ouais.

LE MOT JUSTE- Ce message sécuritaire sur les panneaux lumineux des autoroutes françaises: " J'anticipe, j'assure, et je ralentis. " J'essaie d'imaginer l'impact du même message sur les autoroutes québécoises. J'anticipe? Anticiper a plus le sens, chez nous, d'espérer que de prévoir. Mais c'est " j'assure " qui dérouterait. Cette contraction de " je m'assure que ", très courante en France, n'a pas franchi l'Atlantique. Anyway. Si on me demandait de québéciser cette verbeuse formule franco-française, je supprimais justement les verbes, cela donnerait quelque chose dans le genre de: " Moins vite, tata! "

LA CLAMEUR- Des fois, je ne suis pas vite. Ça m'a pris des années avant de découvrir la radio de France-Culture. J'écoutais Radio-Tour, t'imagines! Pas de pub à France-Culture, débats pointus sur le théâtre, la littérature, l'écriture, des lectures de grands textes, avec bruitages, mise en scène... Mais des fois aussi ça vire à une Radio-Tour intello. Là, ça fait trois jours qu'ils tournent autour de Marguerite Duras, qui est jouée en ce moment au festival d'Avignon. Duras, c'est la mer. La mer, j'y vais jamais. Duras pareil, j'y vais pas. La mer, c'est pas la mer, c'est les bronzés autour. Duras, c'est pas Duras, c'est les gens autour. Y m'énarvent.

Allez, on éteint la radio, on écoute Les Vieux Copains, de Ferré: Les vieux copains tout ridés fatigués, tout salis par le temps/je suis un de ceux-là mon Dieu rendez-moi la folie. La poésie est une clameur, disait Ferré, qui est mort dans un cri terrible, en plein Tour de France: fuck, je saurai pas qui c'est qui va gagner! Ben non, c'est pas vrai. Eh! que vous êtes nonos.

MYSTÈRE- On revient au vélo pour finir. Le Dauphiné libéré, juste avant le Tour de France. Favori: Floyd Landis, le probable vainqueur du présent Tour de France. La première étape de montagne du Dauphiné se termine en haut du mont Ventoux. Dès les premières rampes, Landis craque. Il est à, ce moment-là, avec le Hollandais Moerenhout et le Canadien Ryder Hesjedal, il garde le Hollandais avec lui pour lui tenir la main, il libère Hesjedal: vas-y, fais ta course (Hesjedal va d'ailleurs faire une très belle montée du Ventoux).

Mais dites-moi, comment un coureur, qui se traînait dans le Ventoux il y a cinq semaines, peut-il, cinq semaines plus tard, survoler une étape de cinq cols en laissant une incroyable impression de facilité? Il a dû monter en puissance, comme disent les journalistes sportifs.

AUJOURD'HUI- Béziers-Montélimar, 230 kilomètres. C'est long, 230 kilomètres, même quand c'est plat. Et puis il y aura peut-être du vent. Arrivée massive probable, quoique, à ce point-ci du Tour, le peloton, fatigué, se laisse plus facilement endormir. Tout ça pour aller manger du nougat. Montélimar est la capitale du nougat. Un frère de mon père avait émigré à Montélimar, où il était... croque-mort. Le zio de Montélimar venait nous visiter parfois, apportait bien sûr du nougat mais, dans ma tête, les deux mots étaient associés: croque-mort et nougat. Ce machin délicieux qui me collait aux dents, peut-être qu'il y avait du mort dedans?
Tu manges pas ton nougat? C'est pas bon?
C'est très bon, tonton, mais je le garde pour demain.