Le dimanche 16 juillet 2006


Magouilles
Pierre Foglia, La Presse, Tour de France

Montélimar

Cela fait déjà quelques années que le cyclisme français se cherche non pas un vainqueur du Tour de France, mais un petit quelque chose à aimer, un coureur sympathique qui ne se contenterait pas d'être sympathique, qui serait un peu devant aussi, qui en gagnerait une de temps en temps. Ils ont bien Moreau, mais il est chiant, Moreau. Alors depuis deux ou trois ans, ils se rabattent sur Chavanel, Casar, Hinault. Surtout Chavanel qui, à chaque début de saison, promet que c'est cette année qu'on va voir ce qu'on va voir. On ne voit rien du tout. Il en est le premier malheureux, remarquez. C'est pas une grande gueule, ni un prétentieux. Il veut. Mais il ne peut pas trop.

Et en plus il court mal. Mais mal! Hier, il aurait dû gagner. Il a été impatient, brouillon. Il a surtout manqué de jugement.

Ils étaient cinq en échappée depuis le départ ou presque. Ils avaient exactement une demi-heure d'avance sur le peloton. Une demi-heure! Des écarts comme dans les années 60, quand ça causait dans le peloton comme dans un salon, quand en passant près de la mer, le peloton allait se baigner. Ils ne sont pas passés près de la mer, hier, mais le peloton a quand même été à la plage toute la journée.

Les Phonak roulaient devant parce que ça prend quelqu'un devant, mais ils avaient décidé de ne pas défendre le maillot jaune de Landis. Rien à foutre de ce maillot. Que du travail et de la sueur. Si vous voulez mon avis, je trouve que ça leur a pris bien du temps pour s'en rendre compte, mais bon, revenons aux échappés.

Ai-je dit qu'ils étaient cinq? Et avec cette demi-heure d'avance, tout leur temps pour régler leurs petites affaires dans le final. L'Ukrainien Grivko lance la première attaque et se fait lâcher sur le contre qui suit. C'est comme un soldat qui dégoupille une grenade et la garde dans sa main...

Les voilà quatre. Chavanel donc. Jens Voigt, le vieux renard. Oscar Pereiro Sio, le mieux classé au général, qui va prendre le maillot jaune, c'est sûr. Et un Italien. Chavanel apparaît le plus frais, le plus en jambes, il est sans doute aussi le plus rapide au sprint. Il jauge les trois autres: le danger devrait venir de l'Italien, estime-t-il. Grosse erreur. Dans une échappée où il y a Jens Voigt, le danger vient de Jens Voigt. Chavanel, qui ne s'occupe que de l'Italien, réagit trop tard au démarrage de Voigt et de l'Espagnol. Salut, bonsoir, ils sont partis. Oui, je souhaitais la victoire de Chavanel. Parce qu'on aurait eu un vainqueur. Tandis qu'avec les deux autres, on a eu du commerce.

Voigt à Pereiro: vu que tu prends le maillot, tu me laisses l'étape?
Pereiro: Fais-moi une meilleure offre que ça.
Voigt: Combien?
Combien vaut une étape du Tour de France? Je ne sais pas, je ne le leur ai pas demandé. De toute façon, ils mentaient effrontément à l'arrivée: non non, on n'a pas passé de marché! Anyway. Voilà Floyd Landis enfin débarrassé de son maillot jaune. S'il avait été vraiment malin, il ne l'aurait pas pris dans les Pyrénées, il l'aurait laissé à Dessel. Ça fait deux jours que les Phonak défendent ce machin pour rien. Les Phonak passent pour être une équipe mal dirigée.

Ce n'est peut-être pas complètement faux.

HIER AUSSI!- C'est la deuxième journée de suite qu'il se passe des choses pas claires à l'arrivée. Je laissais entendre dans mon texte d'hier qu'il y avait eu magouille à l'arrivée à Carcassonne. Je vous le confirme.

L'arrangement ne s'est pas fait entre les coureurs, cela s'est fait au niveau des directeurs techniques. L'Espagnol Oscar Freire, de la Rabobank- qui aurait pu s'imposer aisément à Carcassonne- a reçu l'ordre de ne pas courir après Popovych. D'où sa passivité à chaque démarrage de l'Ukrainien. Freire était furieux après la course et a refusé de s'adresser à la presse.

Donc, une entente entre la Discovery et Rabobank.

Rabobank c'est l'équipe de Freire, mais aussi de Menchov, l'adversaire le plus menaçant pour Floyd Landis pour la victoire finale. Discovery, qui se trouvait fort démunie après l'effondrement de ses troupes dans les Pyrénées, a-t-elle promis son aide à Menchov en échange d'une victoire d'étape? Le journal L'Équipe insinuait hier matin qu'il y aurait du Armstrong là-dessous. Armstrong qui arrive sur le Tour demain mais qui, en attendant, est en contact permanent avec Johan Bruyneel, son ami et toujours directeur technique de la Discovery. Armstrong, toujours très remonté contre Landis, aurait ourdi ce marché pour aider les Rabobank. Paranos, mes collègues de L'Équipe qui voient Armstrong partout?

Mes collègues belges de Dernière Heure, que je voisine dans la salle de presse, abondent dans le même sens que L'Équipe. C'est Armstrong! Ce type est complètement obsessif et il va faire tout ce qu'il va pouvoir pour que Landis ne gagne pas.

Quoiqu'il en soit, ces magouilles deux jours de suite pourrissent le cyclisme plus sûrement et plus cyniquement que la dope.

SALE CHIEN- La première fois qu'elle a fait le Tour de France, elle avait quelques mois. Elle tenait dans la main de son maître, Guy Dedieu, un collègue pigiste pour la télé. Elle a aujourd'hui cinq ans, c'est son sixième Tour de France, une chienne Yorkshire qui s'appelle Samoa comme les Iles. Petite boule roulée sur une chaise à côté de son maître, quand il se lève pour aller pisser, le voyant s'éloigner, elle pleurniche un peu...
Tais-toi!
Elle me regarde, surprise, à travers les poils qui lui embroussaillent la face.
T'es même pas belle! De toute façon, j'aime mieux les chats. J'en ai sept.
Tu me demandes lequel j'amènerais si j'en amenais un? Celui qui m'aidait le plus à écrire c'était Picotte, mais il est mort, mon Picoti. Là où il est enterré, à la lisière des grandes herbes, poussent en ce moment des petits oeillets saumon.
Quel couleur il était?
Gris. Gris et saumon c'est joli. Mais non, je pleure pas, c'est de la sueur. T'es vraiment conne comme chienne, hein. Tiens v'là ton maître qui revient.

MENU DU JOUR- C'est mal parti pour être un grand voyage de bouffe, après une overdose de fast food turc et paki en Allemagne, me voilà dans le fast food français, si tant est que la pizza soit française. Vendredi soir, à Béziers, j'ai dit allez, ce soir on mange. Un menu bourgeois, à l'ancienne, quand l'entrée était toujours suivie d'un poisson qui précédait la viande. Puis fromage, dessert... Pas terrible. Sauf le dessert, des oeufs à la neige. Pour ce qui me reste à vivre, je pourrais me nourrir exclusivement d'oeufs à la neige, ça donne du cholestérol, mais du bon, du jaune. La viande c'était du lapin à la moutarde. Les Français ne savent pas faire cuire le lapin. Trop de jus. Comme si le but n'était pas de le faire cuire mais de lui apprendre à nager. Le lapin, faut le faire rôtir à l'italienne, avec du thym et le servir avec la polenta. Je vous montrerai.

À la salle de presse de Montélimar, on nous a bien sûr enseveli sous une montagne de nougat. Ah le Québec! Le Québec, s'est extasié Hervé Contaux, nougatier à Montélimar. J'ai été invité à aller faire du nougat à Turkey Hill, près de Waterloo, me raconte-t-il, et devinez ce qu'on a mis dans le nougat québécois, au lieu du miel?
Oh là! C'est difficile! Du sirop d'érable?
Exactement! Je travaille aussi pour La Cabosse d'Or.
Ah oui, le chocolatier de Beloeil.
Vous connaissez! Il est très très bien, non?
N'exagérons rien. Il est correct.
Je voulais dire très très bien pour le Québec...
Il y a souvent un peu de ce parternalisme-là dans l'affection que nous portent les Français.

APPELLATION- Pardon madame, comment appelle-t-on les gens de Montélimar?
Ben tiens! Les Montiliens et Montiliennes.
Pourquoi, ben tiens?
Cela ne vous semble pas évident?
Non madame. À ce premier contact, j'aurais même plutôt penché pour Montélimardien et Montélimardienne.

AUJOURD'HUI- Montélimar-Gap, 181 km. De la vallée du Rhône, on pique vers la Haute-Provence pour rejoindre Gap par des routes de lavande et des petits cols de seconde catégorie. Parcours pour baroudeurs. Demain repos, puis trois étapes de montagne. Ajoutez le contre-la-montre, c'est dire que cette étape vers Gap est une des dernières occasions de se montrer pour les équipes qui n'ont encore rien gagné. Le genre d'étape où les sponsors s'énervent: j'aimerais voir votre maillot à la télé avant l'arrivée à Paris. Des équipes comme Bouygues, la Française des Jeux, Lampre...

Allons-y avec un Italien, Bruseghin tiens, ou pourquoi pas un Millar? En fait, je n'en ai aucune foutue idée. Pis vous m'excuserez, faut que je décrisse, mon hôtel est à 121 kilomètres de Montélimar.