Le lundi 17 juillet 2006


Et si on parlait un peu vélo?
Pierre Foglia, La Presse, Tour de France

Gap

Un traversant la vallée de la Durance aux cent mille vergers, du côté de Taulignan, j'ai pris le temps d'aller cueillir des abricots. À votre place, je les laverais avant de les manger, m'a lancé un peintre qui avait installé son chevalet à l'ombre et peignait les fins nuages blancs du ciel bleu.

On dirait des caravelles, vos nuages.
Vous êtes poète?
Non, je suis journaliste sportif.

Ce que j'ai vu de l'étape, je l'ai vu dans un café, à Serres qui n'est pas sur le parcours, j'ai sorti mon ordi et j'ai commencé à taper ce papier.

Vous suivez les coureurs?
Non, je les précède, mademoiselle.
Il y a des coureurs qui sont tombés tout à l'heure, je ne sais pas lesquels, s'est-elle excusée. On va peut-être le remontrer...

Pierrick Fédrigo est un des ces Français dont je parle depuis quelque jours, gentil comme tout, timide dans la vie comme sur son vélo. Hier, il a osé. Ils étaient six en échappée, trois sont tombés (la serveuse avait raison, ils l'ont remontré à la télé, mais j'ai pas pris les noms), trois sont tombés, disais-je, un autre s'est effacé, restaient deux, Pierrick a battu l'Italien Commesso au sprint, bravo. Vive la France et vive les abricots, qui sont très bons même s'il ya des trucs dessus; c'est comme les coureurs, au fond, qui sont très bons aussi même s'il y a des trucs dedans.

Vous m'excuserez de couper court, mais on attend autre chose que ces scénarios archiprévisibles. Déjà deux semaines de course et, hors l'étape pyrénéenne, le Tour ne nous a proposé que des hors-d'oeuvre. Dis, moman, ça commence bientôt? Dis, moman, c'est quand le Tour?

Floyd Landis ou Denis Menchov? Ou encore Cadel Evans ou Andreas Klöden? Il serait quand même étonnant que le Tour de France échappe à un de ces quatre coureurs. J'aimerais bien Landis ou Cadel Evans, mais il y a généralement un monde entre ce que j'aimerais et ce qui arrive.

A la veille des trois grandes étapes alpestres, je vous propose aujourd'hui une chronique un peu plus vélo: le point sur les forces et les faiblesses des favoris.

Au début de la présente saison, on annonçait même le retour de Landis au bercail de la Discovery pour 2007. Non, non, non, me disent mes collègues européens les mieux informés, t'es en retard d'une nouvelle (moi! en retard d'une nouvelle?), bref Landis ne retournera pas à la Discovery, et Armstrong, cet obsessif, aurait eu une autre bouffée de haine. Il arrive aujourd'hui à Gap. Il a encore énormément d'alliés dans le peloton et inspire encore assez de crainte pour tirer des ficelles dans les coulisses.

Denis Menchov-- Pour: une équipe capable de l'épauler sur tous les terrains, mais surtout deux chèvres de montagne pour l'emmener sur les pentes. Michael Rasmussen, l'irascible Danois, semble avoir accepté son rôle de soutien. L'autre chèvre, c'est Michael Boogerd, impressionnant dans les Pyrénées et, encore hier, dans ce col de deuxième catégorie juste avant de plonger sur Gap.
Pour: peut-être le directeur sportif le plus retors du Tour, Erik Breukink (ex-coéquipier et grand copain de Johan Bruyneel, le coach de la Discovery (tiens, tiens!)
Pour: il a fait grandre impression dans les Pyrénées. Ça compte, l'impression. Ça intimide. Dans ce peloton sans patron, surtout, cela installe une certaine autorité.
Contre: comme Landis, coutumier du jour «sans».
Contre: un peu en retrait de Landis dans les contre-la-montre, donc l'obligation de prendre l'initiative dans les Alpes.

Et les autres-- Cadel Evans et Andreas Klöden sont encore des vainqueurs parfaitement plausibles, le premier surtout, qui n'a cédé que dans le dernier kilomètre avant Pla-de-Beret. Klöden est à 2min29 de Landis. C'est déjà plus difficile, mais qui sait si cette course un peu anarchique ne réserve pas une dernière grande surprise, du genre Cadel Evans, ou le retour en force des Allemands par Klöden et peut-être Rogers, l'Australien de la T-Mobile.

Mon podium final? Celui que je souhaiterais ou celui qui va survenir? Je redoute la victoire de Menchov sur Landis.

La grand inconnue -- La dope. Je doute qu'il y en ait moins sur ce Tour. Mais il est certain que l'approvisionnement a été rendu difficile. Il se dit des choses étonnantes, comme par exemple des chambres de coureurs sous surveillance vidéo, portables de certains coureurs sur écoute... Cela aurait dérangé certaines équipes plus que d'autres, T-Mobile? Discovery?

Après deux semaines de course, il était prévu par les coureurs «en cure» de refaire le plein à Gap pendant la journée de repos. Ce ne sera pas aussi facile que prévu, selon les cures, bien sûr, et selon le matériel nécessaire à la cure.

Ce qui est certain, c'est que cette capacité de refaire le plein ou non va peser lourd sur le classement final. Surveillez particulièrement les baisses de régime collectives, exemple: les T-Mobile dans les Pyrénées.

Projections - Gap a profité de l'arrivée du Tour de France pour annoncer officiellement sa candidature aux Jeux d'hiver de 2018. Que je ne couvrirai pas, je vous l'annonce en primeur. Je n'ai jamais aimé Gap, passage obligé entre la Haute-Provence et les Alpes. Il y a toujours un monde fou à Gap. La ville est en forme de goulet, d'entonnoir, tu t'écoules goutte à goutte sur la grande rue, imagine avec le Jeux, tu t'écoules pu pantoute.

De toute façon, Gap n'aura pas les Jeux d'hiver de 2018. 2010 Vancouver; 2014 cette station de Corée du Sud qui est venue à une voix près de battre Vancouver; 2018 ce sera Sion, qui avait perdu contre Turin; 2022 on retourne en Amérique. Alors Gap, ce sera en 2026. Je serai alors pensionnaire au Nid Joyeux des Vieux, à Notre-Dame-de-Stanbridge. L'infirmière me dira: Restez donc un peu au salon avec nous, M. Foglia, la cérémonie d'ouverture des Jeux de Gap va bientôt commencer...

Je lirai cela dans La Presse demain, madame.

Le lirai-je? J'irai voir, c'est sûr. Ces cérémonies de merde sont toujours une belle occasion de voir où en est rendue l'écriture journalistique et la guerre tant de fois perdue au conformisme.

Retrouvailles - J'avais un ami, il est mort y a déjà un bout de temps. Sa mère s'appelait Angeva, elle était toute petite, petite, comme une poupée. Elle est morte mercredi dernier, c'était dans La Presse. Ils s'aimaient énormément mais elle était fatigante: Robert, on fait pas ci, on dit pas ça. Un m'ment donné, il se tannait, il la prenait à bras le corps, la levait dans les airs et l'asseyait sur le haut du frigo. Elle criait Robert, descends-moi de là tout de suite. Les petites pattes y allaient dans le vide. Je vous l'ai déjà conté, je crois. Mais ceci est la suite.

En principe, au paradis, on n'a besoin de rien. N'empêche que, jeudi, Bob est allé voir l'ange responsable des approvisionnements: Pourrais-je avoir un frigo?
Pour quoi faire? s'est étonné l'ange. La bière est toujours fraîche, ici.
J'te dis que je veux un frigo. Un grand.