Le vendredi 21 juillet 2006


Coucou! Revoilà Landis!
Pierre Foglia, La Presse, Tour de France

Évian

On ne s'en doutait pas, mais il y a de la dynamite dans ce mennonite. Et comment nous en serions-nous douté mercredi soir, en l'entendant nous dire avec un filet de voix: j'ai craqué, juste au moment où il ne fallait pas. Je ne serai même pas dans les 10 premiers à Paris. Il était détruit, atterré, c'est pourtant avec une dignité qu'on voit à peu d'athlètes dans la défaite qu'il a refusé toutes les excuses que nous lui tendions. Une fringale?

Non, pas une fringale.
La hanche?
Rien à voir avec la hanche (il doit se faire poser une hanche en plastique comme un petit vieux à l'automne).

J'ai craqué, il n'y a pas d'autre explication.

Onzième à plus à plus de huit minutes. Le Tour était fini pour lui bien évidemment, mais pas seulement le Tour, nous étions nombreux à penser que sa carrière aussi était finie.

Si vous m'aviez demandé ce matin, au départ de Saint-Jean-de-Maurienne, que va-t-il arriver avec Landis aujourd'hui, je vous aurais dit qu'il allait terminer dans le dernier groupetto à 50 minutes. Les leaders qui cassent comme Landis a cassé dans La Toussuire s'en remettent rarement, et jamais le lendemain.

Si vous m'aviez dit qu'il attaquerait dans le premier col, qu'il ferait toute la course devant, gagnerait l'étape, reprendrait cinq minutes 42 secondes à Sastre et plus de sept minutes aux autres, qu'il se replacerait à 30 secondes du maillot jaune au classement général, pour redevenir ainsi le favori du Tour de France puisqu'il est supérieur à Pereiro et Sastre au contre-la-montre, si vous m'aviez dit tout cela, je vous aurais expliqué deux ou trois petites choses.

Je vous aurais dis: Tu sais, le gars qui a ressuscité d'entre les morts? C'était pas du vélo, c'était de la religion. Faut avoir une sacrée foi pour réussir un truc comme ça. Et tu sais, Rocky Balboa, complètement sonné dans les cordes, la gueule en sang, qui se relève et qui plante le champion du monde? C'est pas du vélo non plus. C'est du cinéma.

Pour faire ce que Landis a fait, hier, entre Saint-Jean-de-Maurienne et Morzine, il fallait avoir la foi. Juste pour se lever hier matin après la claque de la veille, il fallait avoir la foi. Juste pour se présenter au petit-déjeuner de l'équipe. Je l'entends annoncer de sa voix douce qu'il allait attaquer dans le col des Saisies, le premier de la journée. J'imagine la tête des autres, Moerenhout, Moos, Merckx, Pena il va attaquer? Dans l'état où il a fini hier?

J'ai vécu des grands moments dans le Tour de France depuis 20 ans, mais comme celui d'hier, jamais. Jamais vu un mort se relever et enlever le Tour de France. Landis ne l'a pas encore gagné, mais il en est à nouveau le grand favori. Ce n'est plus un Tour de France de transition, mais de transmutation. Il y a au moins un mutant dedans.

Remarquez que d'un strict point de vue de vélo, la journée d'hier se résume à une longue échappée solitaire dans une étape de montagne. Des coureurs qui attaquent dans le premier col et qui se rendent au bout, j'en ai vu plein. Rasmussen la veille encore. Les favoris les laissent aller parce qu'ils en ont rien à foutre, parce qu'ils ne représentent aucun danger pour la victoire finale.

À plus de huit minutes, c'est ce qu'était Landis hier matin: un coureur qui peut faire ce qu'il veut parce qu'il n'est plus dans le jeu. Qu'il manifeste l'envie d'aller lécher ses blessures en avant, pourquoi pas, c'est une bonne thérapie. Quand on a vu les Phonak rouler en tête du peloton comme des fous pour mettre Landis en orbite, on s'est dit ah tiens, c'est bien. On lui a trouvé de l'honneur. On lui a trouvé du coeur. On l'a trouvé généreux, notre gentil boiteux. C'est comme ça que certains l'appellent dans la salle de presse à cause de sa hanche.

Le v'là parti. Il rejoint les premiers échappés. En garde un longtemps avec lui, Sinkewitz, de la T-Mobile. Trois minutes, quatre, cinq. Les favoris réagissent, et, pourtant, l'écart grandit. C'est que les favoris n'étaient pas si bien derrière. Les Allemands piochaient, Cadel Evans était moyen, Pereiro n'en avait pas de trop, Menchov encore moins, seul Sastre était fringant, mais il attendait la Joux-Plane pour attaquer. Quand les directeurs techniques ont lancé la chasse au pied de la Colombière, Landis était passé depuis neuf minutes.

En 30 kilomètres de plat, la pédale au fond, le peloton ne reprendra que trois minutes à Landis, qui recreusera l'écart dans la montée de la Joux-Plane.

Pereiro gardera son maillot par quelques secondes, Carlos Sastre, bien parti pour le lui arracher, a tout gâché dans la descente vers Morzine qu'il a bien mal négociée.

Landis a franchi la ligne le poing dans les airs, ils font tous ça, mais j'ai l'impression que le sien était tout particulièrement brandi contre le ciel, mes parents, disait-il la veille, considèrent que toutes les difficultés que je traverse me sont envoyées par Dieu et que je dois les accepter. Mais ce n'est pas vraiment dans ma nature.

On lui a demandé quand il avait commencé à croire à cet incroyable renversement, certainement pas en partant, nous a-t-il dit, je suis parti parce que j'étais tellement malheureux pour la veille qu'il me fallait tenter quelque chose. Quand j'ai vu que mon avance ne faiblissait pas, j'ai compris qu'ils étaient désorganisés derrière.

Allez-vous gagner le Tour?
Mes chances sont meilleures ce soir qu'hier, non?

BUSINESS- Le grand et fort monsieur aux cheveux blancs qui a accueilli Floyd Landis à l'arrivée, c'était Andy Rihs, le patron (suisse) de l'équipe Phonak. Phonak fabrique des appareils auditifs. Il y a longtemps que les frères Rihs fraient dans les milieux cyclistes, mais c'est en 2000 qu'ils se sont lancés dans la commandite d'une grosse équipe, alors que le vélo était dans un grand creux, tout sale du scandale de la Festina.

J'ai pris une décision commerciale, raconte Andy Rihs. Sur la route du Tour 99, le coureur le plus populaire était Richard Virenque, l'homme par qui le scandale était arrivé l'année précédente. J'ai compris que le public n'avait rien à foutre du dopage.

La confirmation de cela, c'est qu'après sept ans de commandite, de scandales à répétition, nous-mêmes avons été un temps exclus du pro Tour, 50 % des Français et des Allemands- les deux grands marchés pour nos appareils- connaissent maintenant la marque Phonak, alors qu'en 2000, c'était seulement 15 %. En sept ans, notre chiffre d'affaires s'est multiplié par quatre.

C'est l'histoire d'un grand succès commercial en même temps d'une grande désillusion sportive. D'abord, nos coureurs espagnols et leur soigneur, ensuite Tyler Hamilton, et juste avant le le départ de ce Tour, Gutierrez et Botero (mouillés dans l'affaire Puerto) qui devaient aider Landis.

Andy Rihs et Phonak se retirent du cyclisme à la fin de la saison, mais l'équipe ne fera que changer de nom puisqu'une des branches de la banque Barclays, le groupe iShares reprendra l'équipe.

À PLEURER- Vous vous rappelez Willy Voet? Le soigneur de l'équipe Festina par lequel tout est arrivée en 1998. C'est dans sa voiture que les douaniers avaient trouvé la pharmacie des Festina. Voet a passé un mois en prison, tout déballé, écrit un livre. Il est le grand cocu de cette histoire, Virenque, réhabilité, est commentateur à Eurosport, Moreau est leader de l'équipe AG2R. Voet, lui, est chauffeur d'autobus. Le journal Libération a eu la bonne idée de le ramener dans la caravane. À pleurer. Des gens qui se détournent qui lui disent: reste pas là, qu'est-ce qu'on va penser?

Voet a croisé Virenque, qui signait des casquettes- ils avaient jadis une relation presque filiale- quand Virenque a reconnu Voet, il l'a toisé de haut: ce n'est pas l'endroit pour se parler! Puis, il a perdu son sang-froid quand un flash a crépité.

Vous savez comme j'aime le sport, sa culture, ses gens. C'est pourtant aussi dans le sport que j'ai croisé les trou d'cul les plus affligeants. Vous voulez des noms?

LE PETIT COUTEAU- Les villes étapes ont la responsabilité de nourrir les journalistes qui n'ont pas le temps, de toute façon d'aller au resto, un buffet tourne souvent à la dégustation des produits régionaux, jadis très gastronomiques, aujourd'hui pain-beurre-saucisson. S'ajoute parfois un cadeau-souvenir, on a eu des bouteilles d'huile, un bouquet de lavande séché, le plus souvent une bébelle qui prend le bord de la poubelle. À La Toussuire, on était au pays du couteau Opinel, le couteau suisse des Français, sauf qu'il est à lame unique avec une bague cran d'arrêt, Toussuire a offert un Opinel à chaque journaliste dans une jolie boîte.

La ruée! Des téteux en voulaient deux. La jeune femme qui distribuait les boîtes en avait les yeux tout ronds: j'ai l'impression d'être dans un camp scout.

C'est exactement ça, mademoiselle! Offrez un canif à un homme, il redevient aussitôt un gamin.

AUJOURD'HUI- Morzine-Mâcon, 197 kilomètres, depuis une dizaine d'années, cette étape du vendredi qui précède le contre-la-montre et l'arrivée à Paris est l'étape la plus oubliée du Tour, la plus inutile aussi, de nombreux journalistes la saute- ce que je vais faire- un espèce de repêchage pour les cancres, un pensum en fait, d'autant plus que tout le monde attend le contre-la-montre de samedi, d'autant plus qu'on ne connaît toujours pas le vainqueur du Tour de France, alors le vainqueur à Mâcon!