Le dimanche 23 juillet 2006


Landis gagne le tour
Pierre Foglia, La Presse, Tour de France

Montceau-Les-Mines

De la ligne d'arrivée, une passerelle au-dessus d'un canal menait aux portes grandes ouvertes de l'église Notre-Dame. Elle était déserte en ce samedi matin, mais au fond du choeur, en lettres rouges, cette inscription: Lorsque je suis faible, c'est alors que je suis fort.

C'est comme rien, le curé de cette église doit être un intime de Floyd Landis.

Landis a triomphé. De lui-même surtout. Ce gentil garçon, un peu timide, est devenu un conquérant au moment même où il a tout perdu. Ce sera la grande histoire de ce Tour de France.

Un immense sourire illuminait son curieux visage au menton qui avance et au reste qui recule. Sans parler de cette apparence de moustache qui lui donne l'air d'un mononcle. Il exultait donc, comme un mononcle qui vient de gagner 345 millions à la loterie. Mais le sentiment qui prévalait par-dessus tous les autres était l'ébahissement. Dans la tête de Landis un seul mot: unbelievable!

Incroyable en effet. Jamais personne n'a gagné un Tour de France comme il vient de le faire, en le perdant irrémédiablement quatre jours avant d'arriver à Paris.

Jamais un grand favori n'a perdu huit minutes dans une étape de montagne pour aller les rechercher le lendemain comme on va chercher ses clefs qu'on a oubliées sur la table de la cuisine. Je vous ai dit l'autre jour c'est du cinéma, en fait, il n'y a que la réalité pour oser de telles invraisemblances.

Quand l'espèce de conne d'un journal de Austin (Texas)- la même qui a tété Armstrong pendant sept ans- a osé demander: Ne penses-tu pas, Floyd, que les Américains ont un petit quelque chose de spécial dans leur nature qui les fait toujours triompher de toutes les épreuves, Landis a haussé les épaules. Ma victoire n'a rien à voir avec le gène américain de la combativité! Peut-être un peu à voir avec la santé du cyclisme américain, mais surtout beaucoup à voir avec la chance. J'ai eu une chance incroyable. Il aurait suffi, quand j'ai attaqué, que Klöden, ou Evans, ou Menchov, ou Pereiro réagisse, et alors les autres suivaient, et c'en était fini de mon retour.

Bien vu. Jeudi, Landis a eu une chance inouïe. Pas hier. Hier, il a repris le maillot jaune en toute logique.

On a vite compris que la lutte à trois n'aurait pas lieu. Carlos Sastre n'était ni dans les temps ni dans le rythme. Après 10 kilomètres, on était fixé: non seulement Sastre ne gagnerait pas le Tour, mais il ne serait pas non plus sur le podium.

Oscar Pereiro a offert plus de résistance au début. Et puis lui aussi s'est effiloché. Peu après la mi-parcours, il s'avouait vaincu. Logique. Il a suffit à Landis d'être bon sans être super. Il termine troisième, battu par Honchar, intouchable, mais battu aussi par Klöden. En voilà un qui devrait avoir des regrets. J'y reviendrai.

Les lunettes relevés sur la casquette à l'envers, dans son maillot de la Phonak, Landis s'est prêté de bonne grâce à un long échange avec les journalistes. Il aime bien les journalistes sans courir après. Et il ne répond pas à toutes questions, notamment celles sur la dope.

Où est ton maillot jaune, Floyd?
Je l'ai donné. Vous me connaissez, dès que je le prends, je le donne! (la salle éclate de rire)
Étiez-vous inquiet aujourd'hui?
Un peu. C'est mon deuxième contre-la-montre en trois jours. Le premier, si vous vous souvenez bien, a été long de 130 kilomètres en montagne. Je me disais que j'allais peut-être le payer.

Parlons-en encore, de votre exploit de jeudi. Pourquoi? Et dans quoi avez-vous puisé pour le réussir?
Pourquoi? Parce que j'étais humilié. Mais un coup parti, un coup l'écart creusé, c'est la patience qui m'a fait réussir.
La plus grande de vos qualités?
La plus récente. Mes parents ont bien réussi à me convaincre de la vertu du travail. Mais ils ont complètement échoué à m'apprendre la patience. Elle m'est venue tardivement. C'est elle qui m'a permis de mener à bien mon raid de jeudi. Si je m'étais énervé, j'aurais craqué.

Ainsi s'achève, ou presque, un des Tours les plus étonnants de l'histoire. Un des plus intéressants aussi, mais qui a bien failli, pourtant, être un des plus plates. Que Landis n'ait pas cette défaillance dans la montée de La Toussuire, et il gagne le Tour à l'économie, et tout le monde le traite de minable petit comptable.