Le samedi 11 février 2006


Risotto olympique
Pierre Foglia, La Presse, Turin

Je voulais voir la cérémonie d'ouverture chez des Italiens, après coup je ne suis pas si sûr que ce fut une bonne idée, sauf pour le risotto et la polenta qu'on a mangés pendant l'interminable défilé des athlètes. Sauf aussi qu'il faisait moins froid que dans le stade. Mais pour le reste, qu'est-ce que je me suis ennuyé! Déjà que je ne suis pas fou de ces machins, est-ce une idée ou ce fut la cérémonie la plus plate de l'histoire des Jeux olympiques?

Mes hôtes habitent un joli pavillon du nord de Turin, dans un quartier appelé Borgoto rosa. Elle travaille à l'université, lui je ne sais pas, quand je suis arrivé il était en train d'appeler ses parents qui étaient dans le stade.

Et puis?
Et puis ils ont froid! On leur a donné un sac à l'entrée, avec un poncho, une cloche à vache et une lampe de poche.
Combien ils ont payé leur billet?
Mille euros. Cinq cents chacun. C'est l'anniversaire de mon père. Un cadeau qu'ils se sont fait.
On a parlé du stade, je leur ai dit que tous les journaux du monde allaient rappeler ce matin que lorsqu'il a été inauguré en 1933, il s'appelait le stade Mussolini, avant de devenir Comunale et Olympique depuis ce soir.

Pourquoi rappeler ça?
Parce que Mussolini et Italie ça rime, parce que ça fait quelque chose à écrire d'historique. On ne dira pas, bien sûr, qu'en 1933 la ville n'a pas eu le choix de donner le nom du Duce au stade, surtout on ne dira pas que Turin (avec Gênes et Naples) s'est mérité la médaille d'or de la résistance au fascisme.

Mes hôtes avaient invité des amis, il y avait une prof, un banquier, Massimo l'orfèvre, deux fleuristes, Lele qui est gérant dans un magasin de meubles, Marina, il y avait Veronica et deux Albanaises qui font leur doctorat en économie. Le plus drôle, c'était le banquier. Non, le plus drôle c'était moi, mais j'ai gardé mes jokes pour moi, je ne voulais pas gâcher leur soirée. Je ne vous les dirai pas non plus, je suis sûr que vous avez aimé le spectacle. Vous l'aimez chaque fois. Même le début? Vous avez aimé le début aussi? Vous n'avez pas trouvé ça un peu long?

Vous n'avez pas trouvé que toutes ces étincelles, et toutes ces flammèches, ça faisait un peu BBQ?

Anyway. Les gens chez qui j'étais aussi ont plutôt passé une belle soirée. Sans tomber de leur chaise, toutefois. Ils sont Italiens, Turinois de surcroît, c'est leurs Olympiques, mais je les sentais un peu déçus. Ils ont dit chou plusieurs fois. À Mme Bush, bien sûr. Chou surtout à la musique, qu'ils ont trouvée bien quétaine, Yoko Ono et Peter Gabriel y compris, mais surtout leurs chanteurs populaires. Quand je demandais c'est qui celui-là, ils se voilaient la face, madona! Oublie ça, c'est personne.

J'ai compris que c'était leur Donald Lautrec qu'on avait sorti des boules à mites. Ils ont détesté aussi l'épisode de la Ferrari. Mais le grand livre rouge- La Divine Comédie-, ils l'ont récité en choeur: Vous n'êtes pas faits pour vivre comme des brutes... Paraît qu'il l'apprennent par coeur à l'école, je commence à comprendre pourquoi tant d'écrivains italiens déclament, on dirait toujours qu'ils écrivent avec leurs plumes du dimanche, sûrement la mauvaise influence de Dante.

On a mangé le risotto pendant le défilé des athlètes, je l'ai dit. Un risotto à la « trevisiana », qui est une salade rouge et amère. J'en ai repris deux fois, et aussi de la tarte aux pommes et le défilé n'était toujours pas fini.

Tout d'un coup j'ai réalisé qu'on n'avait encore pas vu Berlusconi. Verra-t-on le Cavaliere?
Oh non, vous le verrez pas. Il n'est pas là. Il a bien trop peur de se faire siffler. Ce serait un désastre pour sa campagne électorale. Mais il viendra ramasser les félicitations à la cérémonie de clôture.

Tous anti-Berlusconi, et tous attendris quand la caméra montrait Carlo Azeglio Ciampi, leur vieux président de la République, et sa petite madame ratatinée comme une pomme à côté de lui. Vous savez ce que cette femme-là a dit aux Italiennes lors des dernières élections?, me rapporte Veronica toute fière. Elle leur a dit: votez pour des femmes! Hein! On dirait pas, à la voir comme ça.

L'équipe italienne est entrée sur le stade avec la bien jolie Carolina Kostner pour porte-drapeau. Pour la flamme, ils ne savaient pas. Alberto Tomba ou la skieuse de fond Stefania Belmondo? Il espéraient la Stefania- Tomba, avec sa grande gueule, leur tombe sur les nerfs comme à tout le monde-, ils ont eu la Stefania. Ils étaient contents, mais comme je vous dis, ils ne sont pas tombés en bas de leur chaise. Y'avait pas de quoi non plus.

C'est le gérant du magasin de meubles qui m'a ramené à l'appartement à travers les rues vides d'un Turin déjà endormi.