Le dimanche 19 février 2006


On faisait du skeleton avant Jésus-Christ
Pierre Foglia, La Presse, Turin

Ma fiancée au téléphone: pourquoi appelle-t-on cela du skeleton?
T'es impayable, mon amour! Au hockey, tu fais pas la différence entre les joueurs et l'arbitre, mais là, tout d'un coup, tu veux savoir pour le skeleton. Tu sais comment je t'aime. Je vais tout t'expliquer.

Allora. Le skeleton est un sport de recherche de vitesse pure. Mais alors qu'en ski alpin cette même recherche de vitesse implique un engagement physique spectaculaire, en skeleton, le spectacle, c'est la vitesse elle-même, qui peut dépasser 130 km/h. L'athlète, si l'on peut dire, après une course de départ d'une trentaine de mètres, dirige son bolide par d'imperceptibles mouvements des épaules et de la tête. Le skeleton n'est pas du tout un nouveau sport comme on le croit généralement. Le skeleton était pratiqué par les Égyptiens qui, pas fous, utilisaient des momies qu'ils ficelaient sur de petits chariots, qu'ils lançaient du haut des pyramides. Un, deux, trois, go. La première momie arrivée en bas valait au propriétaire du chariot un chiche-kebab et une frite.

Pourquoi ils appelaient ça le skeleton? On n'a jamais su. C'est même pas un mot arabe. Mais quelques égyptologues avancent que c'est parce qu'ils ne pouvaient pas appeler ça la plongée sous-marine. Le nom était déjà pris.

Comment le Canada est-il devenu une puissance en skeleton? Mauvaise question. Comment peut-on parler de puissance quand il n'y a dans le monde entier, ce qui inclut l'hémisphère Nord, l'hémisphère Sud et le Témiscamingue, que 12 skeletoniens et trois skeletoniennes? Pourquoi étaient-ils 27 au départ de l'épreuve s'ils ne sont que 12 dans le monde? Ça, c'est une bonne question. Parce que le Comité olympique international avait lancé un ultimatum à la fédération de skeleton: si vous n'êtes pas au moins 25 au départ, on annule les compétitions. Les gens de la fédé se sont alors souvenus des Égyptiens qui ficelaient des momies sur un chariot. Mine de rien, ils ont ficelé sur des luges quelques spectateurs plus ou moins volontaires et envoye en bas. Du nombre de ces « volontaires », deux touristes canadiens qui passaient par là, Duff Gibson et Jeff Pain. Ils ont gagné. On les félicite. Mais s'il vous plaît, on arrête de raconter n'importe quoi sur le skeleton.

LES COMPTEUX DE MÉDAILLES - Avant, ils attendaient le bilan de la fin des Jeux; maintenant, ils commencent à s'agiter à la fin de la première semaine. Les compteux de médailles additionnent des pommes, des oranges, des citrons, des concombres, fourrent tout ça dans le même panier, convoquent la presse, renversent le panier sur la table et s'exclament: voyez comme la récolte est belle, voyez comme le Canada donne de beaux fruits.

Question dans la salle: le concombre est-il un fruit?
Leur méthode est tellement nulle qu'elle ne prend pas même pas en compte le meilleur résultat de l'équipe canadienne, jusqu'ici, qui n'est certainement pas la médaille d'or en skeleton ni la médaille d'or de la jeune fille en bosses. Le meilleur résultat de l'équipe canadienne jusqu'ici est la quatrième place d'Erik Guay, hier, en super-G. Je ne dis pas cela parce que je trippe sur le ski alpin, mais bon Dieu, vous ne voyez pas que le niveau de compétition n'est pas le même qu'en skeleton ou qu'en bosses? Même chose pour le patinage artistique: la médaille de bronze de Jeff Buttle, c'est du diamant pur. Et encore là, c'est pas parce que j'aime ça, mais rien qu'à voir, on voit bien. Vient ensuite la sixième place de Beckie Scott dans le 15 kilomètres poursuite, et cela même si c'est une déception. Sixième dans cette course-là, avec sûrement deux ou trois dopées devant, c'est du gros stock. Et pour finir, la médaille d'argent de cette même Beckie, couplée à Sara Renner dans le sprint par équipes.

Faut pas compter les médailles, bande de nonos. Faut les peser.

LE MYTHE DE L'AMÉRIQUE - Et Vancouver?

Vancouver, qui accueillera les Jeux d'hiver de 2010, est très présent à Turin. On a construit une immense cabane- ma cabane au Canada- en plein centre-ville, et des milliers de personnes y font la queue chaque jour pour entrer. Il n'y a pourtant pas grand-chose à voir, dans ce machin de foire- vous lirez cela dans un prochain papier de ma collègue Marie Allard- mais c'est un bout d'Amérique et c'est ce qui fait courir les Italiens.

Et Vancouver?
C'est neuf. Il pleut tout le temps. Je leur explique que le Canada est plus beau à l'Est. Comme les États-Unis, d'ailleurs. La culture est à l'Est. New York, Boston, Chicago. Miami.

Qu'est-ce qu'il y a à l'est du Canada?
Halifax. Très beau, Halifax. Montréal, Toronto.

Ah oui, Toronto. Les yeux s'allument. Connaissent tous quelqu'un à Toronto. Le Canada fait partie depuis longtemps du mythe de l'Amérique des Italiens. De tous les pays d'Europe, c'est en Italie que le mythe de l'Amérique est le plus fort, le plus vivant. Le plus grand poète de Turin, Cesare Pavese, chantait l'Amérique au début du siècle dernier, traduisait Walt Whitman et Melville. Dans aucun autre pays Hemingway n'a été plus étudié qu'en Italie. Il est vrai qu'il y a vécu et qu'il en parle abondamment dans ses romans. Mais le rêve américain des Italiens n'est pas que celui des intellectuels. Dans la famille de ma mère, née à 150 kilomètres d'ici, ils étaient 11 enfants. L'unique garçon a hérité de la ferme, les 10 filles sont parties: huit en Amérique, deux en France, dont ma mère. Ma mère a eu trois enfants. Mes deux soeurs vivent en Californie. Moi au Canada.

On m'avait dit que les jeunes Italiens d'aujourd'hui ne rêvaient plus de l'Amérique parce qu'ils la voient tous les jours à la télé, l'entendent dans leurs chansons, la mangent dans leur fast-food. Je suis en train de découvrir qu'ils en rêvent autrement, mais ils en rêvent autant. Ils n'en rêvent plus en immigrants, plus comme terre d'exil. Ils en rêvent d'égal à égal. Une passion documentée. Un ingénieur de gauche que je rencontrais pour toute autre chose: quand j'avais 19 ans, c'était l'Amérique nihiliste de Faulkner qui me fascinait, mais j'irais tout aussi bien aujourd'hui dans l'Amérique puritaine de Bush. J'irais en Amérique, point. Comment c'est, Vancouver? C'est neuf. Il pleut tout le temps.

Que reprochez-vous à l'Italie?
C'est un pays rassasié.
Toute cette beauté ne vous manquerait pas?
On était place Filiberto. Un lieu clos comme le sont les places italiennes, un dedans-dehors, et pour les couleurs gris perle et vieil ivoire. Allez savoir pourquoi je me suis mis à penser à Warwick. À Plessisville. À Cap-de-la-Madeleine. À Nicolet. À Rock-Forest. À Ascot-Nord. À Rosemère. À Cabano.