Le lundi 20 février 2006


Et de trois pour Klassen
Pierre Foglia, La Presse, Turin

Et de trois pour Cindy Klassen! Le bronze du 3000, l'argent de la poursuite, et hier à l'Oval Lingotto, l'argent très inattendu du 1000 mètres qui est loin d'être sa spécialité. La patineuse canadienne (longue piste) est plus à l'aise sur les distances plus longues.

Et de trois pareil.

Je ne suis pas un compteux de médailles, mais quand c'est la même fille qui en gagne trois - et c'est pas fini - je suis curieux de voir à quoi ressemble la fille en question. Cindy Klassen ressemble à une jeune femme assez bien bâtie pour aller faire les foins dans les Prairies. D'où elle vient d'ailleurs. Pas plus volubile qu'il convient pour faire les foins. Pas plus enflammée non plus. Pas le genre à dire ni à faire des folies. Encore moins des surprises.

C'est pourtant la deuxième qu'elle nous fait (et se fait!) depuis son arrivée à Turin. Elle s'en venait à Turin pour gagner le 3000 mètres. C'est sa spécialité. Elle est championne du monde là-dedans. Elle s'est contentée de la troisième place, médaille de bronze, grosse déception. Nos collègues anglophones babounaient, savez comme ils sont sur les médailles...

Même sa médaille d'argent en poursuite n'a pas complètement rétabli la confiance. Presque pas de journalistes canadiens à l'Oval, hier, presque pas de drapeaux canadiens dans les estrades. Le superbe Oval était plein de Hollandais pour Ireen Wust et Marianne Timmer, plein d'Allemands pour Anni Friesinger, la grande favorite, et d'Italiens pour Chiara Simionato.

Comptiez-vous vraiment monter sur le podium de ce 1000 mètres, Cindy?
On ne sait jamais mais bon, ce n'est pas vraiment pas spécialité.
À quel moment avez-vous commencé à y croire?
Quand j'ai vu que Jennifer - l'Américaine Jennifer Rodriguez - était beaucoup plus lente que moi. Mais restaient en piste la Friesinger et l'Italienne. Je ne pensais vraiment pas que mon chrono tiendrait la route jusqu'à la fin. Je ne pensais pas que mon temps serait suffisant pour rester sur le podium, a expliqué Klassen. Je n'ai pas connu un départ super, j'agonisais dans le deuxième tour... mais ne craignez rien, je serai là pour le 1500!

Contre toute logique, le chrono de Cindy Klassen (1:16,09) a tenu. La course s'est donc jouée dans le milieu du tableau. Klassen d'abord, puis la Hollandaise Marianne Timmer (1:16,05) qui l'a devancée par quatre centièmes. L'autre Canadienne, Kristina Groves, s'installant en troisième place et y restant presque jusqu'à la fin. Il a fallu rien de moins que la championne du monde, l'Allemande Anni Friesinger (1:16,11) pour déloger Groves du podium. Cette Friesenger qui n'avait pas perdu un seul 1000 mètres de la saison termine donc troisième. L'Italienne, deuxième de la Coupe du monde, s'est effoirée, tout comme l'Américaine. De là à dire que Cindy est montée le podium par défaut... Il se trouvait des confrères allemands, plus familiers avec le patinage longue piste que je peux l'être, pour s'étonner de ce que toutes les filles du bas du tableau, censées être les plus rapides, s'étaient plantées. Et les mêmes confrères de susurrer que la glace était peut-être plus lente à la fin qu'au début...

Plus lente?
Plus molle. Et d'ajouter que cette Marianne Timmer, qui avait gagné, n'était même pas la meilleure Hollandaise en lice.

Et de trois quand même pour Cindy Klassen.

Elle pourrait facilement ajouter une autre médaille à sa collection, mercredi, dans le 1500 mètres. Et pourquoi pas une cinquième dans le 5000 mètres, l'avant-dernier jour des Jeux. Ce 5000 dont la favorite sera la Québécoise d'adoption Clara Hughes.

Avec cinq médailles, Cindy Klassen sera la reine des Jeux et les nuls qui ont titré, après sa médaille de bronze dans le 3000, «Cindy Klassen déçoit» vont avoir l'air de quoi vous pensez?

Un dimanche de culte

La vieille bonne soeur à coiffe, dans une robe noire à l'ancienne, me sourit avec toute la douceur du monde, comme si j'étais un tout petit enfant et que je venais de me faire un bobo au genou. Buongiorno signore...

Je voudrais parler à soeur Jacinthe, s'il vous plaît.

Vous la connaissez?
Non. Je connais son papa.
C'est pas vrai, je ne connais pas son papa non plus.
Soeur Jacinthe est à la messe. Voulez-vous aller à la messe?
Pourquoi pas. Plutôt que d'attendre dehors. Il pleut sur Turin en ce dimanche matin. Je suis à la maison mère des soeurs de la charité Sainte-Marie, la même congrégation qui dirige l'hôpital Marie-Clarac, boulevard Gouin. Une centaine de fidèles remplissent l'église du couvent, l'autel est fleuri d'oeillets jaunes, les soeurs sont dans le jubé, leur chant a la beauté incertaine du cristal fêlé.

On viendra me chercher après la communion pour me conduire dans un vaste salon. Soeur Jacinthe m'y rejoint. Une gamine. Jolie. Radieuse. Elle s'ébroue comme si elle arrivait de dehors. 27 ans. 27 ans! Mon Dieu, pourquoi tu les prends si jeunes, regarde comme est elle fagotée, cette coiffe, cette collerette, cette robe noire de pleureuse grecque, c't'enfant-là devrait être en pantalon taille basse, le nombril à l'air...

Elle sourit, d'un sourire à illuminer toute la chrétienté. Je ne suis pas en prison vous savez. Je suis ici de mon plein gré.
Pourquoi à Turin?
Pour les Jeux olympiques.
Arrêtez de dire des folies.

Je ne dis pas de folies. La mère supérieure de notre congrégation était en visite l'an dernier à Marie-Clarac, elle m'a demandé si j'aimerais aller en stage quelque part. Je lui ai dit oui, à Turin en février 2006. Pourquoi Turin, m'a-t-elle demandé? Parce que les Jeux olympiques. La mère supérieure m'a trouvée drôle. Je suis ici pour un an. Avez-vous assisté à des compétitions?

Je suis allé voir les Canadiennes au hockey, c'était contre les Russes. Je joue au hockey dans une ligue de garage à Boucherville. Notre club s'appelle les Pionnières. Je suis ailier droit. Mes idoles: Caroline Ouellette, Kim St-Pierre, Danielle Goyette. Contre les Russes c'était un peu plate, 12-0... Je pense que j'aurais pu jouer avec les Russes tellement elles sont poches. J'exagère, je n'ai pas beaucoup de patin, mais j'ai une bonne vision du jeu, je crois.

Elle ne joue pas seulement au hockey, mais aussi au football, elle est quart-arrière au flag-football (grande fan des Alouettes), et au ballon-balai, et au soccer - elle adore le soccer... même si, regrette-t-elle, les joueurs sont souvent des faikeux.

Le sport mène à tout, je le savais, mais au Grand Tout Lui-Même? Vous avez eu une illumination en allant chercher la rondelle dans le coin? En faisant une passe de touché dans la zone des buts?

Pas d'illumination. Parents bohèmes, pas du tout de bons chrétiens. Séparés. Elle a une soeur plus jeune même pas baptisée. Elle avait 18 ans, étudiante à Édouard-Montpetit, se cherchait une job d'été dans les camps de vacances. Pose sa candidature un peu partout. Obtient une réponse de St-Donat, est convoquée pour une entrevue, c'est une bonne soeur qui ouvre la porte.

J'ai failli virer de bord. Pas un camp de bonnes soeurs! J'allais m'embêter à mourir, tricoter tout l'été, faire la cuisine! J'ai pris la job de reculons. Vous le devinez, ça a été un camp formidable avec des jeunes soeurs super sportives, escalade, équitation... et voilà.

Et voilà quoi?
C'est comme ça que je suis devenu religieuse.
Vous n'aviez pas de chum?
J'en n'avais pu. Et ça n'a rien à voir. J'étais pas mal ignorante des choses de la religion. J'avais même pas fait ma confirmation. Mon côté spirituel, plutôt endormi jusque-là, s'est éveillé. Je me suis mis à penser que peut-être je pourrais entrer en religion, mais Dieu sait que j'hésitais. Un jour c'était oui, le lendemain je me disais ben voyons donc. Finalement je me suis lancée en me disant si je me plante, ben je me planterai!

Se lancer! On dirait que vous racontez la première fois que vous avez fait du bungee. D'habitude dans ce genre d'histoire il y a un appel, une élévation, ça part du bas vers le haut; vous, vous vous êtes lancée. Pis?
Pis quoi vous dire d'autre: je suis heureuse.
En quittant le couvent, je suis allé lui acheter une tarte au miel et aux pommes dans une pâtisserie que j'avais repérée pas loin, corso Fiume. En sortant de la pâtisserie, j'ai réalisé que c'était pas une bonne idée: voyons donc, les bonnes soeurs ne mangent pas de tarte aux pommes et au miel, c'est péché. Tant pis, je vais la manger, je ne suis pas pour la jeter. Sur le pont Vittorio Emanuele, j'ai eu un regret: quelle pute tu fais. Tu l'as achetée pour elle, va y porter. OK d'abord. J'ai viré de bord. Il commençait à neiger. Je sacrais. J'ai sonné à la porte du couvent, j'ai pris un air con comme dans la chanson de Brel, j'ai-apporté-des-bonbons-parce-que-les-fleurs-c'est-périssable. Elles se sont probablement dit quel gentil monsieur. Me suis dépêché de retourner à la pâtisserie. Elle venait de fermer. Fuck. Un dimanche sans gâteau est un dimanche de culte.