Le mardi 21 février 2006


Walter, petit seigneur des anneaux
Pierre Foglia, La Presse, Turin

Walter Sieber était responsable du sport à l'Université de Montréal quand Montréal a obtenu les Jeux de 1976. On avait les Jeux, youpi, mais comment on fait ça? À l'époque, à Montréal, au Québec, au Canada, rares étaient ceux dont la culture sportive allait au-delà des statistiques de la Ligue nationale de hockey. Walter, le gentil Suisse allemand de l'UdeM, en savait un peu plus long et surtout parlait allemand. Il fut envoyé à Munich pour voir comment les Allemands allaient organiser leurs Jeux.

Depuis, il n'a jamais quitté les coulisses de l'olympisme. Actuel vice-président du Comité olympique canadien, membre de plusieurs commissions du CIO, il fraie aussi dans les hautes instances de la puissante Fédération internationale de football (FIFA), il a été l'ami de Samaranch, il est celui de Jacques Rogge, connaît les personnages clé de toutes les commissions, dans toutes les fédérations, a rendu service à tout le monde et donc... c'est surtout ce qu'il faut entendre, tout le monde lui «en doit une». Vancouver ne se doute pas de tout ce qu'elle doit à Walter Sieber. Et ce n'est pas Sieber qui va s'en vanter.

Après Turin, Walter s'en va à Doüsseldorf mettre la main aux derniers préparatifs de la Coupe du monde de soccer (en Allemagne, en juin). Après Doüsseldorf, il revient à Montréal... pour deux jours, et repart pour la Chine préparer la Coupe du monde de soccer féminin de 2007. Il a 64 ans. Il habite Saint-Julie.

Petite note qui n'a rien à voir: J'ai rencontré sa femme pour la première fois hier, elle m'a dit je tiens à vous remercier M.Foglia, j'ai appris le français en lisant vos chroniques. Je suis sûr qu'elle exagère: on a parlé quelques minutes et elle n'a pas dit une seule fois fuck, pas une seule fois anyway, ce qui laisse à penser qu'elle ne devait pas me lire si souvent que ça.

Question: Vos impressions de ces Jeux?

Walter Sieber: Organisation parfaite. Après les tâtonnements des deux premiers jours, tout marche au poil surtout du côté des transports, toujours le point critique. Je parle du transport des athlètes. La bouffe à la cafétéria du village, le confort très bien. La grande réserve: l'ambiance. À la montagne, ça va. À Turin, on ne sent pas beaucoup les Jeux. Ce n'est pas la fête de la jeunesse que cela devrait être.

Q: Faites le point sur le développement des sports olympiques au Canada.

WS: Le changement s'est amorcé avant les Jeux de Sydney, et s'est grandement accéléré avec l'obtention des Jeux de Vancouver. Au départ, un constat: de Jeux en Jeux, été ou hiver, le Canada déclinait. De moins en moins de résultats. Et pire: nos meilleurs athlètes n'étaient pas le produit de notre système. Le meilleur exemple, Myriam Bédard, qui s'est faite toute seule. Et encore aujourd'hui, Beckie Scott et Sara Renner qui ne sont pas des produits du ski de fond canadien. Cette cycliste à Athènes, Muenzer, qui gagne la médaile d'or avec des pneus australiens et un vélo français. On accusait le politique, le fameux «pas de volonté politique». Mais c'était d'abord la faute des instances sportives. Pas de plan d'ensemble. Pas d'objectifs communs. On disait au gouvernement on veut de l'argent, le gouvernement nous répondait: proposez-nous un programme, un plan, fixez des objectifs...

Vancouver a tout débloqué. Un petit comité de gens qui savent de quoi il retourne quand on parle de performance a fixé un objectif tout simple qui a frappé les imaginations: premiers à Vancouver. Et ça va coûter tant. Ce n'est pas qu'une affaire d'argent, mais s'il n'y a pas d'argent au départ, on ne peut former une élite. On parle beaucoup ces jours-ci de primes aux médaillés. On obtiendra de bien meilleurs résultats avec de l'argent mis dans les camps d'entraînement, dans la recherche, dans l'aide aux fédérations. Le gouvernement Martin a mis 55 millions dans un fonds pour préparer Vancouver. On a déjà 100 millions en banque pour assurer le développement des athlètes. C'est une grande première au Canada.

Q: Cette implication du politique ne risque-t-elle pas de rendre encore plus hystérique la chasse aux médailles, je veux dire un État qui met la pression pour plus de médailles...

WS: Il ne peut pas y avoir de développement du sport sans implication politique. Le sport ne vit pas de l'air du temps. Et vous l'avez écrit vous-même, les athlètes sont tenus à des résultats.

Q: J'ai dit qu'on n'allait pas aux Jeux pour «participer», mais je n'ai pas parlé de médailles. Si j'étais premier ministre de ce pays, j'appellerais François Bourque pour le féliciter de sa quatrième place en slalom géant aujourd'hui, pas sûr que j'appellerais les deux astronautes qui ont gagné la médaille d'argent en bobsleigh, hier. Mais je reviens à l'implication du politique. Le résultat n'est-il pas cette grande agitation patriotique, ce déferlement de drapeaux, ces athlètes qui s'enroulent dedans, les hymnes nationaux à tout bout de champ? À l'article 9 de la charte olympique, on lit que ce sont des individus et des équipes qui participent aux Jeux, pas des pays.

WS: On tourne en rond, M.le journaliste. L'hymne national et le drapeau justifient l'investissement des pays, si on les interdit, il n'y aura plus d'investissements, et il y a des sports et des athlètes qui vont en arracher grandement.

Q: Vous et moi, on a connu une époque où le cérémonial - cérémonies d'ouverture et de fermeture, prenaient infiniment moins de place qu'aujourd'hui. Les gens qui s'intéressaient aux Jeux à cette époque-là étaient des gens qui s'y intéressaient parce que leur culture sportive les portait vers ce grand spectacle sportif, point. Un peu comme les gens qui vont au concert. Tout d'un coup, après Montréal, les Jeux se sont mis à gonfler, à gonfler et à séduire des auditoires de plus en plus vastes, de plus en plus hétéroclites. Il me vient que c'est aussi fou que si on s'était mis à construire des salles de concert de 100000 places et qu'on avait dit aux amateurs de Mozart, excusez-nous, mais on a aussi invité Céline Dion parce qu'il faut bien remplir la salle...

WS: (Il sort une feuille de sa poche en souriant comme s'il avait prévu la question. Sur la feuille il y a un tableau, je vous le résume: à Calgary, il y avait 1423 athlètes de 53 pays différents qui disputaient 46 épreuves. Il y a à Turin 2600 athlètes de 80 pays qui se disputent 84 épreuves.)