Le mercredi 22 février 2006


Paupiettes de veau (de l'Ouest)
Pierre Foglia, La Presse, Turin

Je m'étais pourtant promis. Cool, bonhomme. Zen. Tranquillo. Rien à faire. Je suis comme une vieille bouilloire oubliée sur le poêle. Je vais exploser, c'est sûr. J'entre dans une pâtisserie pour me changer les idées. Je mange ma glace au zabaïone en évitant de regarder dans la rue. Je sors: je bute sur deux autre Canadiens couverts de feuilles d'érable. Un groupe de six déambulent sur le trottoir d'en face, et il en déboule d'autres au bout de la rue. Le Tout-Red Deer, le Tout-Kitchener, le Tout-North Bay est à Turin. Si ça me fatigue?

Pouvez pas croire.

Mais non, c'est pas politique. Me dérange pas que les athlètes se promènent en ville dans leur uniforme. Me dérange pas que les spectateurs canadiens dans les lieux de compétition aient des coats du Canada et agitent des unifoliés en criant Ca-na-da, Ca-na-da. Il y en avait l'autre soir à la finale du hockey des filles qui se lançaient des balles, avec des filets à papillons, habillés drôle, ils étaient fort sympathiques, les autres spectateurs ont embarqué, vive le Canada.

Mais quand ils vont se promener dans le centre-ville du Turin, quand ils vont au Mole Antonelliana ou au Musée égyptien, quand ils vont faire du lèche-vitrine via Roma, ou via Cavour, ou sous les arcades de la Via Pô, c'est quoi l'idée de porter un jacket Canada, une tuque Canada, et un coup qu'on n'aurait pas compris qu'ils étaient Canadiens, des petits drapeaux du Canada dans la poche arrière?

Je ne vous parle pas d'un tôton que j'ai rencontré. Je vous parle d'un troupeau de plusieurs centaines de tôtons. Je vous parle d'un malaise dans le centre-ville. Ils ont oublié d'apporter d'autre linge? Leurs valises ont été égarées? S'habillent-ils tous à La Baie à Mississauga comme jadis les Soviétiques au même magasin d'État?

Question aux Canadiens qui sont en ce moment à Turin: avez-vous vu un Italien, un seul, déguisé en Italien? Un Français, un seul, déguisé en Français? Un Américain déguisé en Américain? Un Suédois déguisé en Suédois? Un Finlandais déguisé en Finlandais? Un Allemand déguisé en Allemand?

Pas un. On a vu des Canadiens déguisés en Canadiens et aussi nombreux qu'eux, des Russes déguisés en Russes. Même rouge agressif. Même mauvais goût kolkhosien, même esprit grégaire, même grosses madames qu'ont l'air de paupiettes de veau roulées dans un drapeau, il leur manque juste un cure-dent au travers des oreilles. Je n'ai pas pu m'empêcher. Mi scusi signorina, questa bandiera, ce drapeau, c'est bien le drapeau du Canada?
Yes.
Et Canada, c'est un pays ou une équipe?
Qu'est-ce que tu veux dire, une équipe?
Je ne sais pas. Une équipe. Une équipe de curling.

BÉBÉ À BORD - Le plus jeune participant à ces Jeux est âgé de quatre semaines. J'ai dit «le plus jeune», mais on ne sait pas encore si c'est un petit garçon ou une petite fille. Il ou elle est allemand. Il ou elle a gagné une médaille de bronze en... skeleton. Vous vous rappelez que les filles descendent la piste sur le ventre, c'est vous dire si, à 110 kilomètres/h notre jeune ami(e) a senti le vent de la course. Entre la glace et lui, juste la peau du ventre de sa mère, l'Allemande Diana Sartor, 35 ans.

Les médecins ne voyaient pas d'objection à ce que je prenne le départ, ils m'ont dit que le bébé ne courait aucun risque. Si je me suis retenue? Pas consciemment, a sobrement commenté la jeune maman.

C'est le genre de petite histoire qui fait les délices de la presse, bien sûr. Pourtant, il n'y a pas si longtemps, la chose était courante, et même planifiée. Des Allemandes justement. Les «préparateurs» est-allemands avaient observé que les femmes enceintes de quelques semaines avaient plus d'énergie, plus de force, plus de gonatrophine chorionique (wouache) que produisent, paraît-il, les femmes enceintes, une hormone peptidique comme l'EPO (je le savais, toutes des dopées, sauf môman). Toujours est-il qu'on suggérait aux athlètes de pointe est-allemandes d'arriver enceintes aux Jeux. Et de se faire avorter ensuite évidemment. Ah! le merveilleux monde du sport.

ABÎME PAS LA PELOUSE - Le sport et les femmes, c'est le titre de la conférence à laquelle je me suis rendu hier, journée de presque relâche sur front sportif. La conférence était donnée par la Fédération des femmes du Piémont, c'est pas le vrai nom, mais c'est l'esprit. Des militantes bien documentées, des propos qui déménagent, des invitées pertinentes, une boxeuse, l'équipe féminine du Toro (soccer), une ancienne joueuse de volley de niveau international, sauf que le sujet n'était pas celui annoncé, on aurait dû préciser le sport italien et les femmes italiennes. Une réalité très différente de la nôtre.

Pour ce qui est de l'égalité des sexes, du moins dans le sport, le Canada est trois siècles en avance sur l'Italie. Les joueuses de soccer du Toro racontaient qu'elles se font régulièrement interdire l'accès à des terrains de foot parce que leur disent les responsables: «Vous jouez si mal que vous allez abîmer la pelouse»!

Il a été beaucoup question d'argent, de maternité, et de visibilité dans les médias. Certains sports, comme le soccer féminin justement et le cyclisme féminin, sont carrément ignorés par les deux grands quotidiens de sports italiens. Cela reflète parfaitement le machisme de la société italienne, a virilement dénoncé une dame dans la salle... euh oui et non, madame. Ce n'est pas si simple.

Le basketball, le tennis, le volley, le soccer (en Amérique du Nord), les longues distances et le demi-fond en athlétisme, la natation, la gymnastique bien sûr, le patinage artistique et de vitesse, le ski, l'escrime, maintenant l'haltérophilie, le judo, etc, sont si universellement pratiqués par des femmes, que la parité est atteinte sinon dans le dynamisme de la performance, dans la qualité du spectacle.

Mais pour la boxe, par exemple, pour le hockey féminin (sauf dans quatre pays), pour le cyclisme féminin (un peloton d'une quarantaine de filles -gros max- de haut niveau), qu'est-ce que vous voulez que je vous dise, c'est souvent plate. Pas parce que ce sont des filles, parce que ce sont des pionnières, qu'elles défrichent, et le défrichage, c'est un gros chantier, c'est pénible et ça prend du temps.

UN PETIT COMIQUE - Il s'appelle Gerhard Plankensteiner, il est cependant Italien et a gagné la médaille de bronze de luge. Question vicieuse d'un journaliste de la télé italienne (en direct): si vous aviez gagné la médaille d'or, auriez-vous chanté l'hymne national, comme le souhaite le président de la République?

Je ne connais pas l'hymne national italien.

Toute l'Italie en a été irritée. Il faut préciser qu'il y a à peine un mois, la province du Haut-Adige d'où vient le lugeur, a demandé à l'Autriche de protéger son droit à l'autodétermination. Le lugeur est revenu par la suite sur la déclaration: je connais l'hymne national italien.

Alors pourquoi t'as dit non la première fois?

Parce que je n'avais pas compris la question. Je ne comprends pas très bien l'italien!

Ou il est un peu con ou il se fout du monde. Comme il est presque Autrichien, je penche pour la première option.

L'AIR DU TEMPS - Après une petite bordée de neige -dimanche soir- qui n'a laissé aucune trace, le temps doux est revenu. Turin digère ses visiteurs avec un calme qui lui vient de l'Histoire, de l'esprit d'indépendance, et de plusieurs siècles de civisme. Avec calme, disais-je, n'empêche qu'on faisait la file aux portes des restaurants ce midi et que je suis rentré dîner à l'appartement.

Ce matin, en revenant du marché, juste pour vérifier si Turin déborde tant que ça, j'ai fait les hôtels pour voir s'il y avait des chambres libres. Hotel Versilia oui, chambres à 100 euros, Hotel Dantesca oui à 120, Hotel Urbani non, loué par la délégation finlandaise pour toute la durée des Jeux, Hotel centro oui, Hotel Due Mondi oui à 180 euros, Hotel Bellavista oui, Albergo Alba oui à 65 euros. Parlant d'Alba, hé Alba, come va? Et tes deux petites Albanaises? Becs.

On vous a dit que Turin n'était pas une ville chère? Moins chère que Montréal, pourtant elle-même bien raisonnable. Les transports publics, les restos, les taxis, le café dans les cafés, moins chers que Montréal. L'épicerie kif-kif.

Je quitterai cette ville à la fois modeste et somptueuse avec regret. Je vais m'ennuyer de ses arcades, du marché de la piazza Madama Cristina, de la boulangerie Ficini où la dame ne me demande même plus ce que je veux, allora, une baguette mordiba et une aux graines de sésame (pour Marie). Il y a deux mots que je ne pardonne pas à la langue italienne pourtant si belle, morbido qui veut mou, moelleux et surtout sinistra, à sinistra: à gauche. A-t-on idée, c'est la droite qui est sinistre.