Le mardi 9 janvier 2007


Lisez, au moins...
Pierre Foglia, La Presse

C'est drôle pareil. Il y avait dans ces deux pages la 2 et la 3 de samedi des bonheurs d'écriture, tout plein de sourires, tout plein de tendresse, quelques impertinences inspirées, bref un bel hommage aux lecteurs par des lecteurs. Mais pour trois petites lignes dans ma présentation que je ne renie pas, le club des chers-zauditeurs, la gang des nouvelles matantes cybernétiques me sont tombés dessus avec quelque part ce grand classique que j'entends depuis 30 ans : je ne sais pas pourquoi je vous lis, je déteste ce que vous écrivez. Il n'y a rien d'étonnant à cela, madame, c'est dans la nature profonde de la bête, le morpion non plus n'aime pas le sujet dont il ne cesse, pourtant, de bouffer le cul.

Le croiriez-vous? J'ai pris la résolution pour 2007 d'être gentil. Mais ça commence juste demain.

J'allais vous parler de livres. Ma liste 2006? Le problème, c'est que je ne me souviens plus très bien de ce que je lisais au printemps. Comme toujours, je lisais Harrison, Bukowski, Céline, Ferron qui haïssait tant Céline, mais les nouveautés? Rien d'impérissable, il faut croire. Ou alors c'est ma mémoire.

LES OEUVRES Une oeuvre, cela n'arrive pas toutes les années, alors, imaginez, deux! La première n'est pas vraiment bien écrite, le style fonctionnaire des rapports de l'ONU. C'est pourtant de la très grande littérature en ce sens qu'elle nous amène là où on ne serait jamais allé sans elle, et qu'elle nous fait devenir autres, le pluriel ici est important, plusieurs autres. Je parle du Goncourt, accordé cette année à Jonathan Littell pour Les Bienveillantes. Une grande oeuvre littéraire, mais une plus grande oeuvre humanitaire encore. Un livre essentiel sur l'Holocauste. Cette phrase, page 542 : On a beaucoup parlé après la guerre de l'inhumain. Mais l'inhumain, excusez-moi, cela n'existe pas. Il n'y a que de l'humain et encore de l'humain.

La seconde oeuvre, je suis dedans en ce moment, James Joyce, l'Irlande, le Québec, les mots de Victor-Lévy Beaulieu. Après son Melville, son Hugo, son Voltaire, son Ferron, son Kerouac, j'en passe, vous devez commencer à savoir comment fonctionne VLB? Non? Excusez-moi, j'oubliais que vous ne lisez pas VLB. Vous attendez qu'il soit mort, j'imagine, pour découvrir l'immense écrivain que vous vous efforcez d'ignorer derrière le polémiste mal élevé qui a envoyé chier notre chouchou à tous, Michel Tremblay.

Je vous explique comment fonctionne VLB : il se saisit d'un monstre, Melville, Hugo, Voltaire, Ferron, ici James Joyce, mais au lieu d'en faire la biographie comme on s'y attendait, au lieu d'ouvrir tout de suite Finnegans Wake un livre encore plus difficile à lire que L'homme sans qualités VLB nous torche 60 pages magistrales sur la mort du père, puis 50 autres sur l'Irlande, puis nous parle de Charles Stewart Parnell qui fut à l'Irlande le beau risque que René Lévesque fut au Québec : le beau risque des prophètes faisant traverser aux leurs le désert vers la Terre promise, mais impuissants à les y faire entrer, peut-être simplement pour avoir voulu être trop démocrates dans des sociétés qui ne l'étaient pas autant qu'eux.

Et on s'approche ainsi de Joyce en en menant très large, la littérature de VLB déborde, inonde, irrigue, se divise en mille bras comme un fleuve en son delta juste avant de se jeter à la mer. Enlisé dans les alluvions : le Québec

LE BIJOU D'ÉCRITURE La mer de la tranquillité, des nouvelles de Sylvain Trudel, la seconde surtout, trois petites pages de sublime musique Y a-t-il toujours quelque chose de plus petit que la plus petite chose; de plus grand que la plus grande chose, je pense à tous ces gens qui tripaient Baricco il y a 10 ans, qui capotent sur le mauvais Bobin d'aujourd'hui, ont-ils jamais goûté à du Sylvain Trudel? Je vous l'assure, des textes aussi beaux que la couverture est laide (Les Allusifs).

LE LIVRE LE PLUS ÉBLOUISSANT Chroniques d'un temps loufoque de Francois Ricard (Boréal). J'en ai déjà parlé pour dire que c'était aussi le livre le plus chiant, mais cela c'est seulement quand on sait le dessous des choses, combien on parie qu'il vous échappera que Ricard règle ses comptes avec Nancy Huston qui avait écorné son petit ami Kundera ou serait-ce parce qu'elle a douté de Schopenhauer, leur dieu à tous? J'en perds des bouts moi aussi, anyway, ce qu'il dit est plutôt sans intérêt, c'est la méchanceté ici qui est éblouissante.

LE LIVRE LE PLUS SOMBRE MAIS PEUT-ÊTRE LE PLUS BEAU Le sort de Fille de Michael Delisle (Leméac). Des nouvelles encore. Fille, c'est un chien qui finira mal. Il n'y a pas grand-chose qui va bien dans ces nouvelles, même Mallarmé est un peu fucké, mais ça on le savait, aboli bibelot d'inanité sonore, t'sais j'veux dire?

LE LIVRE PROMETTEUR D'où viens-tu Berger?, Mathyas Lefebure (Leméac). Prometteur, cela signifie qu'en lisant ce livre-là, on se dit, tiens, un nouvel écrivain. Ce n'est pas encore tout à fait cela, mais si ses moutons ne le mangent pas et s'il ne s'enivre pas trop du grand air de ses montagnes, c'est sûr, j'achèterai le prochain.

LE LIVRE QUI M'A DÉÇU Brefs aperçus sur l'éternel féminin de Denis Grozdanovitch dont j'avais adoré, mais vraiment beaucoup beaucoup le Petit traité de désinvolture (Points).

LE LIVRE SAVONNETTE L'art de la joie de Goliarda Sapienza (Viviane Hamy). Il en est pour évoquer Lampedusa et Le guépard, c'est dire combien la critique italienne et la française à sa suite ont salivé. Moi, rien du tout. Je n'arrive même pas à entrer dedans. Je n'arrive même à le tenir dans mes mains. Une savonnette mouillée, ce machin.

LA VRAIE MERDE DE L'ANNÉE La touche étoile, Benoîte Groult. Je vous en parle juste parce que Dieu que vous avez aimé ça! Elle est tellement allumée pour son grand âge. Elle baise encore, savez-vous. Et c'est pas difficile à lire, ha pour ça non, c'est pas difficile à lire! De la page 42 à 53, elle achète un ordi avec la complaisance habituelle des nuls pour leur nullité en cette matière. Navrant. Elle trouve le ski de fond ennuyeux bien sûr, mais comme elle aime l'Irlande! Et l'air salin sur sa vieille peau. Encore un peu et on allait passer le week-end à Ibiza comme jadis dans les romans de Mazo de la Roche.

Si vous avez vraiment aimé le Benoîte Groult, je crois que vous allez détester tous les livres dont je parle dans cette chronique. Savez-vous quoi? Ça ne me fait pas un pli sur le ventre.