Le jeudi 11 janvier 2007


Hygiène mentale
Pierre Foglia, La Presse

C'était la question que posait Maisonneuve hier. A-t-on peur de la gastro pour rien? La réponse prévisible des invités : la gastro n'est pas rien quand on est déjà malade d'autre chose, ou diminué, ou très vieux. Le virus se transmettant très facilement, la gastro pose problème dans les lieux de grande promiscuité, les écoles, les hôpitaux, les centres d'hébergement. C'est la première partie de la réponse. La seconde, la vraie, parce qu'elle concerne la population en général : oui, on a peur pour rien. On fait un mélodrame d'un virus dont il est facile, quand on est en santé, de venir à bout avec un peu de repos.

J'abonde énormément. Mais pourquoi donc cette peur dont on devine qu'elle pourrait facilement devenir panique? Un psychanalyste est venu expliquer que c'était la faute des médias qui amplifient, qui déforment, qui ne savent pas quoi dire dans les creux d'actualité comme celui que nous traversons en ce moment. C'est la faute des médias à une exception, s'est empressé d'ajouter le psy : vous M. Maisonneuve. Vous, vous faites la part des choses. Plus téteux que ça tu deviens attaché de presse de Linda Lemay.

Bref, je repose la question à tout le monde sauf aux psys : d'où vient cette peur?
Elle vient de notre hystérique désir de vivre à risque nul. Elle vient de notre obsession de la sécurité. Bien sûr que ce sont les médias qui relaient cette hystérie du risque zéro, mais ils la relaient seulement. D'où vient-elle?

Des pouvoirs publics, et tout particulièrement des ministères de santé publique. Ce ne sont pas les médias qui ont inventé le virus du Nil, ils n'ont fait que mettre en page les 1 230 000 alertes des services publics pour mettre en garde la population contre cet effroyable mangeur d'hommes qui a fait un mort et demi en neuf ans.

Ce sont les ayatollahs de la santé publique qui nous ont convaincus de l'extrême danger de la fumée de la cigarette qu'est en train de fumer notre troisième voisin à la terrasse d'un café. De l'extrême danger du hamburger. Du risque incroyable que l'on prend en buvant du lait à 3,5 %.

Ce sont aussi les mêmes ayatollahs sanitaires sinon les mêmes, de la même école de pensée qui, il y a quelques années, ont été incapables d'identifier le risque de transmission du VIH dans les centres de transfusions sanguines. Ce sont les mêmes aussi, impuissants devant le lobby chimique combien de jobs ? combien de milliards ? , qui leur ferme la gueule sur les cancers qui tuent des centaines de milliers de personnes chaque année. Qu'allez-vous chercher là, le cancer n'a rien à voir avec la pollution chimique de l'eau, de l'air et des aliments.

Comme il faut bien qu'ils s'amusent à quelque chose dans leurs ministères, ils nous reviennent tous les ans avec leurs statistiques à pédale sur le nombre d'accidents mortels à vélo.

Quand t'embarques sur ton vélo, ou dans ton auto, quand tu traverses la rue à pied, tu prends le risque " normal " d'avoir un accident. Bon, te voilà blessé. On te conduit à l'hôpital. Et pouf, là tu meurs d'une infection au Clostridium difficile. C'est déjà moins normal. Je ne dis pas qu'il y a erreur humaine, ou administrative, ou politique, je dis qu'il y au moins erreur sur les priorités.

Je dis aussi : arrêtez donc de nous faire peur sur tout et sur rien. Arrêtez de fourrer votre nez dans nos assiettes, dans nos loisirs, dans nos plaisirs. Arrêtez de nous faire tirer le boulet de la prévoyance absolue, arrêtez de faire de la morale avec la santé publique.

Occupez-vous de la chimie et de ses cancers. Occupez-vous de la grippe aviaire qui va bien finir par arriver. Occupez-vous de la bactérie C. difficile. Occupez-vous du sida en Afrique, et crissez-nous patience avec vos phobies de consommateurs gavés.

Il suffit d'un séjour dans les pays en voie de crever de leur non-développement pour réaliser, au retour, combien est ridicule notre société de prévoyance absolue, plombée de toutes les peurs, où le vivre-ensemble se perçoit comme une extension de l'immunologie.

La santé publique chez nous passe de plus en plus par une hygiène mentale publique et ça, ça devrait nous faire bien plus peur que la gastro.