Le mardi 30 janvier 2007


La ruelle de Chateaubriand
Pierre Foglia, La Presse

Quand j’ai été embauché comme journaliste sportif au journal La Patrie, cinq ou six ans après mon arrivée en Amérique du Nord, il y avait là deux sautés de la pédale, Louis Chantigny et Pierre Gobeil. Le premier truc que m’a demandé Chantigny (c’était le boss) : T’intéresses-tu au sport cycliste ?

Pas du tout. À l’époque je capotais sur le hockey, le basket, l’athlé. Le vélo ? Cela devait bien faire 10 ans que je n’étais pas monté sur un vélo, et ne me demandez pas qui avait gagné le Tour de France cette année-là, ni celle d’avant. Vraiment rien à foutre.

La première fois que je suis allé prendre une bière après la job avec ces deux malades, on s’est retrouvés à l’aube dans un resto de la rue Saint-Hubert qui n’était pas encore la Plaza. Un quatrième larron s’était joint à nous, un petit avec des gros sourcils; ils n’ont pas arrêté de parler vélo toute la nuit . De temps en temps je me pinçais : ça s’peut pas, je ne suis pas au Canada, il n’est pas 4h du matin, ils ne sont pas encore en train de parler de ce sport de merde, ils ne sont pas en train de s’engueuler à propos de Jacques Anquetil et de Felice Gimondi... À la table d’à côté, les employés de la morgue draguaient grossièrement la serveuse qui, si je me souviens bien, était la belle-soeur de Gobeil.

J’étais fasciné par le petit avec des gros sourcils, il s’appelait Guy Morin, il en sortait des chapelets de jurons que je n’avais jamais entendus avant. Quand on s’est retrouvés sur le trottoir, le jour se levait, Morin nous a dit: venez donc prendre un café à la maison. On y est allés à pied par la ruelle de Chateaubriand, on s’est assis dans la cuisine, on parlait fort. Josée est descendue en peignoir, en faisant: chut, les enfants dorment. Pinceau, il a dit – il l’appelait Pinceau – Pinceau, j’te présente... c’est quoi déjà ton nom, l’Françâ ?

Sont devenus mes meilleurs amis pendant quoi ? Dix ans ? Une fois par semaine, des fois deux ou trois fois, tout seul ou avec ma fiancée du moment ou avec les enfants, j’enfilais la ruelle de Chateaubriand. Josée me faisait un café, le plus mauvais café du monde (elle était irlandaise) – puis je traversais dans la bâtisse voisine où Guy avait son atelier de denturologiste. Il est toujours là d’ailleurs, l’atelier ; pas Guy ; Guy est mort jeudi.

Tout en zigonant ses dentiers avec une brosse ou une petit meule, on parlait vélo. J’ai passé là des millions d’heures, parmi les plus chaleureuses de ma vie. C’est curieux la passion, la chaleur qu’elle génère, ça n’a rien à voir avec son objet qui peut être aussi dérisoire que le vélo, les timbres ou je ne sais pas quoi.

Le dimanche, on allait aux courses, on était la première auto derrière le peloton, ou derrière les échappés. Ti-Guy devinait tout: celui-là va craquer, celui-ci va attaquer, mais il n’ira pas jusqu’au bout. Je lui dois tout ce que je sais du vélo. Comment se gagne une course, quand attaquer, quand lancer le sprint, toutes les ficelles du métier, le coup du petit canard qui tousse que Armstrong a fait une fois à Ullrich dans l’Alpe d’Huez, Ti-Guy me l’avait conté près de 20 ans avant que ça arrive.

Mes meilleurs amis pendant quoi ? Dix ans ? Et puis, un jour, ils ont déménagé à Laval. Je ne les ai presque plus jamais revus. Pas fâché ni rien. Combien d’amitiés sont enterrées à Laval ? Quand Josée est morte il y a quelques années, au salon j’avais dit à Ti-Guy: je vais aller te voir, promis. Il souffrait déjà du Parkinson à l’époque. Je n’y suis jamais allé. Voyez, finalement, ce n’était pas Laval. L’amitié ça va, ça vient, ça meurt avant nous.

Vendredi, Guy junior m’a téléphoné :
Papa est mort hier.

Vous ne me croirez peut-être pas, mais là, tout à coup, il était vivant. Je remonte la ruelle de Chateaubriand, j’entre dans la cour, je pousse la porte de l’atelier, il lève ses gros sourcils :
Ah ben calice !
Salut Ti-Guy.

IIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIII

Ceci expliquant cela — Puisque vous me le demandez, oui j’ai quelque chose à ajouter sur Hérouxville et sur ce policier qui fait rimer aéroport et tchador dans une chanson. Les deux incidents sont à la fois très différents et... complémentaires. Très différents parce qu’on a, d’une part, un flic qui exprime en chantant une opinion avec laquelle personne n’est obligé d’être d’accord, mais me semble qu’on est ici dans le droit de parole et d’opinion.

Alors qu’à Hérouxville, on est chez des morrons qui s’amusent à légiférer. On est dans la grossière provocation.

Maintenant, en quoi ces deux incidents sont-ils complémentaires ? J’ai entendu au téléjournal et à la radio des représentants de certaines communautés ethniques réclamer à grands cris des sanctions contre le flic.

Vous savez où mènent ces grands cris ethniques ? Directement à Hérouxville.