Le samedi 3 février 2007


L'économie
Pierre Foglia, La Presse

Quelques faits. L'abattoir Olymel perdait de l'argent; 20 millions par année, paraît-il. L'abattoir a annoncé à ses 1100 employés qu'il fermerait ses portes s'ils n'acceptaient pas des baisses de salaire. Ici, les versions varient. Selon l'abattoir, ces baisses équivalaient à 50 $ par semaine. Selon le syndicat, à 240 $. Les employés gagnaient 20,65 $ l'heure.

Les syndiqués ont rejeté l'offre à 97 %.

D'autres faits. Le même abattoir a annoncé en décembre la prochaine fermeture de ses deux usines de la région de Saint-Hyacinthe. Cinq cent cinquante travailleurs sans emploi.

Encore des faits. L'économiste Joëlle Noreau, du Mouvement Desjardins, prévoit entre 20 et 25 000 pertes d'emplois dans le secteur manufacturier pour 2007 (c'est un progrès, il y en a eu plus de 30 000 en 2006).

Déjà, depuis le début de l'année, Goodyear a annoncé la mise à pied de 800 employés. La semaine dernière, c'était au tour du chantier maritime Verreault Les Méchins d'annoncer des fermetures plus ou moins temporaires.

AVERTISSEMENT - Je suis complètement nul en économie. Mais pas complètement con. Je sais des petites choses. Par exemple? Eh bien, par exemple, je sais que la hausse du dollar canadien est la cause principale du déficit d'Olymel et, au-delà, la raison de la crise qui secoue l'industrie porcine.

Même nul, je comprends aussi très bien que lorsque le dollar canadien est plus haut, la part du marché (et de profit) de l'industrie porcine, ou de l'industrie du bois, ou de l'industrie du plastique est plus petite parce que la concurrence est plus grande.

Pourquoi le dollar canadien monte-t-il?

Le dollar canadien monte quand l'économie canadienne va bien. En ce moment, le dollar canadien est très, très haut (par rapport aux 60 cents dans la piastre américaine qu'il valait il n'y a pas si longtemps) parce que l'économie canadienne va très, très bien.

C'est donc parce que l'économie canadienne va très, très bien que les 1100 employés d'Olymel se retrouvent sans emploi. Et les 800 de Goodyear. Et les 20 000 autres à venir au cours de l'année. Serait-ce beaucoup demander aux économistes de prendre cinq minutes pour nous éclairer : quand vous dites que l'économie canadienne va très, très bien, elle va très, très bien pour qui, au juste?

On veut des noms.

LA GLOBALISATION - La santé du dollar canadien n'est pas la seule raison du déficit d'Olymel. L'autre grande raison : la globalisation. Un écrivain italien (Baricco) en a déjà donné cette définition : tu marches dans la rue et tout d'un coup quatre personnes te dépassent en courant comme des malades. En passant à côté de toi, ils crient : Vite, vite!

Quoi, vite?

Mais deux autres devant toi se laissent entraîner et se mettent à courir aussi, puis deux autres, puis tout le monde court sans savoir trop pourquoi. Ni où. C'était ça au début, quand le mur de Berlin est tombé. Aujourd'hui, la mondialisation, c'est les Chinois, les cochons chinois, les pneus chinois, le plastique chinois... Je vais vous raconter un truc, un vrai truc. Je chroniquais il y a deux semaines sur un bébé en dépendance technologique, la difficulté étant de trouver, et de rémunérer décemment, une personne pour le veiller la nuit. Le CLSC offrait 8 $ l'heure et je m'exclamais dans la chronique : allez donc offrir 8 $ l'heure, la nuit, à quelqu'un qui a été formé pour garder un bébé en dépendance technologique...

J'ai reçu un courriel de Chine d'un M. Bronsard qui me dit : J'habite en Chine depuis plusieurs années, un de mes amis dirige un centre de formation spécialisé en aide familiale, il pourrait vous envoyer quelqu'un de très qualifié au salaire alloué (8 $ l'heure). Si cela vous intéresse, je me ferai un plaisir de m'occuper des tracasseries administratives.

Je lui réponds que je ne comprends pas très bien. Votre ami forme des Chinois spécialisés en aide familiale, disponibles, là tout de suite, pour venir garder un bébé trisomique à Longueuil?
Il m'a confirmé : l'objectif du centre est effectivement de former ce type de main-d'oeuvre qu'on ne trouve pas au Canada.

Correction : qu'on trouverait, mais pas à ce prix-là.

LE PEUPLE INCONSCIENT - Olymel avait engagé M. Lucien Bouchard comme négociateur. Dieu que l'ex-premier ministre avait l'air abattu, après le vote à 97 % des syndiqués rejetant son offre. Ce grand abattement découragé et dépité des Élus, notez la majuscule, quand le peuple se trompe, ce pauvre peuple trop souvent aveuglé par ses désirs. Je suis allé rechercher cette phrase dans l'introduction du fameux manifeste des lucides, cette phrase qui ferait un bon bas de vignette à la photo découragée de M. Bouchard après le vote à 97 % : Notre peuple ne semble pas conscient des écueils qui menacent aujourd'hui son avenir...

Pour moi, le non des syndiqués d'Olymel exprime un refus fondamental - déraisonnable sûrement et sans doute suicidaire - mais fondamental, anthropologique. Pas un non de syndicaliste. Je n'ai pas entendu so-so-solidarité. J'ai entendu des citoyens écoeurés qui disaient fuck l'économie. Fuck l'économie économique, à quand une économie sociale?

LE NOIR - Rien à voir, je viens de lire mes courriels, celui-ci de Jacques Lacroix qui me demande : Avez-vous éteint vos lumières hier soir? Mon voisin, oui. Et puis ce matin, comme tous les matins, même quand il fait plus doux, il a «parti» son char et il est remonté chez lui. Moi? Si j'ai éteint mes lumières hier soir? Non. J'ai peur du noir.