Le mardi 13 février 2007


Comme ça me plaît
Pierre Foglia, La Presse

Vous buvez du lait, vous?

Moi beaucoup. Depuis toujours. Je bois du lait quand j'ai soif. Je bois un lait chaud tous les soirs avant de me coucher avec du rhum et du miel dedans. Je fouette un oeuf (des fois deux) dans un grand verre de lait en revenant de jogger, en ajoutant bien sûr cinq ou six cuillerées de sucre (blanc). Jamais de lait écrémé, du lait 3 % et c'est bien parce qu'il n'y en a pas à 8 %.

Quoi, Daniel Pinard? Me dérange pas, ce vieux yogourt. Son discours furieusement anti-lait me passe 100 pieds au-dessus des oreilles. C'est le Guide alimentaire canadien et les nutritionnistes qui m'énarvent.

Comment cela? Le Guide alimentaire et les nutritionnistes ne sont-ils pas furieusement pro-lait, source de vitamine D? Selon leur science le lait serait souverain contre l'ostéoporose qui coûte si cher à la société en remplacements de hanches et de genoux.

Justement, madame, je n'ai pas envie de boire du lait ou du jus de pomme, ou du vin ou quoi que ce soit parce que c'est bon pour mes hanches, pour mes genoux, mes bronches, mon cul. Je bois du lait parce que j'aime ça. J'aime pu ça si c'est un médicament. Je ne veux pas que les ministères de la Santé, celui du Canada et celui du Québec, et leurs matrones de nutritionnistes viennent jouer dans mon lait. Ni dans mon assiette. Ôtez vos pattes de d'là.

Non seulement les nutritionnistes me coupent l'appétit, mais elles me gâtent le plaisir que j'avais d'écouter la radio, en tout cas à écouter Les années lumières, mon émission préférée à Radio-Canada qui a eu la très mauvaise idée de désigner «scientifique de l'année», une des plus redoutables nutritionnistes de la profession. Pas assez d'en avoir fait la scientifique de l'année, il me semble qu'ils l'ont aussi adoptée : elle est toujours là le dimanche midi à me gâter mon repas dominical. Je mangeais des frites bien grasses dimanche et elle et ses comparses n'arrêtaient pas de me dire de manger du poisson.

Je mange du poisson quand j'ai envie de manger du poisson, madame Chose. C'est-à-dire de moins en moins souvent depuis qu'on l'élève avec des moulées qui le font goûter la... moulée.

Ne les entendez-vous pas venir les commissaires à l'alimentation? Sont en train de poser des barbelés autour de nos frigos. Sont dans la même dynamique morale que les autres lobbies, sont dans le pouvoir d'influer sur le politique. Des curés. Et bientôt des flics. Sont à veille de surgir à l'improviste dans nos cuisines, fouiller dans le frigo, touiller nos poubelles... Deux ans avec sursis pour un pot de crème fraîche. Quatre ans pour un tartare, 15 ans sans possibilité de libération conditionnelle pour des involtini de raie au beurre noir, servis avec des tranches de polenta frite.

Et vous, gogos comme d'habitude, de faire un best-seller d'un livre sur les aliments contre le cancer. Vous êtes capables de faire ça, vous? Manger contre le cancer?

Pas moi. Quand je mange, je mange.

LIRE LE CINÉMA

Ce n'est pas pour me vanter, mais samedi j'ai loué un film, C.R.A.Z.Y.

Je ne suis pas très cinéma, comme vous le savez. Je ne suis guère l'actualité cinématographique ce qui m'expose à des coups de foudre à retardement qui me rendent presque gaga, ainsi Dogville dont je vous ai parlé mille fois et plus récemment un documentaire sur des enfants en Inde qu'une journaliste américaine initie à la photo, Nés dans un bordel.

Je ne suis pas un cinéphile, ne serait-ce qu'à cause de cette indifférence à l'image et aux mouvements de caméra qui me rend incompréhensibles les grandes oeuvres formelles, le Cuirassé machin et autres. En fait je regarde moins les films que je ne les lis.

C.R.A.Z.Y.? Pas fort comme écriture. Je me souviens que la critique avait beaucoup insisté pour dire quel magnifique film sur la famille. S'cusez, où ça une famille? Un personnage, un seul. Tous les autre campés, écrits, définis, j'ose dire caricaturés par rapport à celui-là, même pas par rapport à lui, par rapport à son homosexualité. Le sujet n'est pas la famille, mais l'homosexualité dans la famille, tout tourne autour de ça, si ce garçon n'est pas homosexuel, il ne reste plus rien du film, pas un dialogue, pas une scène. Le film est sauvé par Charles Aznavour, je plaisante, par le jeu des acteurs, notamment Mme Proulx et M. Michel Côté auteurs de grands numéros.

Il se trouve que samedi, paraissait dans notre cahier cinéma, le Top 50 du cinéma québécois. C.R.A.Z.Y. s'y classe septième, le septième meilleur film jamais tourné au Québec depuis l'invention du cinéma.

Ce genre de classement - c'est un peu son but - permet à chacun de refaire le sien. Personnellement, j'eusse rapproché du sommet les premières oeuvres d'Arcand, notamment On est au coton, de même que Chronique de la vie quotidienne de Jacques Leduc, et j'aurais aussi inclus Bar salon de Forcier dans les 50. Mais dans l'ensemble, ce classement nous dit assez justement ce qu'est le cinéma québécois : une cinquantaine de bons films.

Pas encore, comme en littérature, de Ferron, de Victor-Lévy Beaulieu, Gaston Miron, Réjean Ducharme, Mordecai Richler. Pas encore de grande oeuvre.