Le mardi 20 février 2007


Petit lundi
Pierre Foglia, La Presse

Quand on est vieux, on est toujours à faire pipi dans des petites bouteilles et à donner son sang à des infirmières qui font ça depuis si longtemps que ça fait comme un moustique qui pique et c'est déjà fini.

Restait à pisser. Lavez bien votre prépuce avant, m'a-t-elle dit. J'ai souri. C'est la voix de ma mère que j'entendais : T'es tu lavé les mains? Le prépuce aussi, m'man.

C'était ce lundi matin à l'hôpital du Haut-Richelieu à Saint-Jean, et envoye donc un coup parti, pourquoi pas un électrocardiogramme? J'étais le seul patient pour l'électro, mais dans la salle d'attente, une maman avec son petit garçon avaient rendez-vous avec l'orthophoniste. Est arrivée une autre dame. Puis un monsieur pour ses oreilles. Ou était-ce pour les yeux?

La seconde dame le connaissait, en fait, c'était son garagiste. Ils se sont mis à parler de la neige pas ramassée dans Saint-Jean. Le petit garçon est parti en courant dans le couloir. Reviens ici tout de suite, Jérémie! Les deux dames ont parlé de poux. Figurez-vous que l'autre semaine, il a attrapé des poux, je ne vous dis pas le nombre de lavages, les habits, la literie, même les nounours.

À l'angoisse d'être peut-être malade, s'ajoute la panique des salles d'attente, des conversations qui sont comme une invraisemblable quête de l'infiniment moyen, des vieux numéros de Châtelaine, de la télévision allumée que personne ne regarde, comme au terminus Greyhound de Cleveland, Ohio, à 3h du matin.

Je lis une revue de vélo, mais je ne lis pas, j'écoute, je note mentalement les gestes, les attitudes des gens. Je fais cela depuis si longtemps, fixer la réalité pour la rapporter dans mes papiers, j'ai parfois dit que c'était pour témoigner des autres, il m'arrive de penser que c'est tout autant pour m'y soustraire. J'ai dû sourire. La dame me demande si c'est une revue humoristique. Vous n'imaginez pas combien drôle, madame, un article sur les cadres monocoques en carbone aux pattes arrière en alu interchangeables...

Vos pantalons aux genoux me lance la technicienne pour l'électrocardiogramme. Je commence à défaire la boucle de ma ceinture, elle m'arrête : pas comme ça, retroussez le bas de vos pantalons. Je me fonds en excuses. Ça va, ça va, elle dit, vous n'êtes pas le premier. L'autre était maternelle, celle-ci est aussi rugueuse que moi. Elle me colle des petits bouts de tapis sur le corps : détendez-vous, chut ne parlez pas... Encore deux minutes avec celle-ci et je commençais à jouer à un jeu que j'aime bien : combien-tu-paries-que-c'est-moi-le-plus-con? Je gagne à tous les coups.

J'étais dehors avant 10 h. Je suis allé déjeuner dans un petit resto belge face aux écluses, du moins je pense que c'est belge, cela s'appelle le Manneken-Pis, les gaufres y sont fondantes, et le service affable. Faut que soit belge...

Il y a deux sortes de gaufres. Celles qui sont légères, fluffées, probablement avec des blancs d'oeuf dans la pâte. Et des plus trapues, plus fermes. Les premières sont bruxelloises, les secondes liégoises. Je prends toujours les premières nappées de sucre à la crème ou de crème anglaise.

Mettez-m'en deux, madame.

Deux?
Quoi, c'est trop?
Je trouve...

J'ai oublié de vous dire : c'est un resto santé. Pas de friture, pas de frites, (pour des Belges, ça fait dur) et dans toutes les assiettes de la verdure : des fruits, des fraises, des bleuets, du melon...

Je suppose que si je vous en commande une troisième, vous allez appeler la police?

LA PLACE DU PARTI QUÉBÉCOIS - Paraît que vous avez hâte d'aller voter?

Paraît qu'il y a dans l'air une grande excitation. Paraît que cela sent le sang? Que les chiens aboient de partout, et c'est sans parler des loups. Je n'aime pas les mises à mort. Je n'aime pas qu'on fasse souffrir les bêtes, même les plus bêtes d'entre elles. Mêmes les chèvres comme M. Boisclair.

Bref, j'ai peur que le Parti québécois mange une telle claque qu'on se retrouverait avec un parti de droite au pouvoir et un autre parti de droite, encore plus à droite, dans l'opposition.

Le Parti québécois a fait des grandes choses au pouvoir - le zonage agricole pour ne nommer que celle-là -, mais il n'a pas fait la chose pour laquelle il s'est fait élire, l'indépendance, et il est peu probable qu'il la fasse jamais. Le PQ ne doit pas disparaître pour autant. Une fois M. Boisclair renvoyé à ses études, le PQ devra retrouver sa vraie place qui n'est pas au pouvoir, mais dans la société, dans la rue, dans la pensée critique.

Ah! tiens, pensez-vous, Foglia va voter pour le PQ. Pas du tout. Je suis lié par une promesse. Il y a quelques années, en Irak, dans une voiture qui roulait à travers le désert, il y avait aussi Françoise David dans la voiture. Je lui ai dit : Françoise, si vous vous présentez un jour à des élections, je voterai pour vous. Un vote perdu? Au contraire, le vote dont je serai le plus fier de toute ma vie d'électeur. N'empêche que si son parti continue d'accumuler les niaiseries - du genre de cette candidature bicéphale -, je crains d'adhérer à une autre cause perdue. J'ai bien dit une autre.