Le samedi 10 mars 2007


Créer de la richesse
Pierre Foglia, La Presse

Ces jours-ci, dans ma gang, on se récrie beaucoup contre l'absence de Québec solidaire et des verts au débat des chefs de mardi prochain.

Je viens de parler à une dame, Anne-Marie Saint-Cerny, fonctionnaire fédérale de profession, militante de coeur, qui a ouvert un site sur Internet - www.Debatpourtous.net - pour lancer une pétition dont l'intro va à peu près comme suit : Le 26 mars, autour de 600 000 Québécois (sur 5 millions et demi d'inscrits) se proposent de voter soit pour Québec solidaire, soit pour les verts. Nous estimons donc indispensable d'entendre les chefs de ces deux partis au débat télévisé du 13 mars...

Vingt-cinq mille citoyens ont déjà signé cette pétition, 300 groupes ont donné leur accord. Merci d'écouter ma voix, ajoutent des signataires en commentaire. De nombreux autres précisent qu'ils ne voteront pas pour ces partis, qu'ils sont libéraux, péquistes, mais qu'ils sont d'accord pour que Françoise David et Scott McKay se joignent, en toute équité, aux trois autres mardi soir prochain.

Je vous le dis tout de suite, cela ne se fera pas. Le consortium des diffuseurs et des trois grands partis qui fixent les modalités du débat télévisé ont établi pour règle qu'un parti doit avoir au moins un élu pour être invité, et ni les plaintes au Conseil de presse ni les pétitions, même de 25 000 noms, n'y changeront rien.

Sans ajouter que ce serait la cacophonie. Ces affrontements sont organisés comme des combats de coqs. Trois, c'est déjà un de trop; cinq, cela virerait au poulailler en folie. Je vais encore passer pour un traître à ma gang, mais je ne vois pas très bien ce que mes amis de Québec solidaire veulent aller faire dans cette galère qui n'est pas un lieu de débat. J'insiste, un combat de coqs. Le Québec ne choisit pas un programme, ce soir-là, il se choisit un leader, un exercice plus « staracadémique » que démographique. Quand j'entends mes concitoyens dire qu'ils préfèrent être éclairés plutôt qu'impressionnés, bullshit. Quand j'entends mes concitoyens réclamer « des idées » plutôt que des injures, mon oeil. Qui va planter qui ? C'est la seule inconnue.

Souvenez-vous du débat de 2003. Ce jour-là, M. Parizeau s'était plus ou moins commis devant des étudiants à Shawinigan. Il s'avéra par la suite qu'il ne s'était commis en rien du tout. Cela n'a pas empêché M. Charest, dans le style pitbull qu'on lui connaît, de réveiller des fureurs anciennes. M. Landry, pris de court, en avait été tout désarçonné. De l'avis d'à peu près tous les analystes, c'est ce qui avait basculer la campagne du côté libéral.

J'avais trouvé la manoeuvre de M. Charest parfaitement dégueulasse. D'autres avaient applaudi son sens politique. Qu'on regarde l'incident comme on voudra, il reste que la campagne a basculé sur cette insignifiance. Et vous me dites que vous voulez un débat d'idées ?

De tout façon, ces trois-là - Charest, Boisvert, Dumont ont grosso modo les mêmes idées. (Sauf sur l'indépendance, et même là je ne jurerais de rien.) Pour peu qu'on s'élève, on voit bien que leurs différences sont cosmétiques, qu'ils proposent tous trois le même genre de société. Prenez n'importe quel au hasard. L'éducation ? Tous veulent une éducation à la carte, tournée vers le marché de l'emploi.

Croyez-vous que le débat des chefs soit l'endroit pour aller parler d'une autre école, critique du milieu, tout à l'opposé de celle-ci, qui prépare à s'y insérer les yeux fermés ?

La culture ? Les trois la confondent avec la production d'oeuvres de divertissement. Comme le reste, ils appréhendent la culture par la consommation. Croyez-vous que le débat des chefs soit le cadre pour lancer à Mario Dumont : pis, Mario, d'après vous, la culture ? Assouvissement ou émancipation ?

J'entendais Françoise David à Maisonneuve, jeudi midi (remercions-en Maisonneuve, que j'égratigne parfois), elle y rayonnait. Voila une tribune qui lui convenait parfaitement : du temps pour s'expliquer, pour développer sa pensée à sa manière posée et lumineuse... Mais je ne l'imagine pas au débat des chefs, à ce festival du clip où la pirouette tient lieu d'argument, encore une fois confinée à la justice sociale et au partage des richesses. J'entends M. Charest lui lancer ; Mais madame David, avant de songer à partager la richesse, l faut la créer. Dites-nous comment vous allez la créer...

La question qui tue. Qui fait bander les finissants des HEC. Qui rallie la foule. Qui fait lever le stade. Olé. C'est vrai, ça, faut la créer avant de la partager. Ah ah. Ils n'imaginent pas qu'il puisse y avoir une réponse. Il faut créer la richesse avant de la partager. C'est vrai, ça. Tous les Facal, les Lulucides, les partenariats privés, les droits divins, tous voudraient une réponse aussi lapidaire qua la question. Comprennent pas que la réponse n'est pas réductrice à l'économie. Que la réponse est une quête globale. Une autre société. D'autres choix. La culture autrement. L'école autrement. La vie autrement. Comprennent pas que la réponse renvoie d'abord aux refus des contraintes.

Aller en parler dans un combat de coqs ? Avec la plume qui r'vole ? Avec pas de temps pour s'expliquer ? Et l'autre qui insisterait : Pour partager la richesse, faut d'abord la créer.

Si un jour vous finissez par créer vraiment de la richesse, bougres de cons, ce que j'appelle de la richesse, alors les poètes reviendront.