Le jeudi 15 mars 2007


La terrine du chef
Pierre Foglia, La Presse

Vers 21 h 30 mardi soir, j'ai envoyé ce courriel à mon boss : «Ne compte pas sur moi, ce que j'aurais à dire tient en une phrase : Pauvre, pauvre Boisclair!» Surprise, ce matin, de nombreux analystes donnent M. Boisclair vainqueur du débat, à tout le moins saluent sa belle performance.

Cette chronique sera donc l'exploration d'une divergence en forme d'abîme.

Mais d'abord, pour que ce soit clair, que je dise en un mot les sentiments que les trois chefs m'inspiraient avant le débat et m'inspirent toujours après : M. Dumont me fâche, M. Charest m'irrite, M. Boisclair me désespère.

Pendant le débat?

Sans surprise, M. Dumont m'a fâché. Que cela lui plaise ou non, il est le petit-fils des Le Pen et autres Berlusconi, moins sulfureux que le premier sans doute, mais comme ces grandes figures populistes, il incarne d'abord et avant tout l'antipolitique. Comme eux, il joue de la sécurité (les prisons et les libérations conditionnelles), il joue du nationalisme frileux (les accommodements raisonnables), il joue de la famille (en mettant la sienne largement à contribution, j'ai des enfants moi, madame, je ne suis pas pédé). Exactement comme les animateurs des radios trash - qui l'apprécient tant -, comme eux il combat les élites politiques au nom du bon sens populaire.

Et ça marche. Évidemment que ça marche. Pourquoi? Tout simplement parce que M. Dumont incarne le désir de changement toujours très vif chez les innombrables déçus de la politique. Pour moi, M. Dumont est l'incontestable vainqueur du débat. Il a été racoleur, malhonnête (le document sur le viaduc de la Concorde), il a attaqué sans arrêt, il a putassé comme jamais; mais la culture civique étant dans le vide que l'on sait, c'est lui qui a gagné.

Sans surprise M. Charest m'a irrité. Brillant, posé, bien préparé, c'est justement en cela qu'il m'a irrité. Il s'est imposé envers mes préventions (et les vôtres sûrement), il a eu l'air de nous demander toute la soirée, mais sans trop de suffisance : franchement, je sais bien que vous ne m'aimez pas, mais osez donc me dire que des trois, je ne suis pas le seul qui ait la stature d'un chef d'État?

C'est clair qu'on va se le refarcir pour quatre ans. Clair que vous allez le réélire in absentia. Ah, si madame Marois...

Sans surprise, M. Boisclair m'a désespéré. Contrairement à mes collègues, je l'ai trouvé aussi soporifique qu'à son habitude. Dès que ce garçon ouvre la bouche, moi aussi j'ouvre la mienne; mais moi, c'est pour bâiller. Je l'ai trouvé aussi appliqué que d'habitude à soigner son image, je l'ai toujours trouvé affecté, mardi soir plus que jamais; mardi soir, il affectait de ne pas être affecté et, forcément, l'était terriblement.

Ce disant, il se peut que je sois injuste et même, pire, que je sois hétérocentriste. C'est une expression que j'ai entendue l'autre jour à la télé, je crois que c'était le docteur Réjean Thomas qui parlait; l'hétérocentrisme serait la posture de ceux qui sont trop malins pour être homophobes, mais qui le sont un peu quand même. Par exemple, j'ai un ami qui ne va pas manger dans les restaurants gais parce que, prétend-il, on y mange tarabiscoté; tout est dans les entrées et les amuse-gueule, mais le plat principal est trop souvent inconsistant. Le plus troublant est que cet ami est lui-même gai. Mais c'est une autre histoire, revenons à M. Boisclair. Quand on se demande si le Québec est homophobe et qu'on s'empresse, fort justement, de répondre non, ne se pose-t-on pas la mauvaise question? Sans doute pas homophobe, mais le 26 mars, le Québec ne va-t-il pas trouver M. Boisclair inconsistant comme plat principal? J'en ai eu le très net sentiment pendant le débat : une honnête entrée certes, genre terrine du chef, mais certainement pas le chef lui-même.

Et la politesse?

Il y a longtemps que je n'avais pas reçu autant de courriels hargneux pour une seule chronique - je parle de la chronique sur Kovalev. Sans y revenir, je tiens quand même à préciser à ceux-là qui s'étonnaient de me voir chroniquer sport, que je chronique sport depuis plus de 40 ans! J'ai même couvert le hockey dans trois journaux différents. De toute façon, je faisais moins ici le portrait d'un athlète que d'un modèle d'extraterrestre, modèle défini par sa surélévation : tout en haut de l'Olympe, l'Élu. Tout en bas, des petites merdes : vous, moi, et ses coéquipiers.

Maintenant, si vous voulez parler de comment le Canadien a traité l'affaire Kovalev : à mon avis à la perfection. Carbonneau-Gainey n'ont pas balancé une seconde à savoir si Kovalev avait dit ce qu'il avait dit - à la limite ils n'en avaient rien à foutre. Par contre, ils ont tout de suite vu le parti qu'ils pouvaient tirer de l'incident. Il n'est rien comme l'adversité pour rameuter la meute, et il n'est rien comme l'adversité médiatique pour donner à cette meute le goût de mordre.

C'est exactement comme ça que les Italiens ont gagné la Coupe du monde de soccer le printemps dernier : en étant super en crisse contre le monde entier, mais surtout contre leurs propres journalistes. Je suis en train de vous dire que le Canadien va sans doute gagner la coupe Stanley grâce à La Presse.

Qu'est-ce qu'on dit?
On dit marci Mathias.