Le jeudi 22 mars 2007


À votre santé
Pierre Foglia, La Presse

Vous n'avez pas tenu vos engagements, M. Charest.

C'est de votre faute, M. Boisclair. Si votre parti, lorsqu'il était au pouvoir, n'avait mis à la retraite anticipée toutes ces infirmières...

Ce matin, à Homier-Roy, la présidente du Conseil du Trésor, Mme Monique Jérôme-Forget, elle aussi parlait de santé avec sa miséricorde habituelle, comme elle aurait parlé d'une autoroute à prolonger.

Êtes-vous tannés de les entendre s'engueuler sur la santé? J'ai rencontré quelqu'un qui n'en peut plus.

En septembre 2003, Marie-France Guy, 39 ans, comptable au CSSS Jeanne-Mance, se découvre une bosse sous le sein droit. Son médecin l'envoie passer une mammographie et une échographie. L'attente pour une échographie au public étant assez longue, Marie-France va au privé (60 $). L'écho révèle une anomalie. Retour à son médecin, qui fait une demande pour une biopsie à Maisonneuve-Rosemont.

Délai d'attente pour la biopsie, à l'époque : six semaines.

Un mois et demi à ne pas savoir. Cancer ou pas? Un mois et demi à se dire, ben non pas moi, et la seconde d'après : pourquoi pas moi? Quand les politiciens parlent d'attente, c'est toujours en se référant au gouvernement précédent. C'est toujours une durée politique.

Vous saurez, M. Boisclair, que les listes d'attente sont moins longues aujourd'hui.

C'est faux, M. Charest, dans votre propre circonscription...

Jamais par leur discours, leurs obstinations, leurs chiffres, jamais l'attente n'apparaît pour ce qu'elle est en réalité : pure angoisse. Marie-France capotait. Cancer ou pas? Les nuits sont infernales. Le jour, le travail occupe l'esprit; mais la nuit, la peur s'installe comme une grosse araignée aux pattes de velours au pied du lit. La famille, les amis sont au courant, ils essaient de vous encourager, vous disent des niaiseries du genre : ça te donne rien de t'énerver. La meilleure que Marie-France a entendue : ça ne doit pas être grave sinon ils t'auraient déjà appelée.

La biopsie révélera un cancer. À partir de là, tout a déboulé très vite. Rencontre avec le chirurgien oncologue, la chimio commençait la semaine suivante. Puis la radiothérapie. Puis deux opérations. Une année de traitement.

En septembre 2003, lorsque Marie-France s'est découvert cette bosse, le gouvernement libéral de M. Charest n'était en poste que depuis avril. On peut donc dire que le cancer de Marie-France a été traité sous «l'ancien régime», avant que les changements radicaux promis par les libéraux ne soient effectifs. Voyons la différence quatre ans plus tard.

Le 13 février dernier, Marie-France va passer une mammographie de contrôle dans une clinique publique. Mammo suspecte. Le 1er mars, son médecin adresse une demande à l'hôpital Maisonneuve-Rosemont pour une échographie et une biopsie.

Rebonjour l'angoisse. Marie-France attend un appel de l'hôpital. Onze jours passent. C'est le bureau du médecin qui rappelle : l'hôpital a renvoyé le dossier parce qu'il manque les mammographies. Marie-France récupère les mammos à la clinique, récupère son dossier chez son médecin et va porter le tout à l'hôpital. Elle est furieuse : pourquoi avoir renvoyé le dossier au médecin? Pourquoi ne pas l'avoir appelée directement? Pourquoi ces 10 jours perdus? Un peu de bon sens et d'humanité ne coûteraient pas plus cher.

Le 16 mars, Marie-France appelle à l'hôpital. Elle a la joie de tomber sur une boîte vocale qui déblatère des insignifiances pendant trois minutes avant de conclure que le délai pour un rendez-vous est entre UN et QUATRE mois. Elle laisse ses coordonnées en insistant : dans mon cas précis, combien de temps devrais-je réellement attendre?

Elle trouvera la réponse sur son répondeur le soir même : DEUX MOIS.

Elle pourrait facilement se payer le privé (échographie 120 $, biopsie 40 $) mais un coup de téléphone à la clinique Léger et associés la ramène sur terre : un mois et demi d'attente.

Quand Marie-France entend M. Charest dire que sous les libéraux, les choses se sont grandement améliorées dans le système de santé, quand elle entend M. Boisclair dire que son parti encouragera des habitudes de vie plus saines, quand elle entend M. Dumont promettre la lune, elle se dit qu'ils font de la politique sur son dos, sur son sein.

Les politiciens n'y peuvent rien, elle sait bien. Pour les attentes non plus, ils ne peuvent rien. Mais qu'ils arrêtent donc de s'engueuler, de promettre. La santé ne devrait pas être un enjeu électoral. Les trois partis devraient l'envisager conjointement. La santé ne devrait pas être politique au sens de «parti politique», le seul parti possible, parlant de la santé, étant celui de l'efficacité. Il y a de la malhonnêteté à faire croire à la population qu'il y a une façon libérale ou péquiste ou adéquiste de traiter un cancer du sein. Il n'y en a qu'une : avec diligence, efficacité et humanité.

Les politiciens n'y peuvent rien, elle sait bien. Mais qu'ils arrêtent de faire de la politique avec le cancer des gens, c'est indécent à la fin.

Lundi, elle votera vert.