Le mardi 3 avril 2007


Première sortie
Pierre Foglia, La Presse

Quelque chose n'allait pas. Une roue qui frotte? La roue ne frottait pas. J'étais peut-être sur le grand plateau? Non plus, tranquille sur la 42x17. La musique alors? D'habitude j'attends le premier long faux-plat pour embarquer LA Woman, j'ai toujours pensé que Robbie Krieger avait composé LA Woman exprès pour les départs de randonnée : le morceau débute lentement, puis la guitare a comme une petite urgence, mais là mes jambes ne suivaient pas la petite urgence.

Je venais de partir de chez moi, de tourner sur le chemin St-Armand, je n'avais pas deux kilomètres au compteur, j'étais déjà en sueur. Dans la côte de la Station, un cycliste m'a passé en me lançant poliment : bonjour monsieur. Il n'y a pas si longtemps, quand c'était moi qui dépassait une grosse avec un cul débordant de chaque côté de la selle, je disais bonjour madame, exactement sur le même ton neutre, pour ne pas l'écoeurer. N'empêche qu'en dedans je pensais avec un cul comme ça, madame tu ne devrais pas faire du vélo, tu devrais jouer du piano.

J'ai traversé Frelighsburg, je suis arrivé à la douane, le douanier a feuilleté mon passeport :
Vous êtes retraité?
Non, je suis décédé.

Au dépanneur d'East Franklin j'ai bu une canette de Red Bull, en ai mis une autre dans la poche de mon maillot. Avant de repartir ai laissé mon iPod choisir la prochaine chanson, c'est tombé sur l'Âge d'or qui n'est pas l'âge que vous croyez. Quand Ferré a écrit sa chanson -une de ses plus belles- l'âge d'or était l'âge des tous les ors, c'est seulement après qu'on en a fait l'âge de la sénilité, nous aurons du pain\doré comme les filles\sous les soleils d'or\nous aurons du sang\dedans nos veines blanches\et le plus souvent\ lundi sera dimanche\mais notre âge alors\sera l'âge d'or...

Les fossés de la route qui s'élève au-dessus du lac Carmi sont encore enneigés, plus loin après l'entrée du State park, une longue courbe nous dépose dans un paysage lunaire encore tout infusé d'hiver. On descend, on monte, on boit l'autre Red Bull et on a alors tellement de caféine dans le corps que sur le banc de pierre, à Franklin, dans le joli parc devant l'église, je me suis mis à trembler.

À la douane de Morses Line, j'ai dit au douanier : c'est sûrement le plus beau poste-frontière du monde, ici, non?
Pas ici. Mais le poste de East Pinacle au-dessus de Frelighsburg est le deuxième plus beau des 119 postes-frontières entre le Canada et les États-Unis, selon un classement établi par les douaniers.

Et le premier alors?
À Coutts en Alberta, à la frontière du Montana.

De retour sur le chemin St-Armand, ai croisé ma fiancée qui revenait du club vidéo. Elle a roulé un moment à côté de moi, a baissé la vitre :
Ça va?
J'ai dit oui, mais c'était pas vrai. Quelque chose n'allait pas. Et, je le crains, n'ira plus jamais.

ON NE RIT PLUS

Dimanche soir à Tout le monde en parle, Jacques Demers a accusé mon collègue Ronald King de rire de son analphabétisme. Ronald lui a répondu qu'il ne riait pas, il se demandait seulement à quoi servaient les feuilles qu'il plaçait devant lui à la télé.

Je voudrais ajouter que moi non plus je n'ai pas ri de l'analphabétisme de M. Demers, par contre j'ai ri quand vous l'avez ovationné pour son coming out. J'ai ri pour ne pas pleurer. M. Demers n'a pas été un grand coach de hockey, mais comme manipulateur, il était vraiment pas pire. Il ne sait peut-être pas lire, mais pour mener une bande de tarlas par le bout du nez, il n'a pas son pareil, ce qui l'a grandement aidé à gagner la Coupe Stanley. Il continue aujourd'hui même s'il n'est plus coach, c'est sa seconde nature. Il a vite compris l'avantage qu'il y avait à poser en victime, d'où sa sournoise et très calculée sortie contre Ronald King.

Et vous bien sûr, joyeux tarlas, de l'applaudir.

Vous connaissez la différence entre un tarla et un analphabète? Un analphabète n'est pas forcément con.

VIOLENCES

Je n'ai pas manqué un papier de mon collègue Simon Drouin qui couvrait les mondiaux de natation à Melbourne. Vous n'imaginez pas comme ce genre de journalisme sportif qui s'autorise d'une parfaite connaissance (et d'une vibrante passion) de la discipline couverte, vous n'imaginez pas comme il me console de mes pénibles débuts dans ce milieu peuplé, à l'époque, je parle d'il y a 40 ans, d'ivrognes bornés et radoteux. Mais ce n'est pas ce que je voulais dire. Un incident a marqué ces championnats, vous savez ce papa-coach qui a bousculé sa fi-fille-athlète.

Cela m'a dérangé. Attendez que je vous dise ce qui m'a dérangé. Ce n'est pas le dérapage lui-même, mais sa mondialisation instantanée, l'hystérique réaction qui s'en est suivie et le sentiment que ces championnats du monde devenaient soudain anecdotiques et périphériques.

Comme toujours dans ce genre d'histoire, je me sentais bien seul de mon parti, sauf que, lisant Drouin le lendemain, j'ai cru deviner, entre les lignes, qu'il me rejoignait sur ma banquise. Merci, Simon.

Là-dessus, je vous laisse pour aller suivre Ohio-Florida -la grande finale du basket universitaire, conclusion d'un March Madness sans surprise. Duel annoncé entre Joaquim Noah (le fils du joueur de tennis), meilleur intérieur du tournoi, et Greg Oden (Ohio), un immense pivot - c'est pas son père qui oserait le battre, celui-là! - un immense pivot, disais-je, comme on n'en a pas vu depuis David Robinson et Patrick Ewing. Un petit deux sur les Gators.

Pis vous, avez-vous roulé dimanche? C'est qui qui va gagner le Tour de France?