Le jeudi 5 avril 2007


Explique-moi, Guy A.
Pierre Foglia, La Presse

C'était l'autre jeudi, je suis allé chercher mon journal au village, La Presse était habillée ce jour-là comme elle l'est de plus en plus souvent d'un encart publicitaire qui cachait la une à moitié, j'ai ôté l'encart machinalement, l'ai mis dans le bac à la porte du dépanneur, un geste ni réfléchi ni militant, je ne suis pas contre la pub: elle n'existe tout simplement pas dans mon univers, la pub paie mon salaire, c'est un miracle, comme la petite lumière qui s'allume quand j'ouvre la porte de mon frigo.

Le titre de la une ce jour-là Conjuguer avoirs et être annonçait le nouvel album de Daniel Bélanger, je me rappelle m'être dit que le titre collait drôlement bien à cet artiste souvent tourmenté, dans ses chansons du moins.

Plus tard dans la journée, j'ai reçu un courriel courroucé d'un jeune lecteur: vous n'exagérez pas un peu à La Presse? Il me parlait étrangement des caisses Desjardins, de Daniel Bélanger, je ne comprenais rien, d'autant moins qu'il ajoutait: putes comme vous êtes, vous avez reproduit le même vert pour le titre que pour l'encart de Desjardins.

L'encart? Celui que j'ai jeté dans le bac du dépanneur? C'était donc une pub des caisses populaires? Mais le lien avec Daniel Bélanger? Évidemment, je n'avais aucune idée à ce moment-là que le slogan de Desjardins c'est « Avoirs et êtres » - êtres au pluriel, notons-le.

Bref, j'appelle au bureau, on m'explique. Une coïncidence. Exactement comme mon boss (Philippe Cantin) l'a expliqué dans sa transparente mise au point, en page 4, ce mardi.

À bien y repenser, comment est-ce que cela pourrait ne pas être une coïncidence?

Je te pose la question, Guy A. Lepage. Si des gens s'étonnent que je te tutoie, moi qui vouvoie tout le monde, tu leur diras pour l'UQAM, pour ta blonde de l'époque que j'aimais bien, pour Primeau (à travers Bob Duguay), pour le basket, etc. Je te pose la question parce que c'est de ta faute tout ça, y'aurait pas eu d'histoire si, dépliant La Presse pendant ton émission, tu n'avais pas incité un million et demi de personnes à croire que mon journal avait fait un placement de produits.

Je n'ai pas vu ton émission, remarque, on m'a raconté. Je ne regarde plus tellement ton émission, ça a commencé cet hiver, y'avait la game du dimanche soir à la NFL, et après la saison de football, je ne suis retourné à ton truc que très épisodiquement, ne le prends pas personnel, ce n'est justement pas personnel, j'aime toujours ton petit air fendant, je trouve toujours la formule enlevante, mais tes invités m'ennuient souvent, tu devrais peut-être réinviter Marie-Josée Croze, anyway.

Explique-moi ton complot de placement de produits.

Il aurait fallu que Daniel Bélanger se soit secrètement acoquiné avec Desjardins, tu sais bien que c'est exclu.

Ce n'est pas le genre non plus d'Alexandre Vigneault, le journaliste auteur du papier sur Bélanger et auteur du fameux titre, une trouvaille en passant. Juste en enlevant une lettre, le S de êtres, Vigneault a retourné le slogan de Desjardins pour en faire un chapeau qui va super bien à Bélanger. Et crois-le ou non, le vert du titre aussi, c'est sa suggestion, parce que le vert est la couleur de l'album, Bélanger lui-même portait un t-shirt vert sur la photo. Ben oui, des coïncidences. Ben non, Vigneault ne savait pas pour l'encart de Desjardins. Tu connais Vigneault? Demande à tes chums artistes ce qu'ils en pensent.

Alors si c'est pas Vigneault, et si c'est pas Daniel Bélanger, c'est qui le complot? Les boss de La Presse? Voyant le titre de Vigneault à 4h de l'après-midi, mercredi, ils se sont dépêché d'appeler les caisses Desjardins, un petit encart sur le pouce, les boys?

Ce qui est plate, c'est qu'il y a un million et demi de personnes qui ont cru à ton placement de produits. Pourquoi n'as-tu pas appelé pour vérifier? Parce que t'étais fâché contre La Presse? Parce que la chronique de Lysiane Gagnon il y a 15 jours? Je ne l'ai pas lue, mais paraît qu'elle était très rough... Vous êtes incroyables, les artistes. Il vous manque une louange, une seule pour faire l'unanimité, et vous capotez. T'aimerais ça que Mme Gagnon a t'aime? Je peux essayer de t'arranger ça, on est syndiqués dans le même syndicat. Sérieux, si Mme Gagnon ne t'ayissait pas, si Mme Bombardier ne t'ayissait pas, qui pourrait bien t'haïr, calvaire? Tu pourrais vivre, toi, sans que personne ne t'haïsse? Pas moi. Mais je ne suis pas un artiste, c'est vrai.

T'en veux une autre coïncidence? La chronique de Marc Cassivi dans La Presse de samedi. Tu sais de quoi il parle? De placement de produits justement, plus précisément dans le film pour ados À vos marques... Party! Je lisais Cassivi samedi et j'étais totalement horrifié, indigné, en même temps que je me sentais « pas rapport » comme dirait ma petite voisine, je sentais mon indignation complètement obsolète, hors du temps.

Le héros arrive en Toyota, boit un Coke, noue les lacets de ses Nike... Vous ne voyez donc pas que tout à l'heure c'est pas le héros du film qui va arriver en Toyota, c'est le réalisateur, ce ne sera plus du placement de produits dans un film, ce sera du placement de film dans un produit.

Tout à l'heure on va lire Proust, et à la page 54, ah tiens une annonce de madeleines au beurre.

Tout à l'heure toi non plus Guy A., tu n'auras plus le choix. Ton émission sera enregistrée chez Jean Coutu, et au lieu de servir le vin, vous ferez circuler un pot de vaseline.