Le jeudi 12 avril 2007


La dernière église
Pierre Foglia, La Presse

Je ne vous parlerai pas de la saison du Canadien. Je ne vous parlerai pas de Markov et Souray, je vous parlerai un peu de Kovalev mais sans dire s'il doit s'en aller ou rester, mais me permettez-vous de revenir sur le match de samedi? Me permettez-vous de parler de ma religion, le sport?

Je suis allé voir le match chez des amis à une dizaine de kilomètres de chez moi, j'étais un peu en retard, les routes étaient désertes, toute la province était déjà devant la télé, il y avait dans l'air cette attente et cette tension particulières, uniques, des finales de Coupe du monde de foot, ou de finale olympique, ou de septième match de Coupe Stanley, quand on sent vibrer le pays tout entier. C'est drôle parce que ce jour-là, justement, mon journal faisant grand cas de la désaffection des églises, c'est peut-être qu'il n'est pas allé voir dans les bonnes.

Dans nos pays impies, le sport est la dernière église où l'on communie en masse, où l'on se rassemble - en esprit du moins - pour rêver, pour exulter ensemble, pour se projeter dans une équipe. Si c'est pas là de la foi! Surtout dans cette équipe-là! La vie, la mort en raccourci, tu gagnes, tu continues; tu perds, c'est fini.

Vous ne vous en souvenez déjà plus parce que l'immense déception de la fin a tout terni, mais ce fut une grande et belle messe. Et pourtant, un match incroyablement médiocre opposant deux équipes peu inspirées, peut-être pétrifiées par l'enjeu, reste qu'elles nous ont offert du jeu à pleurer, un collectif lamentable.

Mais c'est secondaire. L'émotion nous a portés toute la soirée. On est passé de la consternation de 10 premières minutes à l'exaltation en deuxième période, à l'accablement en troisième, cela sans que le jeu ne cesse d'être incroyablement nul pendant les trois périodes. Il n'y a que le sport pour transcender la médiocrité de ses acteurs et tenir en haleine, malgré tout, deux millions de fidèles.

Il n'aura manqué, à la fin, que la victoire. Et puisque vous me le demandez, il ne manque à cette équipe que d'en être une. Je veux dire par là que les mêmes joueurs, exactement les mêmes, auraient pu aller très loin dans les séries s'ils formaient une équipe. Et que leur avenir dépend moins des vedettes qu'ils réussiront à attirer que de leur capacité à devenir une équipe.

OK, et à trouver aussi un bon gardien.

*******************************************************

KOVALEV - Kovalev me rappelle un autre surdoué : Carl Lewis. Vous vous demandez ce que Carl Lewis et Kovalev peuvent bien avoir en commun? Lewis qui a été le sprinter (et le sauteur) le plus doué de sa génération n'avait rien à foutre de l'athlétisme, il détestait s'entraîner, il aimait seulement être sur son trône et recevoir les dévotions de ses sujets. Ainsi Kovalev qui, à toutes les questions des journalistes, fait toujours la même sous-réponse : vous me manquez de respect, je suis le roi et on ne demande pas au roi de prouver qu'il est le roi.

L'ÉQUIPE DE COMMENTATEURS DE RDS - N'ayant ni le câble ni la soucoupe, je n'ai pas souvent l'occasion de les entendre. Ce n'est pas qu'ils soient mauvais, ce n'est pas qu'ils ne connaissent pas leur sujet, franchement je ne sais pas ce que c'est, je cherche encore pourquoi je n'étais plus capable au bout de 10 minutes. Si j'avais été chez moi, j'aurais coupé le son. Ma question : comment faites-vous toute une saison?

J'ai compris aussi pourquoi j'ai reçu tant de protestations quand j'ai égratigné M. Demers. Qu'est-ce qu'il est gentil, M. Demers. Et surtout qu'est-ce qu'il est - viscéralement - près des z'amateurs de sport. Savez-vous si c'est le beau-frère de Ron Fournier?

*******************************************************

PLACEMENTS DE PRODUITS - Chers, chers lecteurs! Ma chronique de samedi se terminait sur un gros plan du gouffre qui sépare culture populaire et culture culturée, merci de l'avoir creusé un peu plus.

La moitié d'entre vous m'ont, sans surprise, référé à La société du spectacle de Guy Debord. Avouez que c'était tentant - le spectacle est la marchandise à un tel degré d'accumulation qu'elle devient image. Sans parler de ceux qui m'ont mis le nez dans Adorno, tiens, lis! Illettré!

De l'autre côté du gouffre, l'autre moitié. Ah l'autre moitié! Imaginez à quelle gymnastique mentale j'ai dû me livrer pour passer d'Adorno à cela : Monsieur Foglia, pourquoi un personnage de film ne boirait-il pas du Coke ou du Pepsi, comme dans la vraie vie? Nicole G.

Dernier essai, madame Nicole, et 10 verges à franchir. Je vous laisse trouver la solution toute seule comme une grande.

Scène du film À - Comme dans la vraie vie, un personnage gare sa Toyota devant un McDo, entre et commande un Coke.

Scène du film B - Toujours comme dans la vraie vie, le même personnage gare sa même foutue Toyota devant le même foutu McDo, entre et commande le même putain de Coke.

D'après vous, qu'est-ce qui pourrait expliquer que le film À est contaminé alors que le film B est intègre? Quand vous aurez imaginé la différence entre les deux scènes, dites en quoi cette différence est capitale pour l'avenir de la culture.

Un petit comique pour finir : quel montant avez-vous reçu du fabricant du fusil-mitrailleur AK47 (la kalachnikov), cité deux fois dans votre chronique?

Je n'ai pas reçu d'argent, monsieur. J'ai eu un fusil et quatre chargeurs.