Le mardi 17 avril 2007


Fiction et réalité
Pierre Foglia, La Presse

Trente-trois morts incluant l'auteur du massacre qui s'est suicidé, autant de blessés. La brutalité des faits et surtout le silence de la police rendaient vaine, au début de la soirée hier, toute tentative d'explication (sauf le refrain habituel sur le contrôle des armes). Aussi n'est-ce pas une explication que je vous propose dans ces quelques paragraphes. Je veux seulement noter une coïncidence qui en restera probablement une, mais sait-on jamais...

Récapitulons. Le meurtrier avait deux armes et de nombreux chargeurs. Il avait aussi une chaîne pour fermer les portes du pavillon des technologies, là où il a fait le plus de victimes. Cette chaîne est la preuve qu'on n'est pas devant un coup de folie, on n'est pas devant un type qui perd les pédales et se met à tirer partout. S'il a pris soin d'apporter cette chaîne pour empêcher les victimes de s'échapper, c'est à l'évidence parce qu'il avait soigneusement planifié sa tuerie.

Vers 8 h hier matin, le tueur aurait d'abord réglé un compte personnel - ce double meurtre domestique dont parle la police - aux résidences des étudiants. Puis il a traversé le campus pour pénétrer dans le pavillon des technologies dont il a fermé les portes avec la chaîne et un cadenas.

Il se trouve que je viens de finir un roman - je vous en ai parlé la semaine dernière - dont le héros, si je puis dire, est un étudiant qui va commettre un massacre dans son école. Il faut qu'on parle de Kevin est le titre de ce roman qui a été un best-seller en Amérique du Nord et dont l'auteur est une écrivaine américaine, Lionel Shriver, originaire de Caroline du Nord à moins de 100 milles du campus de Virginia Tech. Mais ce n'est pas là, la coïncidence.

Dans ce roman, Kevin, le personnage principal, comme la plupart des vrais auteurs de massacre, notamment ceux de Columbine, prépare très soigneusement sa tuerie. Il a décidé qu'il allait abattre ses victimes dans le gymnase dont il fermerait les portes avec... une chaîne.

Page 455 (mais aussi pages 452 et 453) : Kevin a glissé la chaîne autour des poignées intérieures de la double porte, a passé le cadenas dans les mailles de la chaîne, l'a verrouillé, voilà, simple comme bonjour...

C'était la première fois qu'un tueur de campus - il y en a eu plus d'une douzaine au cours des 10 dernières années, la première fois, dans ce roman, qu'un tueur pensait à fermer les portes du lieu du massacre avec une chaîne.

La deuxième fois c'était à Blacksburg hier.

Une coïncidence, c'est sûr. Mais si ce ne devait pas en être une, ce ne serait pas la première fois que la fiction nourrirait la réalité.