Le jeudi 19 avril 2007


Des psys par millions
Pierre Foglia, La Presse

Ce que j'ai entendu et lu de plus pertinent sur « l'inexplicable » vient des psys. L'isolement, la haine, l'amour, même le canon du revolver comme prolongement du pénis, j'ai tout compris. Ils m'énarvent moins quand ils démontent des mécaniques de monstre que lorsqu'ils déconnent avec les bibites des gens ordinaires.

Sauf que ça ne dure pas longtemps. Les psys médiatiques retombent vite dans leur travers, qui est de faire le lien avec notre quotidien. Et c'est ainsi qu'en deux coups de cuillère à pot, on était déjà au fond du pot; de généralités en lieux communs, le profil du tueur s'est effacé pour devenir... celui de millions de gens. Après 10 minutes, ce n'était plus d'un monstre que parlaient les psys; c'était, encore une fois, d'Alceste fuyant ses semblables et la société.

Le profil du tueur : mal dans sa peau, tout seul, n'aime pas les gens, comportements violents.

C'est le profil de millions de gens et le mien d'ailleurs. Des millions de gens n'aiment pas spontanément leur prochain. Peuvent même manifester une irascibilité certaine, par choix, par désespérance, par refus du merdique positivisme ambiant, par snobisme aussi; je connais des solitaires qui, sans aimer leur prochain, ne le haïssent pas pour autant, ils le trouvent seulement une peu plate, c'est la raison pour laquelle ils l'évitent. Quant à la violence, ah, la violence! Une tuerie c'est violent, et bien évidemment une vague d'attentats comme celle qui a fait près de 200 morts à Bagdad, hier, mais allez vous y reconnaître; une tape sur les fesses du petit moron qui ne veut pas aller se coucher aussi, c'est violent; une insulte, c'est violent; une chronique comme celle-ci sera aussi considérée comme violente. Tout est violent, ma foi. C'est pourquoi je ne me retiens pas de l'être un peu, cela me garde de le devenir beaucoup.

Les psys nous disent que tous les signes d'un massacre annoncé étaient dans le profil du jeune Coréen. Conclusion d'un peu tout le monde : il eût fallu le signaler, le dénoncer. Promesse : nous serons plus vigilants à l'avenir.

Ah oui? Comment?

En envoyant chez le psy tous les bizarres du campus? Il y a des millions de jeunes dans les écoles qui n'ont pas eu une éducation comme dans les livres des psys, qui ont des parents dysfonctionnels, ou carrément inaptes, qui n'ont pas d'amis, qui écoutent du rock heavy, qui ne pognent pas avec les filles, et qui, cependant, ne présentent aucun danger pour la société. Sont juste pas très bien dans leur peau. Ça va passer. Ou ça ne passera pas. Ce qui est certain, c'est que cela ne vous regarde pas. Il y en a quelques millions d'autres, inoffensifs aussi, qui cultivent leur anormalité. Et vous me dites qu'à partir de tout de suite, n'importe quel petit connard de straight qui fait de la muscu dans le sous-sol de son bungalow, sur simple dénonciation, va pouvoir envoyer le weirdo de sa classe chez le psy? Dans une société déjà hyper homogène - et qui croit ne pas l'être parce que métissée - on va stigmatiser un peu plus l'anormalité?

Prenez les écrits du tueur publiés en page deux de notre journal hier. Incroyablement mal torchés pour un étudiant en littérature anglaise, et violents certes, mais pas plus violents que ce que l'on trouve dans la littérature américaine ou française. Je pourrais vous donner mille exemples, à commencer par le livre dont je vous parle depuis deux semaines, Il faut parler de Kevin, les quelques pages qui détaillent comment le héros a tué sa soeur, son père et les sept élèves de son école sont mille fois plus violentes que les bêtises du tueur. Je pense aussi à l'ancienne collection Fayard Noir, des auteurs comme Marc Villard, Prudon, surtout Dubrieu (Haine comme normal), je pense à Hamlet...

Je pense à ce jeune homme de 16 ans d'une école de Cornwall (Ontario) qui a écrit et lu en classe un texte (de fiction) violent. Les policiers sont venus l'arrêter, il a passé 34 jours en prison, les écrivains se sont mobilisés pour le défendre. « Si nous jetions en prison tous les auteurs de textes violents, 80 % des écrivains ne pourraient pas assister à nos rencontres », avait déclaré Neil Wilson, directeur du Festival international des écrivains d'Ottawa. Je pense à un autre élève qui a vécu la même mésaventure dans une école de Lachine.

Je pense que lorsqu'on encourage les simples citoyens à juger de la santé mentale de leur semblables, on met en branle une machine à épurer particulièrement dégueulasse.

Les armes maintenant. Je ne suis pas si férocement contre le contrôle des armes. Je ne vois aucune raison, par exemple, pour que les armes automatiques ou semi-automatiques soient en vente libre. Je suis contre le contrôle des armes parce que je le crois inutile - rappelez-vous que l'arme de l'illuminé de Dawson était légalement enregistrée - mais en fait ce n'est pas le contrôle lui-même qui me dérange, c'est son discours et les mémères qui s'agglutinent à ce discours-là, pas tellement pour les armes, mais pour la sécurité sécuritaire, pour le grand principe fédérateur du CONTRÔLE en fait, et pour bien sûr pour une bonne hygiène sociale. On y revient encore : la santé de la communauté. On nous a guéris de la fumée des cigarettes. On va nous guérir maintenant de notre violence.

Et moi qui crois bêtement, comme je disais plus haut, que de l'être un peu me garde de le devenir trop. Vous pensez que je suis malade, docteur?