Le lundi 23 avril 2007


Sport et voile
Pierre Foglia, La Presse

Il suffit que cinq jeunes joueuses de taekwondo soient exclues d'une compétition parce qu'elles refusent de retirer leur hidjab, et voilà la délicate question des accommodements raisonnables qui refait surface. Nos chroniqueurs Rima Elkouri et Pierre Foglia évoquent tous deux les règlements de ce sport de contact pour en arriver à des positions... diamétralement opposées.

L'autre week-end, le président de la Fédération québécoise de taekwondo a demandé à cinq gamines musulmanes de retirer leur voile. C'est le règlement international, règlement suivi et observé par tous les athlètes qui font du taekwondo à travers le monde, y compris les musulmanes. Le taekwondo, comme d'ailleurs le karaté et le judo, est un sport très populaire dans les pays musulmans. Il y a deux ou trois ans, la championne du monde de karaté était marocaine, Selma el Attar. Elle portait un voile sur le podium. Elle n'en portait pas pour se battre. Parce que c'est le rè-gle-ment.

Plutôt que d'obtempérer au président de la fédé, nos petites musulmanes québécoises ont préféré se retirer du tournoi. C'est correct. Elles ne sont pas les premières à s'empêcher de faire du sport par conviction religieuse. Les juives hassidiques, par exemple, ne sont pas à la veille de gagner une médaille olympique en nage synchronisée pour à peu près la même raison. Je le répète, c'est correct. Ce qui ne l'est pas, c'est de se poser en martyres après. Ce qui ne l'est pas, ce sont les leaders des associations islamiques qui se sont dépêchés de nous donner une leçon de civisme. Une autre.

J'entendais une dame musulmane expliquer que le port du voile, surtout après septembre 2001, était un acte de courage. J'en suis. Le voile dans la rue. Le voile à l'épicerie. Le voile au restaurant. Le voile au match de hockey. Bref dans un espace public. J'en suis, je le répète.

Mais le voile dans un espace civique (plus encore dans une fonction civique), non. Le voile à l'école? Au tribunal? À l'armée? Non.

Le voile dans le sport? Mes amis, avec lesquels je partage le sentiment que les accommodements raisonnables aident grandement au vivre-ensemble, sont d'avis qu'on était précisément, ici, en situation d'accommodement, du moins de gestion souple d'une situation délicate. Mais enfin! Des gamines de 12 ans qu'on empêche de jouer pour une question de voile! On aurait pu s'arranger, non?

Non. Il ne fallait pas s'arranger.

Ce n'est pas quand ils parlent d'accommodement que mes amis m'énarvent, c'est quand ils parlent de sport. Notamment leur propension à confondre sport et loisir, à confondre compétition et ti-n'enfants-qui-jousent et qu'il ne faut surtout pas empêcher de jouer.

Le sport est un territoire d'affrontement très réglementé. Un territoire avec des lignes. Au-delà de cette ligne, t'es hors-jeu. C'est comme ça. Y'a pas de raison pour que cette ligne soit là où elle est. Mais elle y est. C'est ce qu'on appelle une convention. Une de ces conventions énonce que tu dois laisser ton problème et ton foulard au vestiaire parce que dans sa casuistique particulière, le sport ne prétend pas résoudre les problèmes de la société. Au contraire, il ne veut même pas se les poser, ces problèmes. C'est par là que le sport est magnifique et reposant.

Si tu ne peux vraiment pas ôter ton hidjab 10 minutes alors c'est tout simple, tu ne peux pas entrer dans une compétition sanctionnée par la fédé, officiée par des arbitres accrédités, et dont les résultats seront dûment homologués. Si Selma el Attar n'avait pas voulu ôter son hidjab, elle ne serait pas devenue championne du monde de karaté.

Les dames des groupes communautaires musulmans ne manquent pas de souffle quand elles nous présentent ces gamines (de 8 à 12 ans) comme des héroïnes parce qu'elles portent le voile. Comme si à 8 ans, elles avaient choisi toutes seules de porter le voile. Et de un. Et de deux, comme si l'héroïsme pour la très grande majorité des sportives des pays musulmans n'était pas exactement le contraire : se battre pour courir en short, se battre pour ne pas porter le voile.

Première femme arabe (et africaine) à gagner une médaille olympique - au 400 haies à Los Angeles -, la Marocaine Nawal el Moutawakel, aujourd'hui à la tête du comité d'évaluation des candidatures du CIO, a souvent témoigné en ce sens. Et je me souviens d'être sorti horrifié d'une entrevue avec l'Algérienne Hassiba Boulmerka, admirable championne olympique au 1500 à Barcelone. Elle m'avait détaillé les menaces qu'elle avait reçues, la veille encore, des islamistes de son pays qui ne supportaient pas que le monde entier la voie en short et sans voile. Du coup, la pauvre fille s'était affublée d'une assez horrible barboteuse qui lui donnait l'air d'un zouave pontifical.

Tout ça pour dire que si j'étais musulman (de culture, pas de religion), ma fille ferait du 400 haies comme Nawal et porterait ce genre de culotte que les coureuses de haies portent toutes, dont l'entrejambe leur rentre dans la craque et qui rend le port du voile, comment dire? Frivole?