Le mardi 24 avril 2007


C'est pas pour me vanter...
Pierre Foglia, La Presse

C'est pas pour me vanter, mais j'ai roulé samedi et dimanche. Et dimanche, sur le chemin Saint-Armand, pas très loin de mon ancienne maison, j'ai trouvé un faucon sur la route, il venait de se faire heurter.

Le plus petit de tous les faucons, un rapace miniature qu'on appelle crécerelle d'Amérique, la tête peinturlurée comme un masque nègre, la queue et le dos roux, le duvet du ventre ocelé de taches grises, une magnifique petite machine à tuer et pourtant si douce et si tiède dans ma main.

Je suis entré dans la cour de mon ancienne voisine, Jip. Son border collie a essayé de me manger : j'ai même pas peur de toi, lalalèreu. Mme Chamberlin est sortie, elle a vu l'oiseau : What a beautiful thing...

Elle m'a donné un sac de plastique de chez Metro, j'ai mis la crécerelle dedans. J'ai attaché le sac à mon poteau de selle et j'ai repris ma randonnée. J'ai monté trois fois la côte à Kyling, je monte toujours les côtes trois fois en début de saison pour les réapprivoiser. Puis j'ai enfilé le bucolique rang Saint-Henri jusqu'aux carrières. Sur le chemin Philipsburg, les chiens furieux de Pierre Paradis (oui, oui, le député préféré de M. Charest) m'ont fait un brin de conduite. Dans Bedford, sur le pont Zéphyr-Falcon - je vous mets au défi de trouver un plus beau nom de pont dans tout l'hémisphère nord - sur le pont Zéphyr-Falcon, des jeunes filles en bermudas riaient en renversant la tête comme si c'était l'été. À Mystic, à l'Oeuf, j'ai caressé le chat gris dont j'oublie toujours le nom : t'appelles-tu Momo ? Juste la façon dont il m'a regardé d'un air découragé, il ne s'appelle pas Momo.

À Saint-Ignace, rien à Saint-Ignace. Ni personne. J'ai traversé mille fois Saint-Ignace à vélo, je n'ai jamais vu âme qui vive. Je pense que les habitants de Saint-Ignace ont été secrètement déportés en Papouasie, en Acadie, en Moldavie, alouette... Parlant d'alouette : Pis ? L'oiseau ? m'a demandé ma fiancée alors que je venais à peine de débarquer du vélo.

Comment sais-tu ?
Mme Chamberlin a appelé.
J'ai sorti la bête du sac Metro. Ma fiancée a regardé dans son guide des oiseaux, c'était bien une crécerelle parce que, dit le guide, aucun autre petit rapace n'a de roux sur la queue.

C'est pas pour me vanter, mais c'est pas vrai. Je pourrais donner des noms.

FROMAGE Ce n'est pas pour me vanter, mais la première fois que j'ai goûté au Termignon, c'est la dernière fois que le Tour de France est passé par le col de la Madeleine. Je m'étais arrêté à Bessans, village qu'on traverse en descendant la Madeleine. Le Termignon est un fromage unique, du nom d'un autre village de la vallée, sur l'autre versant de La Madeleine en allant vers Modane. Un bleu d'alpage qui bleuit naturellement contrairement aux autres bleus qui sont « champignonnés artificiellement «, mais surtout le Termignon n'est produit que par quelques fermiers. En France on en trouve à... Termignon-la-Vanoise, à Bessans, dans quelques chics fromageries, - j'en ai trouvé une fois à Paris à l'épicerie du Bon Marché, rue de Sèvres. Il est aussi servi, me dit-on, sur la table de quelques grands restos, mais, m'avait niaisé le gargotier de Bessans, c'est sûr, vous ne le trouverez jamais au Canada.

J'ai trouvé du Termignon chez Hamel la semaine dernière. 79 $ le kilo ! Folie folle que je ne recommande pas aux bouches trop délicates, ni aux amateurs de bleu onctueux genre gorgonzola. Il y a dans ce bleu-là une rugosité, presque une âpreté, du grain comme on disait jadis, en fait c'est un fromage de jadis.

PLACEMENT DE PRODUIT Un des chefs fromagers de chez Hamel m'a promis qu'il me mettrait un kilo de Termignon de côté en échange des quelques lignes qui précèdent. Comment ça, c'est pas correct ? Branchez-vous. J'ai écrit récemment deux chroniques pour dénoncer le placement de produits et que m'avez-vous dit ? Vous m'avez dit que j'étais un tata, vous m'avez dit qu'il n'y avait rien de plus normal que le placement de produits. Allume Foglia ! Ça dérange qui ? O. K. d'abord, ça ne me dérange pas moi non plus.

Me demande quel vin irait bien avec ce genre de fromage un peu terreux. Je ne connais pas bien les vins. As-tu une idée, Guy-A ?

PLACEMENT DE PRODUIT, BIS C'est pas pour me vanter, mais j'ai bu l'autre jour un truc étonnant que ma fiancée a acheté à l'épicerie. C'est un jus de fruits et légumes présenté dans une sorte de petite amphore verte, un produit de Californie, Bolthouse green goodness, en français la bonté verte. Écoutez bien tout ce qu'on trouve dans ce breuvage : du jus de pomme, du jus d'ananas, de la purée de mangue, de la purée de banane, de la purée de kiwi, du jus de limette, du brocoli, du thé vert, des épinards, de l'orge, du blé, de la purée de tamarin, de l'ail inodore... Quelle époque formidable, non ? T'aimes pas l'ail ? Pas de problème, il y a maintenant de l'ail inodore. Je poursuis la liste des ingrédients : du jus de citron, du topinambour, de la spiruline et ça se termine par : et arôme naturel ! Pomme, ananas, mangue, banane, kiwi, épinards, topinambour, limette, brocoli... un peu d'arôme naturel avec ça ? Arôme de quoi ? Arôme d'arôme, mon vieux. Odeur d'odeur. Effluve d'effluve. Parfum de parfum.

Ce que ça goûte ? Ça goûte la brillantine. Vous avez déjà bu de la brillantine ? Moi non plus avant ce truc-là.

QUOIQUE C'est pas pour me vanter, mais je m'apprête à relire le Adolphe de Benjamin Constant. L'idée m'en est venue en feuilletant un dictionnaire de littérature dans lequel on résume ce grand classique ainsi : Adolphe, qui a 22 ans, fait la connaissance d'Ellénore, encore belle, quoique ayant dix ans de plus que lui.

Vous avez quoi, madame ? 34, 35 ? Allez c'est pas si pire que ça, quoique...