Le mardi 1er mai 2007


Aux plus humbles
Pierre Foglia, La Presse

Ce n'est pas pour me vanter mais c'est le 1er Mai aujourd'hui. Pis? Pis rien, vous avez raison. On ne sait presque plus que c'est la fête des travailleurs. Quand j'étais petit, la journée était chômée. Nous habitions une petite ville communiste et le 1er Mai était comme la Noël du lumpenprolétariat (cela vient de l'allemand et du catéchisme marxiste, cela veut dire le prolétariat en haillons).

C'était nous le lumpenprolétariat. Ma mère était femme de ménage et je vous ai déjà raconté qu'enfant, je l'accompagnais et l'aidais à récurer la merde des riches. Le 1er Mai était notre fête, mais c'était aussi la fête du muguet, et le premier du jour du mois de Marie. Ce jour-là, nous allions au muguet dans le bois de Malminou, nous revenions à temps pour le spectacle des jeunesses communistes sur la place des Martyrs - généralement de la gymnastique - et après souper, ma mère et moi allions porter le muguet à l'église.

Aujourd'hui? Fêter les travailleurs? Le mot lui-même est sujet à caution, travailleurs-syndicat-grève, oh là là. Anyway. Si on ne fête plus les travailleurs, on pourrait au moins fêter le travail qui est bien la moitié de notre vie. Vous aimez votre travail?
Vous, monsieur le journaliste, vous aimez votre travail?
Euh oui, plutôt.
Ma réponse déçoit, on m'attendait plus enthousiaste. Vous aimez plutôt, plutôt que quoi?
Plutôt que préposé dans un CHSLD, par exemple.

Mais attendez, je recommence. Si, si, j'aime beaucoup ce que je fais, mais j'ai aimé plus encore être typographe, et tout autant que journaliste j'aimerais être réparateur de bicyclettes, pâtissier (et glacier), j'adorerais tenir une boutique de linge flyé pour madames un peu sautées (et drôles), j'aimerais être éditeur, libraire, prof de littérature, maçon comme mon père, correcteur de copie (il me revient de l'avoir été quelques mois chez Fides), barbier dans le quartier juif à Rome (non, ça je l'ai pas été), travailleur de rue; je serais très heureux aussi comme cultivateur, je veux dire qu'il me conviendrait parfaitement de me lever tous les jours à 5 h, d'aller à 20 tâches différentes dans la journée, de rentrer à la fin du jour, et m'endormir devant la télé.

J'aime travailler, finalement. Évidemment, il est des jobs qui m'apparaissent hyper plates, chauffeur d'autobus, agent de bord dans les avions, poseur de gyproc, agent de voyages (j'étrangle un client en dedans d'une semaine), gérant de caisse pop, vendeur de meubles, les jobs d'abattoirs, les jobs d'autos (à la chaîne chez GM), la sollicitation au téléphone...

Il est d'autres métiers, pas forcément plates, pour lesquels je n'aurais aucune aptitude, avocat, chirurgien, comptable, policier, petit boss, grand boss, mais la dernière des jobs, en fait la toute première en tête de la liste de celles que je ne voudrais pas faire, que je ne pourrais pas faire : préposé aux bénéficiaires dans un CHSLD. Changer la couche d'un vieux monsieur. Donner un bain à une vieille madame qu'il faut déplacer avec un palan. Couper les ongles de pied. Moucher. Torcher. Donner la bouillie à la cuillère. Ja-mais.

Je l'ai déjà écrit, je ne pense pas que ce soit là un travail «normal». Un travail que l'on choisit parce qu'on a envie de le faire. À la question «qu'est-ce que tu veux faire plus tard?», je ne crois pas qu'un seul enfant ait jamais répondu : «préposé aux bénéficiaires».

Ce sont les travailleurs les moins valorisés, les plus oubliés même des syndicats. Pourtant, peut-être les plus indispensables dans notre société. Ils torchent votre papa. Ils donnent le bain à votre maman et sont moins bien payés que s'ils récuraient les chaudrons dans l'arrière-cuisine d'un restaurant chinois.