Le samedi 9 juin 2007


Toc! Toc! Toc! On frappe à la porte
Pierre Foglia, La Presse

Une fois, quand j'étais petit, tous les enfants de ma classe ont eu la scarlatine. Pas moi. C'est un peu ce que j'ai ressenti pendant ces quelques semaines de vacances: vous aviez tous des boutons, de la fièvre, mais je n'étais pas contaminé. J'ai tout vu, tout entendu, mais je n'étais pas concerné.

Par exemple, l'histoire de la nounoune qui s'est fait éjecter de la terrasse d'un bar gai; mon boss ne m'a pas appelé, il ne m'a pas demandé d'écrire là-dessus et je ne l'ai pas envoyé chez le diable. Des vraies vacances. N'empêche, c'est incroyable tous les trucs songés qui se sont écrits sur cette nounoune; il faudra que je demande un jour à mes collègues chroniqueurs (et surtout chroniqueuses) comment ils font pour écrire aussi bien et penser en même temps. Ça me scie.

Comme je vous le disais, j'ai tout vu, tout entendu. Le départ de M. Boisclair, l'arrivée de Mme Marois, le 180 degrés de M. Duceppe. D'un coup, d'un seul, le Parti québécois est retombé sur ses pieds, sur ses positions de base. Quoi qu'il arrive au PQ, maintenant, ce sera son destin; je veux dire que si le bateau s'échoue, au moins ce ne sera pas la faute du capitaine, ce sera la faute du courant.

Tout vu, tout entendu, mais pas forcément de la même oreille que vous. Lors du budget, vous avez accueilli comme une très bonne nouvelle la nomination de M. Claude Castonguay à la tête d'un groupe d'experts chargé de faire rapport sur le financement de la santé.

Quand on parle de M. Castonguay, on ajoute, c'est devenu un automatisme, «le père de l'assurance maladie au Québec». Ah, c'est lui, ça! C'est lui la gratuité, c'est lui l'universalité... Aujourd'hui, M. Castonguay prône farouchement la privatisation des services de santé, veut introduire le principe «de l'utilisateur-payeur», et les gens se taisent, respectueux et impressionnés: c'est tout de même bien le père de l'assurance maladie qui parle, il est sûrement le mieux placé pour la réformer...

Il y a ici, pour le moins, une petite erreur de perception. Je me souviens d'avoir manifesté, au début des années 70, contre M. Castonguay, alors ministre de la Santé dans le gouvernement Bourassa. Il était déjà, à l'époque, en faveur d'un système de santé à deux vitesses. Bref, contrairement à ce que vous avez tous l'air de croire, M. Castonguay n'a pas inventé la social-démocratie, ni même l'assurance maladie. L'assurance maladie ne serait pas ce qu'elle est depuis 35 ans sans les pressions populaires du début des années 70. Je peux vous le dire, ce qu'il y aura dans le rapport de M. Castonguay. M. Charest aussi pourrait vous le dire. C'est bien pour ça qu'il l'a nommé.

Une fois, une seule, pendant mes vacances, j'ai eu très fort envie de chroniquer. C'eût été sur la grève des transports. Cela m'a démangé comme cela me démange toujours quand les moutons bêlent à l'unisson. Quand j'ai l'impression que ça y est, on y est dans l'univers d'Orwell. Quand la morale sociale se prend pour du civisme. Quand le brave citoyen braille qu'on le prend en otage. Quand c'est quasiment la guerre civile alors que, bordel de merde, c'était juste une grève légale assortie de services essentiels très moumounement assurés par le syndicat.

Comme une envie de me jeter par la fenêtre, mais il n'y a même plus de fenêtre. Quoi, suis-je si vieux que je serais le dernier à savoir que la grève n'est pas la peste? Que ce sont les grèves (et quelques désordres) qui ont sorti les enfants des usines, qui ont apporté des vacances payées, la sécurité au travail, des fonds de retraite aux travailleurs? Quoi, suis-je le seul à entendre que les haros populaires et médiatiques sur les grévistes participent d'un modèle idéologique si dominant qu'il en devient quasiment unique? Non, je n'étais pas tout seul. Il y en a au moins un autre. Gil Courtemanche, dans Le Devoir du 26 mai: On assiste à une construction de l'opinion publique... dès le déclenchement de la grève, les télévisions se sont mises en état de catastrophe naturelle. Le ton est alarmiste, on se demande comment les malades se rendront à l'urgence, comment vont faire les pauvres étudiants pour aller à l'école et on multiplie les entrevues des travailleurs en retard pour le travail...

Vous n'êtes pas mort avant d'arriver aux urgences, toujours? Rassurez-moi, madame, vous n'êtes pas arrivée trop en retard à votre cours de plongée sous-marine?

Heureusement qu'il y a des Mazhari et des Vincent Lacroix pour nous distraire des honnêtes gens; et la culture, bien sûr, heureusement qu'il y a la culture. Un jour, j'ai entendu une actrice-écrivaine se plaindre à Homier Roy (ou était-ce à Charrette?), anyway elle est passée aux deux émissions - et la veille elle était passée à la télé - donc je l'ai entendue se plaindre qu'elle ne ferait pas la une de Voir. Pensez, s'amusait-elle, mais on devinait le dépit sous son amusement, pensez, il y a une église en page couverture de mon roman.

J'ai lu son livre et, d'après moi, ce n'est pas à cause de l'église en page couverture que Voir n'en fera pas sa une. C'est par snobisme, je crois. À cause du style trop nature pour plaire aux littéraires, mais un style qui moi m'a enchanté, et enchantera, je le sais, vos âmes simples et pures. Quelques échantillons...

- Tu me sacrais Vénus sous tes caresses.
- Je m'éveillais dans la houle qui soudait ton corps au mien.
- Le soleil joue à cache-cache avec les cumulus.
- Ses lèvres sur ma joue ont l'effet d'une brûlure.
- Mes seins frémissent au frôlement de ses doigts.

Mais ma préférée, et de loin; page 42: Toc! Toc! Toc! On frappe à la porte. Celle-là, j'avoue, m'obsède. Je la répète à tue-tête à longueur de journée depuis deux semaines: Toc! Toc! Toc! On frappe à la porte. Ma fiancée veut me tuer, et les minous, qui adorent la visite, se garrochent à la porte pour voir si c'est vrai. Y a personne, niaiseux! C'est un procédé littéraire.

La culture, donc. Et le vélo, bien sûr. Je devrais atteindre mon 2000e kilomètre en fin de semaine. S'il fait beau. Encore que quelques cumulus avec lesquels le soleil jouerait à cache-cache ne m'arrêteront pas.