Le jeudi 28 juin 2007


Investir dans la médaille
Pierre Foglia, La Presse

La Presse d'hier. Le cahier des Sports. Pékin 2008, un dossier de mon collègue Simon Drouin. Je vais finir par le lire, c'est sûr. J'ai commencé d'ailleurs : la décision du gouvernement conservateur de ne pas financer le programme d'excellence des sports d'été...

J'ai bloqué là, trop fâché pour continuer. Pourquoi ne pas financer l'élite des sports d'été ? Ben tiens : pour mieux investir dans l'élite des sports d'hiver. Parce qu'on est meilleurs dans les sports d'hiver. Parce qu'on gagne plus de médailles aux sports d'hiver. Mais de quoi parle-ton au juste ici ? De performances ? De culture ? D'une esthétique ?

Ou parle-t-on de propagande ?

De propagande comme dans les pays du bloc communiste, il y a 30 ans. D'un énorme investissement symbolique dans une équipe-nation. Posons la question autrement : investir dans le sport d'élite comme on investit dans l'art parce que c'en est un, en fait plusieurs, ou investir dans la médaille parce que c'est immédiatement rentable ? J'entends par là que la collectivité peut se projeter plus immédiatement dans la victoire de son équipe féminine de hockey que dans la victoire de son armée en Afghanistan.

Gang de sous-secrétaires de jeune chambre de commerce. Gang de joueurs de golf. Gang de tout mêlés dans vos petites têtes keynésiennes. Au temps des Jeux de Montréal, vous vous réclamiez de l'universelle coubertinade : l'important, c'est de participer. Et aussi : le sport, c'est bon pour la santé. Et encore : c'est bon contre l'obésité. Et même : pendant qu'ils font du sport, ils ne fument pas de drogue (non mais ils s'en shootent par exemple)...

Puis, comme tout le monde, vous êtes passés à l'économie libérale. Ces athlètes-là, on les entretient princièrement, oui ou non ? Oui ? Alors, on veut des résultats. Et voilà le sport soumis aux mêmes lois que l'industrie. Pas de médailles, pas de profits. Pas de profits, on coupe. Pas de médailles en athlétisme ? On coupe dans l'athlétisme. On va plutôt investir dans le skeleton.

Gang de squelettes. Gang de moumounes momifiées. L'athlétisme, creuset de tous les sports, la culture sportive par excellence, l'athlétisme est en train de disparaître du Canada. Court-on encore dans les écoles ? Lance-t-on encore le javelot ? Saute-t-on les haies ?

Tyler Christopher est la grande vedette de l'athlétisme canadien avec Perdita Felicien, un des six meilleurs coureurs de 400 au monde. Que Christopher finisse quatrième à Pékin et sa performance passera inaperçue. Pas de médaille ? Il n'existe pas. Quatrième de la finale olympique du 400, c'est pourtant 200 000 fois plus gros que notre médaille de merde en skeleton à Turin. En réalité, le problème est plus culturel que structurel, culturel en ce sens : s'il n'y a pas de médaille, et si ce n'est pas du hockey, et si ce n'est pas non plus du vroum-vroum, est-ce encore du sport ? Je vous le demande.

Vous savez ce que vous êtes ? Vous êtes rien qu'une gang de joueurs de curling.

GEBRE -- Juste comme je vous parle d'athlétisme, au Grand Prix d'Ostrava hier, le vieux Gebreselassié battait le record du monde de l'heure, 21 kilomètres et 285 mètres en une heure. Pas plus tard que la semaine dernière, un de mes boss, son fils et moi sommes allés rouler et c'est exactement ce qu'on a fait aussi: 21 kilomètres à l'heure. Vingt et un et des poussières. Mais on était à vélo... Vous savez bien sûr comment Gebre est venu au sport ? Par le skeleton. Je vous jure. Sur les hauteurs de Addis-Abeba. Il était là avec sa luge à attendre qu'il neige, mais y neigeait jamais, un gars qui passait par là (y revenait des champignons) lui a dit : « Pourquoi tu cours pas à la place ? »

Donc, 21,285 kilomètres en une heure.

Encore un peu d'athlétisme. Meseret, c'est son prénom, Defar, son nom. Il a 23 ans. Ça ne vous dit pas si c'est une fille ou un garçon. C'est une fille ; en éthiopien, Meseret, c'est comme Marie-Chantale chez nous. D'Addis-Abeba aussi. Record du monde du 5000 à Oslo il y a 15 jours avec un temps de 14 minutes 16 secondes. Je me revois à Paris en 2003 aux Championnats du monde, les yeux sur le tableau, incrédule, Émilie Mondor, de Mascouche, venait de franchir la ligne : 14:59. Première Canadienne à briser la barrière du quart d'heure sur 5000. Elle avait 22 ans.

Du paradis où elle est maintenant, je ne sais pas si Émilie a vu la course de Defar à Oslo, 14:16! C'est 44 secondes de moins! Presque 4 secondes au tour! Nom d'un petit phénomène! Qu'en penses-tu, Émilie? Non attends, ne dis rien. J'ai envie d'y croire encore un peu.

BASKET -- Si vous aviez suivi les finales de la NBA cette année, la victoires des Spurs de San Antonio vous en aurait appris beaucoup sur un truc hyper-important que vous oubliez tout le temps quand vient le temps d'analyser la saison du Canadien de Montréal : le collectif.

Pas de vedettes chez les Spurs, au contraire, deux grandes antivedettes. D'abord le coach (Popovich) qui ne jure que par le collectif, et le pivot Tim Duncan que les chroniqueurs de basket américain ont baptisé « Monsieur Fondamentaux », c'est vous dire s'il ne fait pas dans la dentelle, ni dans le show. Un modèle de sobriété, d'efficacité et d'équilibre qui détonne beaucoup dans cette ligue de déjantés. Duncan et Popovich ont rallié quelques bons joueurs comme Parker, et Ginobili à leur philosophie, des bons joueurs, pas des superstars - et voilà une équipe moyenne sur papier qui a fait la nique pour la troisième fois en cinq ans à des superclubs, comme Denver, Miami, Dallas, Phoenix etc.

Bref, si vous aviez suivi les Spurs, et bien sûr si vous aviez un peu le sens du sport, une évidence vous sauterait dans la face : c'est pas Daniel Brière qui va relancer le Canadien. Ni Zubrus. Ni je ne sais pas trop qui.