Le mardi 14 août 2007


Carnet d'un très court voyage
Pierre Foglia, La Presse

Pour deux petites journées, la semaine dernière, je me suis joint à une gang d'administrateurs de voies cyclables, gens de Vélo Québec et du ministère des Transports qui chaperonnaient une dizaine d'étrangers venus nous parler de leur route verte tout en pédalant des sections de la nôtre.

Il y avait là une Norvégienne, une Espagnole, deux Fançais, un Suisse, deux Américains et une Ontarienne. L'Ontarienne était joviale, l'Espagnole très madame, le Suisse incroyablement suisse, un des deux Américains plutôt speedé, pour ce qui est de la Norvégienne une fois j'ai pris l'ascenseur avec elle, ça s'est bien passé, mais c'est quand même un peu court pour se faire une idée de la Norvège. En fait, c'est surtout de Nicolas, un des Français, dont je voulais parler.

Il est arrivé à Dorval avec sa femme et ses trois enfants. Son premier voyage au Québec. Ont quitté l'aéroport à vélo.

Nicolas avait répéré sur internet que Dorval n'était pas loin de la piste cyclable du Lakeshore, ils y sont allés en ligne droite, passant sur quelques pelouses et sous (ou sur) la 20, le lendemain ils étaient en Mauricie.

Il y a quatre ans, c'est à Lima que la famille a atterri. Le plus jeune, sur son petit vélo, avec des petites sacoches, avait cinq ans. La grande 11 ans. Ont monté la Cordillère, à partir de Lima, ça monte environ 100 kilomètres. Un voyage d'un an et demi en Amérique du Sud, Nouvelle-Zélande, Nouvellle-Calédonie, tout à vélo, pas malades, pas d'accidents.

Et le plus petit a suivi? À vélo? Avec ses petites sacoches? À cinq ans?
Oui. On n'imagine pas ce dont sont capables les enfants.
Ici vous seriez un cas de DPJ.
De quoi?

Oubliez ça. C'est un organisme québécois qui encourage les gens à avoir des enfants de taille moyenne mais surtout à les nourrir à des heures régulières.

3 à 0 POUR LE VERMONT - J'étais arrivé la veille de faire ces petits cols du Vermont central que l'on appelle des «gaps». J'arrivais d'un séjour dans un village en deshérence au pied des Montagnes vertes. Unique client de l'unique hôtel, je m'étais endormi, le premier soir, dans un silence minéral, sur la galerie.

J'arrivais de cette solitude-là pour me retrouver dans la cohue de North Hatley - j'exagère ce n'est pas encore Saint-Sauveur, mais ça s'en vient. En attendant mes gens, j'ai trouvé le moyen de fucker mon dérailleur dans les collines alentour, quelques milliers de kilomètres cette année sans le moindre pépin et ce bris juste comme j'allais me joindre à une délégation internationale, j'ai eu l'air de quoi croyez-vous?

Ne cherchez pas: j'ai eu l'air d'un journaliste.

Mais c'est un détail. J'ai dit que j'arrivais tout juste du Vermont. Comparons les deux séjours.

Accueil: net avantage au Québec. C'est vrai qu'on est, je veux dire que vous êtes chaleureux. Peut-être plus enthousiastes que chaleureux en fait, comme le sont souvent les minorités. Je n'ai aucune explication, mais cela me vient à l'instant, je pense aux Catalans par rapport aux Espagnols, aux Irlandais par rapport aux Anglais.

Pour tout le reste: net avantage au Vermont. Les routes, toutes les routes du nord du Vermont sont des routes vertes exprès pour le vélo. Les paysages, je sais que je vais vous faire de la peine, mais les paysages vermontois sont des miracles oubliés du progrès, riches de silences, et qui ne s'embarrassent pas, comme les nôtres, de toutes ces bêtises pour le dépaysement des touristes.

Même la bouffe. J'ai fait un repas savoureux au Bobcat Café dans la petite ville de Bristol - des raviolis géants fourrés aux porcinis - pour moins de 30$. J'ai petit-déjeuné en face le lendemain matin d'une immense omelette servie avec des patates rissolées et même si le café était dégueu, il l'est toujours, c'était tout de même mieux que les saucisses racornies et les oeufs très brouillés du meilleur hôtel de Shawinigan trois jours après. Et mieux que la veille à Sherbrooke, dans ce resto de la rue Wellington, un peu à l'image du Québec dont je parlais à l'instant, le service et l'ambiance nettement plus enthousiasmants que le contenu de nos assiettes, de la mienne du moins.

LA MORT - Il m'est arrivé un drôle de truc durant ce voyage qui devait durer une semaine et que j'ai brusquement écourté, rien à voir avec les gens avec qui j'étais. J'ai soudainement craqué. Je ne me souviens pas d'avoir jamais craqué en voyage sauf une fois, à Medellin en Colombie. Mais ça n'a rien à voir, à Medellin j'avais eu soudain très peur pour ma vie et je suis parti.

À Shawinigan, je ne comprends toujours pas ce qui est arrivé. Je vous raconte, si ça vous tente de jouer au docteur... C'était donc l'autre mercredi, dans la chambre la plus standard qu'on puisse imaginer à l'Auberge Gouverneur. Une chambre comme 20 000 autres chambres avant celle-ci, où j'ai 20 000 fois branché mon ordi sur la tablette à côté de la télé. Une de ces chambres où, en attendant que l'ordi s'allume, je roule en boule et jette dans un coin le couvre-lit caca d'oie, puis je ramasse les dépliants - celui sur les attractions locales, le menu du resto, le mode d'emploi du téléphone, l'offre d'un massage de pieds à la paraffine (30$) - pour les ranger dans le tiroir du bas de la commode.

En me rasseyant devant l'ordi, j'ai tapé le nom de la ville comme on le fait pour un article daté de l'extérieur, SHAWINIGAN -... et rien n'est venu. Rien. Pas la queue, pas l'apparence, pas le contour, pas l'ombre de la plus petite envie d'écrire.

Je ne sais pas pourquoi, j'ai pensé à Ray Charles qui n'allait que dans les Holiday Inn parce que, disait-il, les chambres de tous les Holiday Inn du monde sont disposées de la même façon, ce qui est bien pratique pour un aveugle. J'ai fermé les yeux pour voir, me suis dirigé vers la salle de bains sans me cogner à aucun meuble, à aucune porte, ai mis la main dans le petit panier que je sais trouver, dans ce genre d'hôtel, à la gauche du lavabo, ai saisi dans le panier le savon dans son emballage de papier, j'ai ouvert les yeux, me suis vu dans le miroir en train de me laver les mains, et je me suis mis à pleurer comme un veau.

On ne meurt pas, comme disait Brel, en allongeant le pas. On meurt de temps en temps en ratant une marche. On se rétablit toujours, sauf la dernière fois, bien sûr.