Le samedi 25 août 2007


Je n'ai rien contre le progrès
Pierre Foglia, La Presse

Ce n'est pas si surprenant, le syndrome «pas dans ma cour» est le plus souvent évoqué par des gens qui n'ont pas de cour. S'ils avaient une cour et qu'on y dressait un pylône de l'Hydro, un séchoir à grain qui ronronne toute la nuit, une carrière de gravelle où reculent 50 camions par jour, bip, bip, bip, ou si on dressait dans leur cour une éolienne de 140 mètres de haut (pas loin de 450 pieds), pas certain qu'ils trouveraient les éoliennes si écologiques que ça.

Les 31 éoliennes du projet Brome-Missisquoi ne seront pas dressées dans ma cour, mais pas si loin, dans cette partie de la plaine du Haut-Richelieu décoiffée par les vents d'ouest qui s'étend jusqu'aux premières collines du canton de Bedford, cette plaine quadrillée de rangs trop droits et trop plats pour que j'aille les pédaler. Si le projet finit par voir le jour un jour, le plus près que j'en approcherai sera pendant ma halte coutumière à L'oeuf, à Mystic. Et encore, je lui tournerai le dos en dégustant ma crème brûlée.

Bref, je ne vous parle pas de quelque chose qui menace mes paysages. En fait, je ne vous parle pas d'éoliennes(1). Je vous parle d'un sujet beaucoup plus vaste: le progrès. Bien entendu, je n'ai rien contre le progrès. Je m'étonne seulement que les droits des individus soient de mieux en mieux protégés par les lois, les chartes et par ces accommodements parfois très pointus qui facilitent le vivre-ensemble, sauf, SAUF pour ce qui est des droits des individus devant le progrès.

Il suffit au premier promoteur venu de prononcer la formule magique création d'emplois-taxes municipales-nombreuses retombées économiques pour que les individus vivant dans le périmètre menacé par le progrès perdent aussitôt le tout premier de leurs droits: le droit d'avoir la paix.

Je sais un monsieur et sa fiancée qui ont acheté une maison dans ce qu'ils figuraient être un joli coin de campagne. Deux mois après avoir emménagé, par hasard, au dépanneur du village, ils apprennent l'existence de ce projet de parc éolien. Bof, se disent-ils. À tout hasard, quand même, ils se rendent à une réunion d'information, et là réalisent que, effectivement, leur joli coin de campagne sera bientôt un parc éolien. Qu'ils vont d'abord se retrouver dans un chantier hérissé de grues, sillonné de lourds camions qui vont défiler sur des chemins qu'il faudra élargir à 40 pieds pour le passage des grues, justement. Et quand tout sera fini, ils auront dans la face, pour la vie, ces tours de 450 pieds de haut.

Quatre cent cinquante pieds, la chose est si saisissante de gigantisme que le promoteur - ex-ministre de l'environnement sous le gouvernement péquiste! - a refusé de présenter son projet sur une maquette à l'échelle, qui montrerait combien sont petits les arbres, les hommes et leurs maisons au pied de ces monstres.

Ce n'est pas exactement le décor dont rêvaient les nouveaux propriétaires. Pour s'excuser de leur gâcher la vie, le promoteur leur a offert de payer leur impôt foncier. Yé ben blood. Vous savez à combien s'élève l'impôt foncier? Je ne vous le dis pas, vous allez tous vouloir venir vous installer à la campagne, mais disons que l'offre du promoteur et une claque sur la gueule, c'est à peu près pareil. Vous savez ce qui va arriver un jour? Un jour, quelqu'un va sortir un fusil. Quelqu'un ne va pas se contenter de sauter les plombs, il va en tirer aussi.

Qu'ils vendent, direz-vous. Ah oui? Qui va acheter une maison à la campagne avec vue sur des tours d'acier hautes comme des édifices de 24 étages, plantées sur des bases de 300 mètres cubes de béton? Vous?

C'est pas les éoliennes en elles-mêmes. C'est ce projet particulier. Contrairement à la Gaspésie, où les éoliennes dérangent surtout le paysage, on prétend les imposer ici en milieu habité. C'est pas les éoliennes, c'est la manière d'embobiner le milieu. D'éviter tout débat qui pourrait mener à une consultation populaire. De faire passer les opposants (majoritaires) pour une petite bande de chialeux.

Tous ne chialent pas. Il est heureusement, même à la campagne, de nombreux partisans du progrès. Les édiles locaux, d'abord - la municipalité de Stanbridge Station, pour ne prendre qu'elle, recevrait plus de 3 millions en taxes locales. Les commerçants, évidemment. Les entrepreneurs en excavation. Et, bien entendu, les cultivateurs qui auront des éoliennes sur leurs terres. L'autre jour, je demande à l'un d'eux combien lui rapporteront les deux éoliennes qu'on va ériger dans son blé d'Inde. Il me regarde dans les yeux et me dit sans rire:
C'est pas pour l'argent.
Ah non? C'est pour quoi?
Pour l'avenir du Québec.

Félicitons-le. Notons quand même au passage que ses deux éoliennes devraient lui rapporter, strict minimum, 15 000$ chacune par année, à rien faire, à regarder tourner les pales.

Je n'ai pas vraiment d'opinion sur les éoliennes, mais j'en ai une assez précise sur les maires du coin, qui ne veulent pas d'un référendum sur le sujet, référendum qu'ils perdraient. J'en ai une aussi sur la MRC, qui a préparé le nid du promoteur bien avant qu'on entende même parler du projet et qui, mardi soir dernier, a donné un avis favorable - quelle surprise! - au projet d'implantation de 31 éoliennes dans le triangle Stanbridge Station-Pike River-Bedford.

Je ne suis ni contre ni pour les éoliennes, je m'interroge sur la transparence d'un promoteur qui commence par dire que ses éoliennes ne font aucun bruit et annonce un mois après: nos modèles sont les moins bruyants sur le marché. Comment ça, les moins bruyants? Ne disiez-vous pas que vos éoliennes ne faisaient aucun bruit?

Et le bruit? ai-je demandé au même cultivateur que tantôt. Vous ne redoutez pas le bruit?

Il a tendu son oreille au pépiement d'un oiseau qu'on entendait plus loin dans sa prairie: t'entends l'oiseau? Ça ne fera pas plus de bruit que ça.

Je n'ai rien contre le progrès, mais serait-ce beaucoup lui demander de ne pas me prendre pour un con?