Le jeudi 6 septembre 2007


La formation des maîtres, suite
Pierre Foglia, La Presse

La langue, la langue que l'on parle de plus en plus mal selon vous, et la réforme de l'éducation sont deux sujets qui vous font habituellement réagir au quart de tour quand on en traite en chronique. Ma chronique de samedi ne parlait pas du tout de la langue que l'on parle et pas vraiment de la réforme, vous avez pourtant réagi comme si j'avais fait un amalgame des deux et l'avais fait exploser sur le bord de votre samedi matin comme un vulgaire taliban.

Je parlais, samedi, de la formation des maîtres.

Bien sûr que cela touche à cette réforme de l'éducation que j'ai souvent vilipendée ici, mais même si je croyais que la réforme est la merveille des merveilles, je me scandaliserais de ce qu'une institutrice dise devant sa classe si j'aurais, et autres il faut que vous faisiez.

Non, cela n'a rien à voir avec la qualité de la langue que nous parlons collectivement qui est un tout autre sujet sur lequel je ne m'étendrai pas, sauf peut-être pour préciser que je ne partage pas le pessimisme exprimé dans les courriels reçus. Je crois même qu'on parle de mieux en mieux français au Québec, mais gardons cette chicane pour une autre fois.

Je parlais samedi d'une prise de parole très spécifique: la prise de parole des profs et particulièrement des profs à l'élémentaire, devant leur classe. Des fautes? Soit. Mais pas si j'aurais. Pas il faut que vous faisiez.

Pour parler comme les ponts, on est là devant de très graves fissures dans la structure, tout à l'heure le pont va tomber, pire, tout à l'heure il n'y aura plus de pont. L'enfant peut parler mal dans la rue, à la maison. Contrairement à ce qu'on prétend, cela n'a rien de rédhibitoire; j'écris moi-même souvent assez mal, je le fais d'ailleurs un peu exprès pour ne pas être confondu avec Mme Bombardier, mais je sais, n'en doutez pas, où est le pont qui mène au subjonctif. L'enfant, lui, ne le sait pas. La prof qui dit si j'aurais ne le mènera jamais au pont, ne le mènera jamais à la référence, à l'étalon-or de la langue.

Il y a quelque part un étalon-or du mètre dont la seule utilité est de mesurer très exactement... un mètre. On ne s'en sert pas pour mesurer les choses de la vie courante. Mais il est là. On sait qu'un mètre, c'est ça.

À l'école, tous les maîtres devraient être des maîtres-étalon-or pour mesurer le subjonctif. Surtout que, bordel de bordel, le présent du subjonctif du verbe avoir, c'est quand même pas la fission nucléaire. On apprend ça à 11 ans et on le sait pour la vie.

Les deux exemples qui suivent m'ont été envoyés en illustration à la chronique de samedi. Un enfant «oublie» son sac à la maison. Le petit mot de la maîtresse pour avertir la mère: aujourd'hui, votre fils a oublié «c'est» affaires.

Un mère aide sa fille (4e année) à lire un texte difficile, repère une faute dans ledit texte, et la signale très gentiment, très précautionneusement à la maîtresse: excusez-moi madame, «toutes étonnées» s'écrit «tout étonnées»; tout est ici un adverbe ayant le sens de tout à fait étonnées. Réponse de la maîtresse le soir même: peut-être bien que c'est la règle mais au Québec on prononce TOUTTE. Point à la ligne.

Je ne parlais pas samedi de la nullité des profs. Je parlais de la formation des maîtres. Je parlais de ces quatre années de stratégies cognitives qui forment des nouilles cognitives qui vont aller enseigner des matières dont ils et surtout elles ne savent rien, tout particulièrement le français mais aussi l'histoire et la géographie. Rappelons, oh misère, que le certificat en enseignement d'une durée d'un an qui permettait à des diplômés en histoire, géographie, français d'aller partager avec des enfants leur passion pour une matière a été aboli.

Un mot à la dame qui m'écrit: Continuez, monsieur Foglia, continuez. Comme tant d'autres journalistes à noircir le portrait des enseignants. Comme les parents de certains de mes élèves qui me disent qu'à Gilles Proulx, l'autre midi...

Après avoir écrit au moins cent fois dans mes chroniques qu'une société qui payait plus ses flics et ses journalistes que ses institutrices ne se respectait pas, vous n'imaginez pas, madame, comme cela fait plaisir de se faire comparer à Gilles Proulx. Merci.

Reproche plus subtil d'un ex-collègue, prof à l'UQAM: je pensais que t'étais de gauche? Ça c'est amusant, notez-le, la réforme serait de gauche et l'anti-réforme, de droite parce que conservatrice (et élitiste).

Et si c'était un peu plus tordu que cela?
Et si, par un certain nivellement par le bas mais aussi par son ouverture sur la vie, sur la pratique, par sa substitution de «l'apprendre» par «le faire», la réforme était effectivement de gauche dans son application, mais avec une finalité de droite: former des demi-analphabètes fonctionnels, bien intégrés au milieu, je veux dire au marché?

Et si, à l'inverse, mon école à moi était effectivement de droite derrière ses murs et ses règles qui en font un lieu protégé de l'actualité et des modes du temps, avec des savoirs à apprendre plutôt que des habiletés à intégrer, mais de gauche quant au résultat, en cela qu'elle formerait des citoyens critiques de leur milieu et capables de s'en libérer?

Évidemment, si c'était mon école à moi, le ministère de l'Éducation s'appellerait alors le ministère de l'Éducation. Pas le ministère de l'Éducation et du Loisir.