Le samedi 8 septembre 2007


Et je parle de quoi, moi?
Pierre Foglia, La Presse

J'allais parler de la décision du directeur général des élections du Canada de permettre aux musulmanes d'aller voter complètement voilées, mais Michèle Ouimet a dit tout ce que j'allais dire.
J'allais parler de Charles Taylor, mais Yves Boisvert...
J'allais parler de Cédrika, mais Rima...
J'allais parler de Claude Poirier, mais Patrick Lagacé...
Tout ça dans les quatre premières pages de notre journal d'hier. Je fais quoi, moi? Je parle de mes chats?

C'est la Ouimet qui me fourre le plus. On a les mêmes inclinations, je suis plus près de Michèle que de n'importe quel autre chroniqueur de La Presse. On fait presque double emploi, une chance qu'elle n'est pas à Montréal souvent. Au fait, c'est quand tu repars en Afghanistan?

Pour revenir à cette histoire débile, moi non plus je ne comprends pas pourquoi le DG des élections fait aux musulmanes un accommodement qu'elles n'ont pas sollicité.

On n'agirait pas autrement si on voulait ensevelir la commission Bouchard-Taylor sous 20 tonnes de mongoleries.

Puisqu'on parle de Taylor. Ce n'est pas vrai, je ne m'apprêtais pas à écrire sur Charles Taylor, mais je si l'avais fait j'eusse été plus près de la position de Martineau que de celle de mon collègue Yves Boisvert. C'est pourtant Boisvert qui a raison. Pas raison gnagnagna. Il a signé une autre chronique lumineuse. Qu'on ne fasse pas à Charles Taylor - un des intellectuels les plus intègres de notre temps - un procès par contamination, écrit-il en substance. Pas de commérage, pas d'amalgame. Une chronique dans laquelle il évoque Flaubert, mais même quand il ne l'évoque pas, on le sent toujours très près de Bouvard et Pécuchet, et surtout du Dictionnaire des idées reçues.

Comme vous, je lis chroniques et éditoriaux pour me conforter dans mes propres opinions. Ils sont très rares ceux qui réussissent à m'amener sur leur terrain. Boisvert en est un. Bref vous avez compris que Boisvert m'écoeure. Il est plus intelligent que moi. Il écrit mieux que moi. Il est plus gentil que moi. Mais le comble, savez-vous, en pleine sécheresse de la fin du moins de juin, il a été le seul dans toute la province du Québec à trouver des chanterelles. Même Pierre Gingras n'en trouvait pas. J'allais marcher des journées entières, je revenais avec trois ou quatre champignons desséchés dans mon panier. Je rentrais: appelle Boisvert, disait ma fiancée. Je l'appelais. C'était pour me faire dire qu'il avait trouvé deux tonnes et demie de chanterelles dans Iron Hill, pas si loin de chez moi.

Va donc chier, stie.

Écrire sur Cédrika? Que reste-t-il à dire après la chronique de Rima d'hier, qui pourtant n'en parle pas? Quand Rima écrit comme ça, on a l'impression qu'on est le 10 septembre, ou le 12, il va arriver quelque chose, ou c'est déjà arrivé, mais là tout de suite, tandis qu'elle écrit, il n'arrive presque rien. Pourtant tout est là, dans cette inquiétude qui sourd, dans le fond de l'air qui fraîchit soudain. Rima est souvent à lire avec une petite laine.

Elle était au parc avec ses bébés. Deux types un peu louches prenaient des photos, une maman a appelé le 911. Rima la chroniqueuse s'est dit: holà, ça va faire, la paranoïa. Puis Rima, la maman, a vu les deux types et elle a trouvé qu'ils avaient vraiment une sale gueule. La chronique se termine sur une question troublante: Où commence la paranoïa? Et sa récupération?

Je ne pourrais jamais écrire des trucs comme ça. Je n'ai pas de jeunes enfants. Je ne vais pas au parc. Je ne prends jamais de photos, je n'ai même pas d'appareil. Mais si j'en avais un et que j'allais au parc et que j'y rencontrais Rima, c'est elle que je prendrais en photo. Appellerais-tu le 911?

J'aurais pu écrire sur Claude Poirier, mais mon nouveau collègue Patrick Lagacé l'a dit comme je l'aurais dit: une belle putasserie.

Il serait étonnant que cette histoire qui a assombri l'été connaisse un dénouement heureux, mais le pire du pire serait qu'elle ne connaisse pas de dénouement du tout. On ne peut pas blâmer les parents de se garocher partout. Les médias jusqu'ici font plutôt preuve de retenue (on ne peut pas en dire autant de Mario Dumont), mais est-ce que je me trompe? Il me semble que les flics, à bout de souffle et revenus bredouilles de toutes leurs pistes, viennent de déclarer la chasse ouverte. Ça pourrait devenir assez laid très rapidement. Ce que j'entends par laid? Carnassier. Ne pas confondre avec carnivore. La hyène est carnivore. La foule est carnassière.

J'aurais pu écrire sur Pierre Bourgault. Ajouter une autre réponse trafiquée à la grande question qui nous a tenus occupés une partie de la semaine: pourquoi Pierre Bourgault a-t-il raté son rendez-vous avec René Lévesque?

Pourquoi Lévesque et Bourgault ne se piffaient-ils pas?

Un, on s'en contrecrisse.

Deux, la question est mal posée. Bourgault n'aurait jamais détesté Lévesque, bien au contraire, si Lévesque ne l'avait pas spontanément, immédiatement détesté le premier. Pourquoi Lévesque détestait Bourgault? Devine. Un indice? C'est pas parce qu'il était albinos.

Quand on ne s'intéresse pas à l'opéra et donc pas au ténor, qu'est-ce qui reste de Pavarotti? L'homme? Où ça, un homme? Je n'ai jamais vu qu'un paon, je n'ai jamais vu que le cousin de Julio Iglesias.

Pavarotti devait donner un concert à Montréal et on avait annoncé que, après ce concert, il y aurait réception et souper au Ritz. Il en coûterait 750$ pour souper avec le maître - dans la même salle - et 1000$ pour être à sa table, sur une estrade d'honneur qui ne pourrait accueillir que 10 convives (à noter que pour 400$ il était possible d'être simplement debout au bar et peut-être verrait-on passer le maître).

Ça, c'est la partie véridique. La suite, de mon invention, est tirée de ma chronique du 7 décembre 1996.

Luciano Pavarotti fit son entrée sous les bravos. Il se dirigea vers l'estrade d'honneur, où un unique convive à 1000$ le billet l'attendait. Il le salua d'une courbette. Les autres ne sont pas arrivés? s'étonna-t-il.

Il n'y aura personne d'autre, répondit le convive unique. J'ai acheté les 10 billets à 1000$.

L'on se mit à table.

Vous devez être un grand passionné d'opéra, dit Luciano en attaquant son potage...

Pas vraiment, répondit l'unique convive. J'ai lu dans La Presse qu'il y aurait ce souper après votre concert et qu'il en coûterait 400$ pour vous voir passer, 750$ pour vous approcher, et 1000$ pour partager votre table. J'ai pensé que 10 000$ ne serait pas payer trop cher le plaisir de vous dire que vous êtes un gros con.