Le mardi 11 septembre 2007


Le discours sportif
Pierre Foglia, La Presse

Quand c'est très mauvais, c'est souvent bon. Quand c'est juste médiocre, c'est plate. Mais quand c'est mauvais, comme le gala de je ne sais plus trop quoi dimanche soir à la télé de Radio-Canada, ou comme Des kiwis et des hommes, ou comme 110%, quand c'est aussi mauvais que ça, crisse que c'est bon.

Ma fiancée n'est pas du tout d'accord. Elle, quand c'est mauvais, elle change de chaîne. J'essaie de la retenir: attends, attends, c'est bon.

Tu viens de dire que c'était pourri.

Ben oui, c'est pour ça que c'est bon.

Elle me prend pour un pervers. Par exemple quand je regarde 110% pour des raisons strictement anthropologiques, elle essaie de me faire honte comme si elle venait de me surprendre à regarder un truc porno. Ouais, ouais, l'anthropologie, au fond t'aimes ça, hein?

You bet que j'aime ça. Comme j'aime écouter, sans en avoir l'air, les habitués du Café Italia parler de soccer. Le discours sportif du café du Commerce - universel on s'entend, eh non! 110% n'est pas une maladie québécoise - nous montre l'homme en des états de bêtise vraiment spectaculaires, spectaculaires parce que la bêtise à ce point-là est un formidable spectacle. Il m'arrive de m'exclamer après une autre benoîte remarque de Jean Pagé: Dieu qu'il est bête! Mais je vous jure que je dis cela avec admiration, je vous jure que je suis sincèrement impressionné, une bêtise de cette taille-là, tu ne peux que t'extasier: wow! Comme la première fois que tu te retrouves au pied de l'Annapurna, wow, c'est haut.

Ce n'est pas seulement Jean Pagé. Il y a eu récemment à 110% des soirées d'anthologie alimentées par l'affaire Daniel Brière. Ce n'est pas seulement à 110%. On devrait réunir dans un ouvrage tout ce qui s'est dit et écrit sur cette non-histoire et demander à des linguistes d'analyser le corpus ainsi constitué, d'en dégager ce que j'appelle le ronron-de-la-redite, analyser cette bouillie sans cesse régurgitée, et ravalée à nouveau, et régurgitée encore, cette bouillie qui ne cesse de nourrir le bébé dans l'amateur de sport, ce bébé qui ne devient jamais assez grand pour parler ou écrire, qui ne fait que vagir.

Il est 11h. Je switche au 35. Ah! tiens, ils vont encore parler de Brière pendant une heure et n'en rien dire, forcément. S'il y avait eu un sujet, il serait vidé depuis longtemps, mais il n'y en a jamais eu. Ce garçon a choisi de ne pas venir jouer à Montréal pour des raisons qui le regardent et, de toute façon, cela n'a aucune espèce d'importance. Aucune importance parce qu'il y a des problèmes plus graves dans le monde en ce 11 septembre. Non, non, aucune importance d'un point de vue sportif. Aucune importance pour le Canadien. Aucune incidence sur la saison qui s'en vient.

J'ai le sentiment que le Canadien va connaître une très bonne saison, mais il peut tout aussi bien en connaître une moyenne et même une misérable. Tu parles d'une prédiction! Je ne vous ai pas promis de prédiction, je vous dis que cela dépend bien plus de Carbonneau que du-gros-joueur-qu'on-n'est-pas-allé-chercher. Cela dépend de la réponse à cette question: cette équipe en deviendra-t-elle une? Ils ne débattent jamais de ce genre de question.

Normal, ce n'est pas une émission de sport. N'en ont rien à foutre du sport. C'est juste une émission tripative sur la bêtise, plus précisément sur ce que Deleuze - cité par le philosophe Alain Roger dans le dernier numéro du Magazine littéraire - sur ce que Gilles Deleuze appelait le «fond digestif et légumineux».

Ce que ma fiancée ne comprend pas, c'est qu'en clapotant sur ce fond digestif et légumineux, en écoutant ces très mauvaises émissions, en lisant ces mauvais papiers, le lecteur, le téléspectateur sont naturellement élevés au rang d'anthropologues et ont à se poser une question qu'aucun anthropologue n'a encore jamais eu à se poser: cout'donc, l'Homme ne descendrait-il pas plutôt de la courge?

Courrier

Une toute dernière réaction aux deux chroniques sur la formation des maîtres de l'autre semaine, ce rugueux mais indispensable rappel à la réalité du terrain...

Je suis enseignante et la qualité du français me touche autant que vous... le débat est certes intéressant, vaut la peine qu'on s'y attarde, mais il y a beaucoup plus criant dans nos écoles. Êtes-vous allé dans une école récemment? Une «vraie» école où les classes sont surchargées, où les élèves en grandes difficultés sont majoritaires? Les enseignantes n'ont plus le temps de faire leur travail. Elles doivent d'abord combler les besoins premiers des enfants, besoins physiologiques, sécurité, amour...

La profession est de moins en moins alléchante, la motivation des troupes est au plus bas, désolé de vous le dire vos articles, pour moi, ont été deux gouttes de trop dans un vase qui débordait déjà. Si les parents et la société en général prenaient leurs responsabilités, la qualité de notre enseignement serait meilleure, surtout, nous pourrions nous concentrer sur l'essentiel: enseigner.

C'est signé: Élisabeth, théoriquement orthopédagogue; dans la réalité de la job: mère substitut, travailleuse sociale, psychologue, orthophoniste, psychoéducatrice, éducatrice spécialisée et infirmière, mais, désolée pour les escargots, pas encore entomologiste.


Merci madame Élisabeth.

ÉTALON Quelque part dans ces mêmes chroniques je référais à un étalon-or du mètre; correction il n'y a jamais eu d'étalon or du mètre: il était en platine. D'ailleurs, il n'y en a plus, non plus, en platine. Il est maintenant en... équation!

Depuis plus de 10 ans, le mètre se définit par la distance que franchit la lumière en une seconde, divisée par 299 792 458.

Merci M. Lefebvre.