Le samedi 22 septembre 2007


C'est pas de sa faute
Pierre Foglia, La Presse

Bonjour monsieur, je suis juste un de vos lecteurs.

Que puis-je faire pour vous?

Répondre à mes questions. Ça fait 10 ans que vous écrivez que Geneviève Jeanson ne se dope pas. Je me souviens d'un titre de vous en une de La Presse: «Je la crois!» Hier, elle a avoué qu'elle se dopait depuis 10 ans. J'aurais quelques questions.

On est monté dans mon bureau. Vous avez regardé par la fenêtre, une brume cotonneuse flottait sur ma prairie, vous avez dit: ah c'est vrai, c'est l'automne aujourd'hui, on devrait plutôt parler de l'automne. J'ai espéré un instant que c'est ce que vous alliez faire, mais non...

____________________

Comment avez-vous trouvé le reportage d'Enquête sur Geneviève Jeanson?

Écoeurant, sans jeu de mots. Vraiment très bon. Du grand journalisme servi par un montage brillant et efficace. J'ai hâte au second volet. En même temps, j'ai peur un peu qu'il se résume au lynchage d'André Aubut, le mentor de Genevière durant toutes ces années.

Ce «con intense et tumultueux», comme le qualifie Marc, un de ses amis qui est le mien aussi, ce con intense mérite bien sûr de se faire lyncher. Mais, et de un, les lynchages me puent au nez, et de deux, surtout cela, j'ai peur que Mlle Jeanson participe elle-même à ce lynchage.

Je trouverais dommage que ce reportage si bien engagé finisse sur cette simplification: d'un côté un bourreau, de l'autre une victime. Les choses sont beaucoup plus grises, beaucoup plus troubles. Victime ne veut pas dire innocente. Je l'ai déjà écrit, et c'était déjà à propos de Mlle Jeanson.

Les dernières années de sa carrière - elle avait à cette époque 23, 24 ans - à au moins deux reprises, de façon formelle, j'ai pressé Mlle Jeanson de s'éloigner d'Aubut. J'étais sans doute la 100e personne à lui faire la même recommandation. Je lui ai même proposé de rencontrer une athlète de grand renom qui avait été brièvement sous la férule d'Aubut. Mlle Jeanson s'est alors dressée sur ses ergots comme elle sait le faire: M. Foglia, oubliez ça. Tant que je vais faire du vélo, ce sera avec André.

Regrettez-vous de ne pas avoir insisté?

Cela n'aurait servi à rien. Elle était inébranlable pour tout ce qui concernait Aubut.

Jamais de confidences, d'appels au secours déguisés?

Jamais. Une fois, elle devait avoir 18 ans, elle m'a demandé à brûle-pourpoint: Vous êtes vraiment contre le dopage, M. Foglia? Et une autre fois, à peu près à la même époque: Vous savez, je ne suis pas aussi douée que vous le pensez. Une manière de me glisser, mine de rien, qu'elle se dopait? Un appel au secours? Certainement pas. Le message, s'il y en avait un, était plutôt: voyons, mononcle, capote pas, c'est pas si grave que ça, la dope.

Comment vous sentez-vous? Vous avez été de son camp pendant 10 ans parce que vous la pensiez innocente...

J'étais de son camp, oui, et je la pensais clean, oui, mais cela n'a aucun rapport. J'eusse été de son camp de toute façon.

Je reçois depuis jeudi soir des courriels compatissants de gens qui me croient en deuil de je ne sais quoi. Je n'ai pas appris jeudi soir que Geneviève Jeanson se dopait. J'ai commencé à le croire bien après tout le monde, c'est vrai, mais ça fait quand même deux ans. Quand elle s'est fait prendre au tour de Toona, ça va, j'avais compris.

Ce qui a été extraordinaire, jeudi soir, n'est pas tant la révélation que l'admission. Extraordinaire d'assister au décorticage, au démontage, dans une même séquence, du mode dans lequel fonctionnent tous les dopés. Le béton du déni. Si vous me permettez ces quelques mots tirés de ma dernière chronique sur Jeanson: «Les athlètes qui se dopent ne peuvent tout simplement pas vivre avec l'idée qu'ils sont des dopés, des tricheurs. Alors ils se dédoublent. Pour leur permettre de survivre, leur cerveau leur construit un double complètement innocent.»

Jeudi soir, j'ai eu ces mots-là et les images s'emboîtaient très exactement.

Êtes-vous fâché qu'elle vous ait menti?

Elle mentait à ses parents. Elle mentait à ses amis. Elle mentait à ses avocats. Elle mentait à Larouche. Elle mentait à Robert Dutton, le boss de chez Rona, qui la payait grassement et qui s'est commis lui aussi publiquement, exactement dans les mêmes mots que moi: je la crois. Surtout, elle se mentait à elle-même. Je ne suis pas fâché une seconde qu'elle m'ait menti aussi.

Mais vous m'avez demandé comment je me sens.

Mixed feelings, comme disent les Chinois. En fait, vous allez être déçu, je crois qu'on est encore en train de se faire fourrer.

Alain Gravel raconte que ce qui a finalement fait craquer le béton du déni de Mlle Jeanson, c'est ce fameux taux d'hématocrite de Hamilton, que Pierre Hamel et moi-même avons révélé, et qu'elle contestait jusqu'à ce qu'elle s'enfarge elle-même dedans. C'est bien gentil de la part de Gravel de nous faire jouer les utilités, à Pierre et moi, mais j'ai bien peur que ce soit de la bullshit.

Les aveux de Genevière ne doivent rien à un supposé lapsus sur ce taux d'hématocrite, ni à la fatigue de mentir, ni au remords, ni au fait que Gravel l'avait acculée dans les câbles. Je suis prêt à parier son vélo Colnago, si elle l'a encore, qu'on doit ses aveux à Daniel Larouche. Ce relationniste, engagé jadis par Rona pour s'occuper des relations de presse de l'équipe cycliste Rona, est le dernier des control freaks de la garde rapprochée de Geneviève. Si j'ai bien compris ce qu'en dit Gravel lui-même, son super-reportage n'allait nulle part jusqu'à ce que Larouche convainque sa cliente: c'est le temps, petite fille, de vider ton sac, les astres n'ont jamais été aussi favorables pour rebondir. Quand il a eu fini de la préparer, il rappelé la gang d'Enquête: Elle attend votre appel, je crois qu'elle a des choses à vous dire.

En plein dans le mille! La cote de Geneviève Jeanson est à la hausse et, comme elle n'est pas du genre à faire les choses à moitié, jeudi prochain, elle pourrait bien gagner le championnat du monde des repenties. Attendez de lire les matantes dans les pages de commentaires. Holà, l'enfance détruite. Seize ans et dans les pattes de ces salauds... Serait-ce Nathalie Simard que je vois poindre à l'horizon? Oui, c'est bien elle! Mais avec des pédales. Belle job. Si jamais un jour j'ai besoin d'un relationniste, c'est lui que je veux.

Je ne me dédis pas: un formidable reportage, mais qui va servir de tremplin à une non moins formidable opération de réhabilitation.

Vous auriez préféré que Mlle Jeanson continue de se taire?

J'aurais préféré qu'il n'y ait pas un livre aussi! Je plaisante, mais vous n'êtes pas obligé de rire.

Ces aveux sont bons pour le sport, pour le vélo, pour la lutte antidopage...

C'est bon pour Frosi, qui, avec le juvénile enthousiasme qu'on lui connaît, redécouvre le dérailleur chaque fois qu'il parle de vélo. C'est moins bon pour Louis Barbeau, qui reprend le discours de l'exception qui a mené le cyclisme là où il est. Ce n'est pas bon non plus, cette fois, pour Mme Ayotte, qui nous a servi cette énormité: cela montre que la lutte antidopage avance.

Pardon? Elle avait 16 ans quand elle a commencé à prendre de l'EPO, vous l'avez pognée quand elle en avait 24, et encore, tcheckez bien ça dans le prochain épisode, c'est même pas de sa faute.