Le jeudi 27 septembre 2007


On n'est pas sorti de la mosquée
Pierre Foglia, La Presse

Les vieux se lèvent tôt paraît-il; je dois rajeunir parce que je passe tout droit de plus en plus souvent, si bien que je me retrouve à prendre mon café avec les premiers invités de Christiane Charette plutôt qu'avec les derniers de Homier-Roy, hop là l'ambiance, Mme Charette, aussi, a rajeuni, je l'ai jamais connue aussi frétillante, aussi joyeuse troubadour.

Mais je ne voulais pas vous parler de Mme Charette; c'est seulement que vous en parlant, il me revient tout à coup que voilà des siècles qu'elle ne m'a pas invité à dîner et que si elle devait le faire, j'hésiterais beaucoup sur le cadeau à lui porter: du Ritalin ou ce petit essai de Pascal Bruckner au titre qui ne laisse rien à deviner, L'euphorie perpétuelle, essai sur le devoir de bonheur.

Bon, qu'allais-je vous dire? Que lorsque je me suis levé, Christiane Charette avait pour premier invité le maire de Chicoutimi qui s'appelle Abou Moussa Benjenlloun; ben non, c'est pas vrai, il s'appelle Jean Tremblay, ce qui ne laissait rien présager de très allumé. L'autre invité de Christiane, et je ne la félicite pas de celui-là non plus, était philosophe, juif et athée, j'ai oublié son nom, mais vous imaginez bien qu'il n'était pas facile à retenir. Bref, j'allais vous dire que mon tout premier mot en ce radieux matin a été: «fuck.» Et mon premier geste de fermer la radio mais pas avant d'avoir entendu le maire se défendre d'être un modèle de laïcité! Ciel!

Drôle de laïc qui défendait son droit de faire la prière avec ses conseillers, on lui fit remarquer que c'était faire là un geste public en rupture justement avec le consensus sur la laïcité de l'espace public. Qu'est-ce qui vous empêche, M. le maire, de prier chez vous? Jusque-là ça allait à peu près, on parlait pour parler, on était encore sur la litière où le bétail heureux des hommes est couché. C'est du Mallarmé, profitez-en, il n'est pas toujours aussi limpide.

Pourquoi ne priez-vous pas chez vous, M. le maire?

C'est ça, s'est-il récrié, je vais me cacher pour prier!

Personne ne lui a répondu que, bougre de tata, ça n'a rien à voir, ce que l'on fait en privé, on le ne fait pas forcément en cachette. La religion participe de l'intime, pas du public. L'intime n'est pas caché, n'est pas dissimulé, n'est pas honteux, il est profond, il est conscience, il est soi, mais pas un «soi» en démonstration. Est-ce si difficile à comprendre?

Le maire de raconter qu'il avait reçu récemment une délégation d'Indonésiens qui lui avaient demandé un endroit pour prier dans l'hôtel de ville et qu'il avait obligeamment satisfait à cette demande. Encore là, rien à voir. Pour un cas de figure signifiant, il faudrait plutôt évoquer le jour où un musulman deviendra conseiller à Chicoutimi et réclamera une salle avec un tapis pour prier à l'hôtel de ville. Comment lui dire non si le maire et ses conseillers prient aussi?

Mais pourquoi lui dire non? m'objecterez-vous peut-être.

Je ne sais pas. Je ne sais plus. Le consensus que j'évoquais, il y a un instant, sur la nécessité, en démocratie, de distinguer l'espace public de l'espace civique, existe-t-il bien chez nous? L'offensive récente des furieux du retour au religieux, à l'école notamment, me laisse dubitatif. Je ne sais plus, vous disais-je. C'était quoi la question? Ah oui, pourquoi devrait-on refuser un local pour prier à un éventuel conseiller musulman à Chicoutimi?

Parce que dans une société laïque, il va sans dire qu'on peut prier quand on veut et où on veut, dans son coeur, dans sa tête, mais ni à l'école, ni au tribunal, ni à la mairie, ni à l'armée il ne sera prévu d'espace spécifique, ni de période spécifique pour ce faire.

Que fait-on avec les crucifix sur les murs des édifices publics?

On les laisse là. On ne touche pas non plus à l'arbre de Noël. On n'est plus ici dans l'espace public, mais dans un espace culturel, civique dans lequel se fondent d'ailleurs sans rechigner, sans aucun problème LÀ GRANDE MAJORITÉ des nouveaux arrivants.

Mais ceux qui font chier? Parce qu'il y en a. Un père de deux fillettes me raconte qu'une musulmane aurait exigé de faire enlever tous les crucifix des classes de l'école que fréquentent ses fillettes. La commission scolaire (cela se passerait en Outaouais) aurait accepté sur-le-champ. «Ces crucifix sont partie de notre patrimoine, de notre culture», dit ce lecteur qui signe Yanik Bernier. Bien vu, monsieur. Ce sont les bons mots: patrimoine, culture, etc.

Mais il ajoute: «que les immigrants laissent donc tranquille nos petits crisses de crucifix poussiéreux» et resigne: «un nouveau raciste». Moins bien vu, monsieur. Beaucoup moins. Fâchez-vous contre la commission scolaire, pas contre cette musulmane qui s'autorise, pour grimper sur les murs, de la casuistique à la con de notre multiculturalisme de merde qui a notamment permis à sa fille de porter le voile en classe.

Bref, il suffisait de lui dire: non, madame, désolé, on n'enlèvera pas les crucifix. Non, madame, désolé, votre fille ne peut pas porter le voile en classe.

Ce n'est déjà pas facile d'expliquer à des gens qui ne sont pas du tout préparés à ce qu'est la laïcité. Mais si, en plus, c'est le maire de Chicoutimi qui leur explique que la laïcité, c'est de commencer une séance du conseil par une prière, on n'est pas sorti de l'auberge, je veux dire de la mosquée.