Le samedi 29 septembre 2007


Jeanson et moi
Pierre Foglia, La Presse

Au tout début, c'est elle qui a dit publiquement quelque chose comme: la passion du vélo m'est venue en lisant les articles de Foglia dans La Presse sur le Tour de France.

Mets-en, que ça m'a fait plaisir. Si les compliments m'embarrassent, la reconnaissance me fait fondre. Juste me dire merci, je capote. Elle avait ses deux médailles d'or des championnats du monde junior au cou, je ne la connaissais pas du tout. À l'époque, je trippais Bessette, qui venait de gagner le tour de l'Aude. Je pourrais écrire un livre sur comment ces deux-là se sont débrouillées pour ne jamais se rencontrer vraiment. Anyway. Ce n'était pas possible de tripper les deux en même temps, il fallait choisir son camp - les Capulet ou les Montaigu. J'ai fait un grand papier sur Bessette, j'en ai fait un autre sur Jeanson, j'ai choisi le camp de celle qui m'a dit merci.

LA FOIS QUE J'AI ÉTÉ TELLEMENT, MAIS TELLEMENT CON! - Jean Lessard, ex-coureur, était l'organisateur d'une course à laquelle Jeanson avait refusé de participer. Il en était très fâché et m'avait lâché au téléphone: de toute façon, ta petite crisse de Jeanson, elle n'en a plus pour longtemps, elle a la GRC au cul.

C'était en août 2002, avant que ne commencent toutes les affaires. Jeanson était alors au pinacle de sa gloire. Personne, dans les médias, le public, ne se doutait de rien. Je vérifie et découvre que ce n'est pas la GRC, mais le comité de discipline du Collège des médecins qui accuse le Dr Maurice Duquette d'avoir prescrit de l'EPO à des patients, dont la cycliste Geneviève Jeanson.

Je débarque chez le bon Dr Duquette, dans son sous-sol du Vieux-Montréal, et je le brasse. Pas physiquement, mais pas loin. Il me raconte une histoire à dormir debout, que j'avale, bien entendu.

Puis j'appelle Geneviève. Comme je ne voulais pas la troubler avec mes infâmes soupçons - la pauvre petite était alors en pleine préparation des championnats du monde - je lui dis: passez-moi Aubut. Elle me le passe. André? Tu raccroches tout de suite et tu me rappelles d'une cabine téléphonique parce que ta ligne est probablement tapée! Je vous jure. J'en ris aujourd'hui, mais faut être con pas à peu près.

Il me rappelle deux minutes après.

Tu connais le Dr Duquette, André?

Euh, non.

Voyons! T'es allé le consulter pour l'anémie de Geneviève. Elle fait de l'anémie? Je viens de voir son dossier...

Ah, lui! Je ne savais même pas son nom!

J'avale ça aussi. (Une petite recherche m'aurait pourtant permis de retrouver l'article dans lequel, trois ans plus tôt, Aubut déclarait: Le docteur Duquette fait partie de notre équipe depuis le début! Il fait passer des tests sanguins à Geneviève régulièrement, pas question de prendre des risques (sic!)... Elle est drôle, non?)

Pour finir j'ai appelé le père de Geneviève, que j'ai réussi à convaincre de retenir les services d'un avocat (ce fut Me Barrette), lequel s'est dépêché d'obtenir une ordonnance de non-divulgation!

Vous m'avez sauvé la vie, m'écrira Geneviève dans un courriel que j'ai gardé.

Je comprends aujourd'hui combien mon irruption a dû les tétaniser toute la gang. Combien ils ont dû avoir peur que j'écrive quelque chose. Non seulement je n'ai rien écrit, mais je leur ai donné l'idée d'une ordonnance de non-publication! Je ris encore, mais moins fort.

Comme le dit le vieux chanteur qui me ressemble: quand j'aime une fois, j'aime pour toujours.

PARLANT D'AMOUR - Évidemment, toutes ces années à défendre Geneviève m'ont valu nombre de taquineries qui allaient du «on sait ben, ta petite Geneviève» à des allusions un peu plus olé-olé, voire carrément déplacées; je pourrais citer des noms. Je me suis tanné le jour où, dans un courriel, une athlète que j'estime beaucoup m'a glissé sans malice: Vous aimez tellement Geneviève (et l'amour peut rendre aveugle) que...

Holà!

Je trouve utile de vous faire profiter de ma réponse: «Pour ce qui est du cul, madame, sachez que je ne trippe pas du tout petite blonde; je tripperais plutôt secrétaire, infirmière, journaliste, réceptionniste ou coiffeuse dans la quarantaine, rousse de préférence, mariée cela ne dérange pas, un peu salope et qui connaît la vie. Si vous voulez d'autres précisions vous m'en demandez, mais vous arrêtez de dire des conneries. Je vous en remercie d'avance.»

MADAME AYOTTE - C'est finalement par Mme Ayotte (qui en a parlé à Frosi en promenant son chien, je vous jure) que toute l'histoire du bon Dr Duquette est sortie dans les médias quelques mois plus tard. Mme Ayotte et moi n'avons pas le même avis sur le dopage, essentiellement parce que je n'ai pas d'avis sur le dopage, même pas, comme c'est la grande mode ces jours-ci, l'avis qu'il faudrait le tolérer en partie sous strict contrôle médical. Tolérer un peu le dopage ne changerait rien à rien. Le tolérer un peu n'empêcherait personne d'en prendre beaucoup et on reviendrait à la case départ.

Là-dessus, du moins, Mme Ayotte et moi, on s'entend très bien. Dommage qu'elle ne soit pas coiffeuse. Je ne pense pas qu'elle soit rousse non plus.

PARLONS SPORT - Si elle n'avait pas pris d'EPO, aurait-elle remporté toutes ces victoires?

C'est tout de même moi qui s'entraînait le plus fort, laisse-t-elle échapper dans le reportage de Gravel. Au fin fond d'elle, c'est ce qu'elle pense: EPO ou pas, je les aurais toutes clenchées.

Pas sûr du tout. L'EPO fait une énorme différence. Dans l'histoire du dopage, c'est la première dope qui fait autant de différence. Des études en labo avancent que l'EPO améliore la performance de 20 à 30%. Dans l'élite de n'importe quel sport, la différence entre les 30 premiers joue sur des marges infimes. Un avantage de 20 à 30%, c'est presque de la magie.

Sans EPO, Geneviève aurait couru dans l'ombre de Bessette, alors que c'est le contraire qui est arrivé. Sans EPO, elle n'aurait pas eu la commandite de Rona, n'aurait pas gagné un million. Il se trouve de plus en plus de gens pour dire qu'il faut sanctionner le portefeuille des athlètes dopés. Je n'ai pas d'opinion là-dessus.

LE MONSTRE CANDIDE - Avant-hier, j'ai appelé le monstre dans son restaurant de Phoenix. Il était en train de servir le déjeuner. Hey, André, rappelle-moi d'une cabine téléphonique. Non, c'est pas vrai! André, j'te laisse mon numéro à la maison, si tu te décides à parler, gêne-toi pas. Je peux aussi aller te rencontrer à Phoenix, si tu veux.

Non, non, non, ne viens surtout pas... et presque sans transition: mais si tu viens, apporte ton vélo, on ira rouler.

On ira rouler! Du Aubut tout craché: innocent. Je n'ai jamais réussi à le trouver aussi sulfureux qu'on le dit dans le milieu. Je continue à le croire candide dans sa monstruosité. Si jamais des plaintes sont retenues contre lui et qu'il me prend pour avocat, je plaiderai un truc qui n'est pas encore dans le code criminel: l'aliénation aérobique ou aliénation VO2 max. Je prouverai scientifiquement que, chez les sujets qui en sont atteints, l'oxygène ne se rend pas au cerveau.

UNE GRANDE TRISTESSE - Je vous ai trouvée émouvante, mademoiselle, quand vous avez dit, je cite de mémoire: À 15 ans, j'étais vive, intelligente, curieuse de tout. Vous l'étiez encore à 18, quand je vous ai croisée. Aujourd'hui? Bof, allez, vous n'êtes pas si pire. Dans la moyenne des athlètes, ce qui n'est pas un grande consolation, mais bon...

UNE GRANDE TRISTESSE (bis) - J'ai un message pour vous, Mlle Jeanson, de mon complice en naïveté Pierre Hamel. Il fait dire que si vous venez à le croiser, il ne changera pas de trottoir. Il vous invite aussi sur ses terres.

Moi non. Ce n'est pas par fâcherie. C'est juste que je n'aurais rien à vous dire.

J'ai été très triste de vous voir comme ça à la télé, tout enfargée dans ce que vous ne vouliez pas dire, qui est votre nouvelle façon de mentir, et votre ancienne aussi quand vous nous avez glissé que vous n'étiez pas sous EPO au tour de Toona. Presque personne ne l'a relevé. Votre culot est pourtant énorme. Comme ça, on vous a pris une fois en 10 ans, une seule fois qui a mis fin à votre carrière, et vous venez nous dire que cette unique fois-là, non, vous n'aviez rien pris! Ainsi vous n'êtes pas totalement revenue de votre déni, pas revenue de ces bêtises de protéines dans vos urines que le test antidopage confondrait avec une prise d'EPO. Vous profitez de vos aveux pour régler un dernier compte avec l'USADA, avec ces tests jamais fiables selon vous. Deux heures de télé pour nous dire que vous nous avez menti pendant 10 ans et vous terminez par un mensonge. Il faut vous donner ça: vous n'avez jamais manqué de tempérament.