Le jeudi 4 octobre 2007


Le dernier livre de Slavoj Zizek
Pierre Foglia, La Presse

Les jours de librairie, de retour à la maison, j'étale mes «prises» sur l'îlot de la cuisine entre les huiles et l'assiette à fruits, mes livres étalés comme les perdrix que l'on voit sur ces vieux tableaux qui montrent des scènes de chasse.

Un essai, deux essais, un récit-essai, la revue liberté (pour m'apercevoir deux jours plus tard que je l'avais reçue au bureau), les carnets d'André Major. Et non, pas un seul roman. Le plus curieux, c'est que j'allais à la librairie exprès pour acheter ce roman que tout le monde lit en ce moment - L'élégance du hérisson - mais il était en rupture de stock.

Ai-je dit pas de roman? S'cusez. Il restait un livre au fond de mon sac, une de ces plaquettes que les libraires empilent à côté de la caisse (comme des tablettes de chocolat à la caisse de mon IGA), une bluette d'une centaine de pages de Henry James - Daisy Miller - ce n'est pas vrai que la mauvaise littérature endort, elle rend zombie comme un sudoku de difficulté moyenne; une fois commencé, on veut le terminer en se disant que c'est bien la dernière fois qu'on perd son temps comme ça, mais on recommencera, bien sûr.

Je vous parle d'il y a quelques jours, depuis j'ai eu le temps de passer à travers la moitié du XXe siècle sur les pas d'un journaliste hollandais - Geert Mak - qui a justement consacré la dernière année de l'autre siècle à voyager à travers l'Europe, et c'est le titre de cette brique de plus de mille pages, Voyage d'un Européen à travers le XXe siècle.

Récit dense, un peu lourd, je félicite les lecteurs de ce journal néerlandais (le NRC Handelsblad) de s'être farci, jour après jour, ces chroniques bourratives qui pèsent parfois mais touchent pourtant à l'essentiel.

Dans les 500 premières pages il est abondamment question de l'Holocauste, je vous entends soupirer, cet énorme furoncle n'en finira donc jamais de suinter? Que peut-il donc bien rester à en dire? Il reste tout à en dire. Notamment que Hitler et ses camps sont seulement l'aboutissement de l'Holocauste. Il y a un avant.

L'Holocauste est né de cette aversion du Juif qui prévalait dans toute l'Europe dès le début du XXe siècle (et bien avant), aussi bien en France (l'affaire Dreyfus) que dans la Russie du dernier tsar et de Lénine tout de suite après, que dans toute l'Europe orientale, que dans l'Allemagne de Guillaume II, et tout cela 30 ans avant Hitler. Vienne était alors la capitale de l'antisémitisme. Dans la Vienne de 1907 - où vient d'arriver Hitler, alors étudiant - pour s'amuser, la populace obligeait les Juifs à brosser les pavés des rues à la brosse à dents, en les insultant et en les rouant de coups.

Se rappeler seulement les camps, c'est faire de l'Holocauste un accident, c'est oublier l'essentiel: l'Holocauste a d'abord été un état d'esprit avant de devenir la politique des nazis.

Notons que ce voyage nous rapproche grandement d'une autre histoire du XXe siècle, pas seulement européenne celle-là, oeuvre majeure et qui s'embarrasse de moins de circonvolutions, en prise directe sur l'Histoire, je parle de L'âge des extrêmes d'Eric Hobsbawn. Si le sujet vous intéresse, je vous conseillerais même de commencer plutôt par celle-là.

RIEN À VOIR - La partie «carnet de voyage» du journaliste hollandais, trop brève, trop courte recèle des observations lumineuses. Ce portrait de Barcelone, par exemple, aussi loin que possible de la carte postale qu'en rapportent les visiteurs nord-américains, québécois en particulier séduits par l'improbable cousinage avec Montréal: Barcelone est une ville laide avec des beaux quartiers de temps en temps, une ville mal à l'aise avec elle-même d'une stupéfiante uniformité.

L'ÉCRITURE COMME CADEAU Je crois bien que c'est feu Gérald Godin qui m'avait donné à lire Le cabochon d'André Major, il y a de cela près de... 40 ans! Je lui suis resté plus ou moins fidèle à Major, négligeant ses romans mais séduit par ses deux formidables recueils de nouvelles que sont La folle d'Elvis et L'hiver au cœur. L'esprit vagabond, qui vient de sortir, donne dans le journal intime dans la forme et l'esprit des Papiers collés de Georges Perros, dont Major semble être un grand fan... j'ai envie d'ajouter comme tout le monde.

Que ce soit celles de Perros, Nourissier, Annie Ernaux, Jim Harrison ou Major, toutes ces petites proses intimes, et c'est là leur véritable intérêt, parlent essentiellement d'écriture. Major: Une journée sans écrire me laisse un sentiment d'inachèvement, proche de la culpabilité. De cuisine de l'écriture aussi, et pour cela Ernaux, L'écriture comme un couteau, est unique, mais Major n'est pas loin d'être aussi admirable de sobriété et de justesse.

Hélas, chez tous, sauf chez Ernaux, ces petites proses sont aussi l'occasion de prendre ses distances avec les médias. Est-ce bien nécessaire de nous dire que vous nous méprisez? On est peut-être un peu cons, mais on avait deviné, figurez-vous.

RIEN À VOIR BIS - Je vous parlais de deux essais, le second, je ne l'ai pas acheté pour lire mais pour laisser traîner dans la salle de bains, sur la petite table à côté du papier cul. Pas tant pour le titre - Plaidoyer en faveur de l'intolérance - que pour le nom de l'auteur, imprimé plus gros que le titre. Il s'appelle Slavoj Zizek, ce qui est déjà bien assez pour impressionner mes chums cyclistes quand ils vont se changer dans la salle de bains avant d'aller rouler, mais ce qui est vraiment cute, c'est que sur les deux «z» de son nom, il y a un accent circonflexe à l'envers.

Qu'est-ce tu lis en ce moment?

Le dernier Slavoj Zizek.

Ah bon.