Le samedi 13 octobre 2007


C'est qui, Amélie Poulain?
Pierre Foglia, La Presse

Je viens de finir un livre que vous avez adoré. L'élégance du hérisson, de Muriel Barbery. Vous ne l'avez pas encore lu? Courez l'acheter. Vous allez adorer. Je le sais, je vous connais depuis tellement longtemps.

Vous allez adorer que ce livre-là ait été ignoré pour les prix littéraires de l'an passé. Vous allez adorer que les critiques qui l'ont accueilli avec une gentillette condescendance n'aient pas vu venir son énorme succès. Gallimard n'a pas connu pareille fête depuis les gorgées de bière de Philippe Delerm, c'est dire. Vous allez adorer les deux voix de ce roman. D'abord cette concierge de 54 ans, veuve, grassouillette, laide et néanmoins nourrie de phénoménologie. Vous allez adorer aussi Paloma, la gamine surdouée de 12 ans qui habite l'immeuble de la concierge et en deviendra l'amie, comment avez-vous deviné?

Vous allez adorer le Japonais absolument exquis qui surgit dans le dernier tiers du livre.

Vous allez adorer cette histoire parce qu'il y a là-dedans un peu d'Amélie Poulain, un peu de Philippe Delerm, du Gavalda et du Pennac. Qu'est-ce tu veux de plus? Du Pennac et du Amélie Poulain en même temps, pour le même prix. Wow.

Vous n'aimerez pas l'avant-dernier chapitre, mais c'est juste trois ou quatre pages.

Pourquoi, moi, j'ai détesté ça? Ah, ça. Parce que je suis snob, je suppose. Je l'ai dit avant vous, lalalèreu. Mais un peu aussi parce que, en littérature, je déteste les trucs et les procédés. Et les plans de nègre. Je n'attends pas qu'on me raconte des histoires vraies, mais j'attends qu'on écrive vrai. Et ce livre là est tout faux.

J'ai détesté parce que, au bout de trois pages, j'avais compris que c'était une prof de philosophie qui écrivait, et j'ai été prodigieusement agacé qu'elle se déguise en concierge, concierge elle-même déguisée en conne pour dissimuler qu'elle est la seule concierge de l'hémisphère Nord qui lit Tolstoï et pratique Edmund Husserl, le philosophe allemand qui a justement inventé la phénoménologie.

J'ai détesté parce que, dans ce livre, il y a un gros trip de grammaire. Je ne me tanne jamais qu'on me parle d'écriture, mais la grammaire, qui n'a d'autre objet que la règle, m'emmerde, comme m'emmerde aussi la pensée qui n'a d'autre objet que la pensée pensante - on dit aussi la conscience percevante.

J'ai détesté parce que je ne tiens pas les japonaiseries ni les sushis à 30 pièce pour le boutte du boutte du raffinement.

J'ai détesté parce que je n'aime pas qu'on me prenne pour un con (sauf Geneviève Jeanson, s'cusez). Dans ce livre-là, finalement j'ai juste aimé la camionnette de pressing de la fin, un clin d'oeil qu'a saisi un lecteur sur mille. J'aime être un lecteur sur mille, c'est pour ça que je ne lis jamais Pennac et que je sais pas qui est Amélie Poulain.

Hier j'ai franchi mon 6000e kilomètre sur un vélo que m'a prêté un coureur. Un de ces vélos tout carbone dont on n'ose pas dire le prix parce que c'est gênant quand on pense au Soudan ou au Bangladesh. Un de ces vélos à la géométrie ramassée. On y a le cul si haut perché sur une selle si haut sortie que les mains plongent en avant comme si on ne faisait plus du vélo, mais du trapèze. La différence, c'est surtout dans les montées, me disait-on. Je n'ai vu aucune différence dans les trois montées de Jay ni au retour, dans la côte du village. Mais en arrivant chez moi, ah ha! En arrivant chez moi, il faut monter quatre marches pour accéder à la galerie. Deux doigts m'on suffi pour soulever la chose.

La Chine

J'ai franchi mon 6000e kilomètre en allant chercher un film à Bedford. Où je n'en ai pas trouvé, bien entendu. Alors j'ai reloué Manufactured Landscapes, le documentaire du photographe canadien Edward Burtynsky. Tout ce que je regarde dans ce documentaire, cela doit bien faire 20 fois maintenant, ce sont les 10 premières minutes, un extraordinaire plan-séquence qui en dit plus long sur la Chine, sur l'économie mondiale et sur toute l'humanité que tout ce que vous avez pu lire sur la Chine, sur l'économie mondiale et sur l'humanité.

Je ne sais rien de la Chine - je veux dire rien de sa littérature. Un peu, un tout petit peu de sa poésie (dans la traduction de Claude Roy au Mercure de France).

On dirait une fleur. Ce n'est pas une fleur. On dirait une brume. Ce n'est pas une brume. Cela vient à minuit. Cela part au matin... (Po Kiu-Yi)

Mille trois cents ans plus tard arrive Manufactured Landscapes. Sur mille chaînes de montage toutes semblables, des Chinois assemblent des fers à repasser dans une usine d'un kilomètre de long. On dirait une fleur. C'est un fer à repasser, un séchoir à cheveux, une lampe de poche...

La poésie encore

On ne peut pas dire que je sois un grand-père très attentionné. Je vois mes petits-enfants de loin en loin, et même de loin en très loin. Je ne sais jamais quoi leur dire, j'oublie assez régulièrement leurs anniversaires. Va savoir pourquoi la plus grande, 10 ans, a dit l'autre jour à sa mère: je voudrais aller faire du vélo avec grand-papa.

On est donc allés faire du vélo. Une vingtaine de kilomètres. En chemin je lui ai posé des questions convenues. Comment ça va à l'école, es-tu encore amie avec Jérémie, et tes cours de clarinette? De temps en temps, je lui montrais à changer ses vitesses. Nous sommes arrivés à L'Oeuf, où elle a pris une crème glacée au chocolat pendant que le chat se pelotonnait sur mes genoux. Deux bonnes soeurs d'un couvent de Saint-Hyacinthe m'ont salué, nous avons échangé quelques politesses. Quand elles sont parties, la petite a dit:
Elles disaient n'importe quoi, non?
Tu trouves?
Oui, je trouve.
Je soupçonnais qu'elle avait dû s'ennuyer grandement et qu'elle ne manifesterait pas de sitôt une nouvelle envie de pédaler avec son grand-père. La suite, c'est sa mère qui me l'a rapportée. C'était au retour, dans l'auto.

C'était comment, cette balade?

C'était bien, répond la gamine. Un silence et puis: Tu sais, maman, j'aime beaucoup grand-papa. Un autre silence et puis: Quand il va mourir, est-ce que je pourrai réciter un poème?

Franchement, gamine? Je préférerais une petite chanson. Tu connais: la belle dé Cadix a des yeux dé vélours, tchika tchika tchik ayayaille...