Le jeudi 18 octobre 2007


La caravane passe
Pierre Foglia, La Presse

Mon collègue Patrick Lagacé a raison quand il dit que Montréal ne méprise pas Québec, mais il a tort quand il dit que Montréal méprise Laval. On ne peut pas mépriser quelque chose qui n'existe pas.

Ces chicanes de clocher donnent de la bonne copie - j'ai bien aimé la défense que François Bourque du Soleil a fait de Québec - de la bonne copie disais-je, mais de foutre le feu à ces chicanes de clocher si promptes à s'enflammer ici, fait aussi sortir les morons de leur trou. Voir la photo d'André Arthur dans notre numéro de lundi, et écouter celui-là de l'Abitibi pour qui tous les Montréalais sont des abrutis parce qu'un jour un Montréalais lui a demandé si Rouyn était au bord de la mer. Reviens-en, Chose.

Je suis bien revenu, moi, de m'être fait sortir de Rouyn - littéralement sortir - par une gang de hillbillies qui m'ont chassé de mon hôtel, puis de la maison où j'avais trouvé refuge. J'aime pourtant l'Abitibi même si je la tiens pour laide, je l'aime précisément parce qu'elle est laide et qu'on n'y trouve pas la mer et donc ces niaiseries balnéaires qui défigurent la Gaspésie.

Ça n'a l'air de rien, mais rien qu'avec le petit paragraphe qui précède je viens de me faire une foule d'autres amis en Abitibi et en Gaspésie.

Dans tous les pays du monde, les ruraux tiennent les urbains pour des jo-connaissant, les petites villes convenables tiennent les plus grandes pour des foutoirs, les banlieues se défendent d'être des dortoirs, et le pays tout entier tient les habitants de sa métropole pour de fieffés connards. Connards de Montréalais, de Parigots, de Milanais, de New-Yorkais, de Berlinois, etc. La seule différence, c'est qu'au Québec, il faut multiplier par mille. Ce qui ailleurs relève d'un provincialisme renfrogné, touche ici à la vindicte, au rejet, à l'hystérie. Pourquoi? Pourquoi vous devenez complètement débiles dans ces chicanes de clocher? Alors là... À vous de me le dire. Même si ça fait plus de 40 ans que je vis ici, je n'ai pas encore tout compris.

Ce dont je suis absolument certain, c'est que Montréal ne méprise pas le reste du Québec même s'il s'irrite parfois de ses susceptibilités. Montréal s'en fout et c'est bien là, au fond, le crime impardonnable: s'en foutre. Les provincialismes s'exacerbent non pas au mépris mais à l'indifférence de la caravane qui passe.

Puisque je suis parti aujourd'hui pour me faire plein d'amis, allons-y, ce printemps les auteurs de la francophonie, ceux du Québec en tête, ont signé un manifeste contre... je n'ai pas très bien compris contre quoi ou qui au juste. En principe contre la littérature franco-française, contre le parisianisme, contre les éditeurs de la Rive gauche. Qu'est-ce que cela a à voir avec la chicane Montréal-Québec, Montréal-Régions? Montréal-Banlieue? Ce sont exactement les mêmes récriminations de la périphérie contre le centre, les mêmes accusations de mépris quand on devrait parler d'indifférence. Et encore là, la caravane passe et quand elle est passée, le mêmes petits chiens qui aboyaient de se former eux-mêmes en caravane - pour l'occasion appelons-la Boréal - et de passer à leur tour en se crissant bien de ceux qui jappent sur les bas-côtés.

Je me souviens de ma perplexité devant le titre de ce manifeste: Pour une littérature-monde. Expliquez-moi. Veut-on faire lire à Angoulême Victor-Lévy Beaulieu, cet immense écrivain québécois qui n'est pas lu à Montréal? Combien va-t-on vendre d'exemplaires du dernier André Major, les admirables proses de L'Esprit Vagabond? 2000 à tout casser? Et cette petite misère serait la faute de Paris?

Même si j'habite aujourd'hui en pleins champs, je n'ai jamais cessé d'habiter Montréal. Ne me demandez pas ce que je pense de Québec, de Laval. Rien. J'ai habité Sorel - excusez, Tracy - j'ai habité Chicoutimi - s'cusez, Chicoutimi-Nord - et Sherbrooke où est née ma fille, mais tout ce temps-là je n'ai jamais cessé d'habiter Montréal. C'est ma ville, je l'ai intériorisée, je n'ai pas besoin d'aller à Montréal, je suis de Montréal comme Jerome Charyn, l'auteur de Metropolis - ce grand livre d'amour sur New York - comme Charyn est de New York même s'il vit à Paris, même que sa fenêtre donne sur le cimetière du Père-Lachaise.

J'habite Montréal comme j'habite les livres que je lis, me contrecrisse que ce soit de la littérature-monde. Me contrecrisse qu'ils soient lus à Angoulême ou qu'ils ne soient lus qu'à Angoulême.

La périphérie est là d'où vous allez hurler dans deux secondes, quand je vous aurai dit que le centre est là où je suis maintenant.

RECTIFICATIFS - On m'a reproché ici et là d'avoir traité le philosophe de gauche Slavoj Zizek avec mépris... encore le mépris. On me reproche surtout de n'avoir pas précisé que son plaidoyer en faveur de l'intolérance plaide pour l'intolérance à l'intolérable... OK. Sauf que je n'ai jamais dit que j'avais lu Zizek. Laissez-moi vous rappeler que j'ai quitté l'école à 14 ans, que je n'ai aucune foutue idée de ce que peut bien être «l'éthique habermasienne» pas plus d'ailleurs que «l'éthique rawlsienne», et faites-moi pas chier, vous non plus. Vous me dites que Zizek est un Bourdieu mâtiné de Lacan et de Derrida? Comme on dit au poker en jetant ses cartes: sans moi, les amis.

Même chronique. À propos des juifs obligés de brosser à la brosse à dents les pavés des rues de Vienne tandis qu'on les rouait de coups, c'est arrivé après 1938, après le retour triomphant de Hitler à Vienne, pas en 1907 comme je l'ai écrit. Reste qu'il est exact qu'au tout début du siècle et même avant, régnait aussi bien à Vienne que dans toute l'Europe, un antisémitisme virulent. Soit près de 30 ans avant l'arrivée de Hitler. Trente ans. Le terreau de la Shoah était là 30 ans avant qu'elle ne se produise, il n'est pas inutile de le rappeler de temps en temps.