Le samedi 20 octobre 2007


Ma liste en attendant la vôtre
Pierre Foglia, La Presse

Une lettre comme jadis, dans une enveloppe. Elle m'écrit de Québec. Je viens de faire la liste de tout ce dont je ne suis plus capable dans la vie - PU CAPA-BEU - je vous l'envoie parce que je vous aime. C'est signé Suzanne Chayer. La liste est sur une autre feuille.

- Les funérailles à la télé
- Nos soldats en Aghanistan à la télé
- Les bobettes à l'endroit qui sortent à l'envers de la sécheuse (mais à l'envers elles restent à l'envers)
- Maman, j'ai une autre ligne, j'te rappelle!
- Les restos Normandin
- Tout à fait
- Benoît XVI
- Mon 73e bientôt
- Les vieux
- Les jeunes
- Les sushis

Cela vous dirait de dresser votre propre liste? Vos petits bogues, pas de trop grandes calamités. Votre belle-soeur? Très bonne idée, votre belle-soeur. Pouvez joindre une photo. Une dame m'a envoyé un courriel récemment pour me dire combien l'irritaient les Croc. Je sais maintenant que ce sont ces sandales en plastique qui ont fait fureur cet été, si laides et pourtant siiiiii confortables. Trois pages là-dessus, vous allez me trouver folle, me dit-elle. Un peu madame. Mais c'est bien de cette fixation que je parle.

Tenez, en ce moment, mon vélo fait un bruit, tic, tic, tic. J'appelle Marc, le mécano de Vélo-Fix. Il me dit apporte-le, on va regarder. Vingt kilomètres pour aller chez lui, tic, tic, tic. À 200m de l'atelier, fini, pu de bruit. Il l'essaie, rien. Je repars. Deux cents mètres plus loin, tic, tic, tic. C'est dans ta tête, m'a dit ma fiancée.

Alors voilà, ma propre liste des trucs dont je suis PU CAPA-BEU commence comme ça:

1. Ma fiancée
2. Le mécano de Vélo-Fix
3. Nos enfants.

Je capote sur le possessif. Nos enfants? Je ne veux surtout pas avoir d'enfants avec toi, Chose. Des fois je capote sur un mot, des fois sur une seule lettre. J'étais dans ce livre de plus de 1000 pages (le Joyce de VLB) quand mon oeil de typographe s'est irrité soudain de la queue des «Q» majuscules. Oui madame, la queue des «Q» majuscules. Le livre est composé en Garamond et, dans ce caractère, ladite queue cabotine en une arabesque maniérée sous le «u», et même sous la lettre suivante. Comme il est beaucoup question du Québec dans cet ouvrage, cette ligature revient souvent. Plus je m'en irritais, plus je m'irritais de m'irriter pour si peu. Je pense que je vais corriger ma liste:

1. Moi
2. Le monde en général
3. Le Garamond
4. Ça l'aurait pu.

Ça l'a plus de bon sens. Je parlais, ces jours-ci, de la lalalisation du français québécois avec un prof de phonologie-linguistique dont la fonction est justement de se pencher sur ces phénomènes, et l'impatience me gagnait. Une bombe nucléaire vient de tomber sur le Québec et nous avons ici un physicien qui explique le principe de la fission nuclélaire. M'en crisse, comment ça marche! M'en crisse que ça s'appelle une épenthèse, JE NE SUIS PU CAPA-BEU. Plus capable le lalala des ados, pu capable le lalala des profs, des politiciens au téléjournal, des scientifiques invités aux Années lumière. Il ne se passe pas un dimanche sans qu'un savant docteur sorte un Ça l'aurait pu, un ça l'a un impact.

Cela m'énarve qu'on relativise cette peste langagière en la comparant à d'innocents tics comme le redoublement du pronom (par exemple tu m'aimes-tu). Ça l'aurait pu n'est pas un tic, pas une mode, pas une coquetterie de la langue d'ici. C'est un abrutissement, un avachissement. Une fissure dans le béton de la structure de la langue, un viaduc de la Concorde.

S'emploie-t-on à réparer? À corriger? Que non. L'esprit de la réforme scolaire gagne toute la société. On s'apprête à avaliser cette atrocité. J'entends déjà que la liaison est tellement plus naturelle dans ça l'a que dans ça a. J'entends que la langue française est déjà bien assez difficile comme ça. N'empêche, personne ne m'a encore expliqué pourquoi ni les Français, ni les Belges, ni les Suisses, ni les Africains francophones ne sont portés à la lalalisation. Est-ce le cerveau ou la bouche qui a tant ramolli chez nous que nous en soyons rendus à faire ce lalala de bébé hydrocéphale?

Bon! Ça va mieux. C'est un peu le but de l'exercice, d'ailleurs. Un dernier?

5. Le traitement du sport dans les grandes émissions publiques à la radio et à la télé.

Prémisse première: il y a au Québec une masse d'auditeurs et de téléspectateurs sportifs pas trop nonos au nombre desquels j'ose me ranger.

Prémisse seconde: il y a au Québec d'excellents journalistes et chroniqueurs sportifs. Ça pleut. Pas de farce. Dans mon temps, y en avait trois. Sont 50 aujourd'hui. Y compris à Radio-Canada. Daoust. Faucher. Pothier. Chabot. Taillon. Le maigre, là, anguleux, Gilles Gagnon je crois, très bon. Michel Villeneuve maintenant.

Parfait, me direz-vous, les premiers sont bien servis par les seconds. Ben non, justement. Je ne parlerai pas de Desautels, on m'accuserait de ressentiment. De toute façon, le plus criant n'est pas chez Desautels mais chez Homier-Roy. Il y a eu cette traversée du désert pendant des années avec Jean Pagé, puis est arrivé un miracle: François Gagnon. Puis il y a eu l'intermède François Faucher, moins grimpé dans les rideaux que le premier François mais tout aussi crédible. Mes matins étaient comblés, avec Faucher. Mais se foutent pas mal de moi et des trippeux de sport. Sont allés chercher Quenneville, qui est un Jean Pagé sympathique, et nous revoilà dans le désert.

Chatouilleux comme on les connaît, pas plus Homier-Roy que Desautels ne tofferaient deux jours un chroniqueur politique, ou économique, ou culturel, qui ferait du Quenneville ou du Frosi. Mais comme c'est du sport, je veux dire qu'il n'a d'autre intérêt pour eux qu'anecdotique (l'épopée, le vedettariat), sociologique (les coulisses, les salaires, les affaires, etc.), fuck le contenu du sport (la performance). Une bonne voix, des souvenirs, des clichés, et tout le monde est content. Pas moi. Ni une maudite gang. Quand allez-vous finir par comprendre que c'est de la culture, même si ce n'est pas la vôtre?